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— Suivez-moi.

Déjà il courait vers l’ouest et le pasteur eut du mal à le rejoindre.

— Vous allez chez lui ? souffla-t-il.

— Bien sûr.

L’école se trouvait tout au bout du port, contre un rocher de vingt mètres qui servait aussi d’amer pour la passe. Appuyée contre le bâtiment à un étage construit en dur, la centrale électrique haletait sourdement. Sa cheminée en briques crachait un rouleau de fumée noire.

— Il est là.

Le hublot en mica du four le nimbait de lumière rouge. À côté de lui un Esquimau s’appuyait sur une pelle. L’ensemble ressemblait à une grosse installation de chauffage central. Dans l’angle droit un jet de vapeur fusait de la turbine.

— Bonsoir révérend. Encore debout ? Il est vrai que les nuits deviennent belles.

Un garçon brun avec un collier de barbe, bien planté, les épaules larges sous le polo en laine noire. Pour le bas du corps un pantalon de velours enserré dans de petites bottes en cuir.

— Pas si belle que cela, dit Kovask en le regardant en face, une brume épaisse arrive de la mer.

— Rien d’étonnant à cette époque avec les différences de température. N’oubliez pas que les Aléoutiennes ont la réputation de leur deux cents jours par an à soutenir.

Il tira une pipe de sa poche et commença de la bourrer. Kovask examinait la centrale, les réserves de charbon maigre.

— Quelle puissance ?

— Cinquante kilowatts en pleine puissance, mais je réduis toujours la nuit. L’administration serre les cordons de la bourse et il faut prévoir pour l’hiver prochain. Un froid précoce peut bloquer le port et empêcher le ravitaillement en charbon.

Se tournant vers l’Esquimau :

— Tu peux aller te coucher, Jef. Inutile de t’inquiéter.

— Quelque chose n’allait pas ?

L’instituteur tira quelques bouffées de ta pipe avant de répondre, puis se mit à rire :

— Exactement ce qui se passe avec cette bouffarde. J’aurais dû gratter le fond pour un meilleur tirage. Le foyer est encrassé par du mâchefer et Jef avait trop fermé le tirage. La fumée s’échappait par le bas en faisant taper la trappe. Jef a eu peur et est venu me réveiller.

Il enfila une veste en cuir doublée de fourrure.

— Je vais aller me coucher.

Dans la rue la visibilité était réduite à quelques mètres et la petite ampoule de l’éclairage publie paraissait perdue à une grande hauteur.

— Voulez-vous un bon punch brûlant ? demanda Geoffrey Gann aux deux hommes.

— Non merci, commençait de dire le révérend, mais Kovask se hâta d’accepter.

Avant d’entrer chez lui l’instituteur se tourna vers le port.

— Exactement ce que la météo de Adak a annoncé.

Il haussa les épaules :

— À tout hasard j’affiche le bulletin chaque soir et chaque matin.

Kovask sursauta et se tourna vers lui :

— Voulez-vous dire que l’île d’Adak avait prévu ce temps ?

— Bien sûr.

— À quelle heure avez-vous reçu ce bulletin ?

— Seize heures trois. Juste à la fin de la classe.

Sa voix était ferme. De toute façon Kovask vérifierait. Il n’osa pas regarder le révérend tout de suite. Leur hôte les servait, un sourire goguenard au coin des lèvres.

— Vous êtes envoyé par la Navy ?

Kovask ne s’étonna même pas. Il n’avait rien fait pour cacher son rôle exact et d’ailleurs dans cette île il aurait été mutile de bluffer.

— Oui.

L’autre n’en demanda pas plus. Mais son sourire avait disparu et le capitaine de corvette remarqua son air fatigué et la dureté de son regard.

— Vous couchez-vous toujours aussi tard ?

— Non. La centrale ne donne pratiquement pas de travail. Jef est un type très bien et très capable. Il n’a que le tort de vivre en concubinage avec deux sœurs. N’est-ce pas, révérend ?

Harry Bergen n’avait pas touché à son punch et le laissait refroidir devant lui.

— Je n’y puis rien, dit-il de sa voix neutre. De toute façon ce n’est pas à moi qu’il rendra des comptes.

Kovask attaqua à nouveau :

— Vous êtes également responsable de la radio ?

— Oui. Une heure de vacation entre dix-huit et dix-neuf heures avec Kodiak. Mais je peux envoyer un message urgent à n’importe quelle heure. Il y a aussi le relais avec le médecin installé sur l’île de Kanaga plus grande que celle-et. Je l’appelle en moyenne une fois par jour.

Il se servit un autre verre alors que les autres refusaient. Il avait bu le premier avec une certaine avidité. De temps à autre son regard intelligent fouillait un visage avec méfiance, le temps d’un éclair.

— Content de vous avoir connu. Mon nom est Kovask. Je compte rester quelques jours ici.

Se tournant vers le pasteur.

— Si je n’importune pas mon ami.

« L’ami » se défendit avec un sourire un peu pincé. Il profita de l’occasion pour se lever.

— Il se fait tard. Plus d’une heure.

Dans la masse cotonneuse il dut suivre le révérend de très près pour ne pas s’égarer. Il fut surpris de trouver sous ses pieds les dalles gluantes du port plus tôt qu’il ne le pensait. Soudain le pasteur sortit un objet noir de sa poche et éclaira un panneau recouvert d’une vitre.

— Il est bien là, murmura-t-il.

Son doigt soulignait la phrase :

« FORMATION DE BRUMES NOCTURNES DE FORTE CONCENTRATION. »

— C’est pourtant exact, murmura-t-il.

Kovask était furieux.

— J’espère qu’on a épluché les bulletins météo correspondant à chaque phénomène. Espérons qu’il n’y aura pas plus de cinquante pour cent de coïncidences.

Vexé le pasteur resta silencieux jusque chez lui. Pourtant il avait retrouvé sa sérénité quand ils pénétrèrent dans sa salle à manger. Le poste grésillait toujours mais les programmes étaient terminés.

— Vous croyez que tout cela n’est qu’un ensemble d’incidents sans importance ?

Kovask sortit son carnet :

— Il ne me reste que ceci. Je me demande comment Geoffrey Gann aurait pu faire ce brouillage et s’occuper de la chaudière.

Le pasteur fit la grimace :

— Ce Jef lui est entièrement dévoué et pour quelques dollars il …

En même temps il rosissait légèrement.

— Vous l’accusez ouvertement cette fois.

Le révérend se fit presque suppliant :

— Non. Je me laisse emporter par un amour-propre, mais en toute sincérité je n’ai rien contre Gann. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait pouvoir analyser ce brouillard ?

Ce n’était pas impossible et les services techniques de la Navy auraient pu le faire. Auparavant une série de vérifications s’imposaient. Cette histoire de météo tout d’abord n’était pas tellement claire.

— Je peux couper ?

Il avait pris le petit poste à transistors dans sa main et l’examinait.

— Oui, il n’y a plus rien maintenant. C’était une bonne marque et il avait dû coûter très cher au pasteur, surtout dans les magasins de cette région. Entre quatre-vingts et cent dollars. Il était de fabrication récente.

— Je l’ai acheté il n’y a que très peu de temps … Quand j’ai commencé à m’intéresser à ce phénomène … Mon autre poste était si vieux que je craignais qu’il ne soit le générateur de ce bruit. J’ai voulu en avoir le cœur net.

Il prit la Bible et s’inclina.