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Ils vadrouillent en discutaillant. L’un d’eux se rend dans la salle de bains pour lancequiner. L’autre quitte ses targettes (le gus aux tartisses de toile), puis ses chaussettes, son bénoche. Quand il se baisse pour ramasser la chemise qu’il a jetée au sol, je frémis. Va-t-il constater une présence sous le lit ? Mais non, il continue de vaquer. L’autre le rejoint et se dessape à son tour. Je m’efforce de demeurer monolithique.

J’ai le visage tourné vers le sommier. A force de le contempler, je finis par découvrir qu’il comporte une anomalie. Les pièces de bois sur lesquelles est tendue la toile du dessous sont sciées à un certain endroit, près de la tête du lit, et le bricoleur a constitué une sorte de trappe longue d’un mètre, large de trente centimètres, dont j’imagine mal l’utilité. Un taquet de bois maintient ce trappon bloqué. Vu ma position inconfortable, je ne me risque pas à l’actionner.

Selon mon estimation, les occupants de la chambre « Manchester » se trouvent à poil. L’un va à une penderie. J’entends brimbaler des cintres à habits. Un glissement d’étoffe. Un pantalon de smoking glisse sur le tapis. Une main le ramasse. J’ai une chouette aurore boréale dans le Lustucru. Je me dis qu’ils se rendent à une soirée et qu’ils sont seulement rentrés se changer. Ouf !

Et puis j’ai un doute quand un des gars se jette sur le lit, l’ébranlant entièrement et provoquant une pluie de grosses poussières sur ma pauvre gueule d’empeigne. Il soupire et dit je ne sais quoi à son pote sur un ton moelleux. L’autre vient au plumard à son tour. Un bruit clapotesque me révèle enfin qu’il est en train de lui faire une pipe amicale. Bon : un couple de tantes ! Marrant, j’imaginais pas qu’on puisse être tueur à gages et homo. Sotte idée reçue car, après tout, pourquoi pas ? Buter son semblable et prendre du rond sont deux actions qui, sans être complémentaires, ne comportent pas de contre-indications.

Ces gentils messieurs se gouzillent le cartilage d’expansion avec fougue et équité. Au bout d’un bon moment de bilapsus linguae, ils décident de mettre pied à terre, face au lit. Celui qui a les pinceaux le plus près de la couche les écarte, cependant que son suivant très immédiat, les rapproche au contraire. Bien qu’amortis par une paire de meules, les à-coups du mec arrière sont si vigoureux que le pucier à baldaquin se met à craquer, grincer, gémir comme un vieux cotre démantelé dans une tempête en mer de Chine. Le garçon aiguillonné pousse des gémissements à pierre fendre.

Faut dire que son pote n’est pas fainéant du bassin et lui articule sa façon de penser en y mettant les pleins et les déliés. Casserolade en règle des trois unités ! Te lui fais fumer les naseaux arrière, au bébé lune ! La vraie bourrasque cosaque ! Le mignon doit avoir sa rampe de lancement grande comme un étui à longue-vue, pour encaisser des coups de gouminche pareils !

Ah ! c’est des vrais camarades, ces deux-là ! Le pistonneur doit chauffer des bielles, espère ! Il perpètre en furia, l’artiste, sans moduler le moindre style Ben Hur ! Faut que ça pète ou que ça passe.

Ça passe ! Le voilà qui brait un grand coup et se laisse courir sur son erre. Fin de section ! Le petit monsieur de devant s’est fait caraméliser la pastille, l’autre se termine à la va-comme-je-te-tirlipotte.

Les joyeux partenaires de l’emplâtrage-partie rigolent, contents de s’être débigorné le chalumeau. C’est plein de mecs qui contrairement au proverbe assurant que l’animal est triste après le coït, sont tout guillerets et vachement joyces de leur lâcher de fumée.

Ils vont rafraîchir leurs parties endolories, puis reviennent se sabouler et s’en vont.

Gagné ! J’ai eu chaud aux plumes. Je suis inquiet pour la môme Violette qui, je le crains, aura perdu patience et entrepris un coup d’éclat, avec sa mentalité guerrière. Toutefois, avant de repter hors du sous-lit, j’actionne le fameux trappon ménagé dans le sommier, ce qui n’est pas courant, même lorsqu’on voit ça à une pointe extrême de l’Europe.

Le panneau se déplace, démasquant une cache dans laquelle se trouvent un pistolet-mitrailleur avec des boîtes de chargeurs. Le tout est arrimé à l’intérieur du sommier par des sangles. Une telle découverte me pantoise en grand. Ces deux pédoques n’ont pu se livrer à ce travail minutieux depuis qu’ils sont descendus au Windsor Lodge. D’ailleurs ce bricolage est ancien.

Je quitte ma planque, m’époussette et me mets à chercher les papiers d’identité des deux personnages dans leurs valises et les tiroirs. Mais fume ! Ballepeau ! Soit ils les conservent sur eux, soit ils les mettent en lieu sûr.

Comme je quitte la chambre, j’aperçois un gus qui sort de la piaule contiguë. Un zouave au visage « mangé de poils », comme disent d’aucuns de mes (rudement) confrères. Mangé de poils ! T’as dû remar-quer, souvent ; ça fait le pendant avec « les jambes gainées de soie » pour les dames. Le gus, a priori, tu le prendrais pour un rabbin. Ses cheveux et sa barbe ne font qu’une même boule, avec, dans le milieu, une ouverture pour le nez et les yeux ; la bouche, on ne la voit pas, surmontée qu’elle est d’une moustache de phoque. L’homme porte un blazer bleu, un pantalon gris et une casquette marinière ornée d’une ancre coralline, comme écrit Mac Orlan.

Etrange silhouette. Cet homme, je te parie la place de la Concorde contre une place au Père-Lachaise que je l’ai connu. En tout cas, sa frite « mangée de poils » me dit quelque chose. Peut-être était-il glabre la dernière fois que je l’ai vu ? J’ai l’impression qu’il portait de grosses lunettes à monture noire. Moi, je fonctionne par flashes. Cette frite hirsute, illico je la conçois imberbe et à besicles. Curieux, n’est-ce pas ?

Je l’entends qui jacte avec une dame, dans le hall-burlingue. Une vieille, la taulière sans doute, que je ne puis apercevoir. Il parle anglais, avec un léger accent levantin, voire espagnol.

Moi, ni une ni douze ! La témérité faite homme ! Avec une détermination qui te sécherait les couilles, Gribouille, je réactive mon sésame, pour pénétrer dans la piaule du poilu. Faut être carrément jobastre et inconscient pour oser un tel acte, alors que le type est à deux pas et qu’il peut revenir sur l’heure.

C’est incoercible, chez moi ! Un élan plus fort que la raison.

Je me sens calme, froid comme un nez de chien bien portant ou comme la main d’un serpent. Impla-cable ! Farouche ! Déterminé ! (Tu peux poursuivre la liste des quasi-synonymes, ça te fera travailler ton vocabulaire.)

Tu veux que je te dise ? Je me couche le long du lit et repte dessous, comme naguère. Une idée plus ou moins fixe.

Et bravo, San-Antonio ! Là comme chez le tueur à la canne, le sommier est truqué : il comporte un trappon guère détectable, sauf à avoir le nez à douze centimètres de lui, qui coulisse et découvre une planque. A l’intérieur de ladite, j’avise des petites briques enveloppées dans un papier fort. Je touche prudemment, bien que mon siège-baquet soit déjà fait : du plastic ! Et pas qu’un peu. Avec ce que contient la niche, tu réduis Beaubourg en résidus de campement scout.

Ça me suffit au bonheur. Je me rembarque avec célérité, abeille alourdie de pollen !

Ça jacte toujours dans le hall, en bas. J’ai pas la moindre envie de me casser le pif sur mémère et son client de la chambre « Coventry ». J’essaie de mémoriser la façade du Windsor Lodge telle qu’elle m’est apparue tout à l’heure quand Violette m’y a conduit. Je suis convaincu qu’il existe une seconde issue « fournisseurs-service ». Le cerveau de San-Antonio est une mécanique de haute précision, sache-le. (Quand tu veux impressionner tes cons tant porains, parle toujours de toi à la troisième personne, kif De Gaulle ou Alain Delon. Les gens se disent que si ces grands hommes parlent d’eux en disant « il » au lieu de « je », c’est qu’ils ont obtenu en très haut lieu la permission de le faire, et qu’il faut leur lécher les pieds, l’oignon, le dessous des couilles et se masturber devant leur photo.)