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— Bonsoir. Vous pouvez rester ici le temps qu’il vous plaira. Je dois me lever tôt et je m’excuse de vous laisser seul.

Seul, Kovask alluma une cigarette. Pour localiser cette émission radio qui brouillait la réception des autres postes, il aurait fallu effectuer des recherches gonio. Trop difficile sur une île aussi petite. Gann, en admettant qu’il y soit pour quelque chose, se méfierait. Il pouvait effectuer ses propres recherches, mais cela risquait d’être long et hasardeux. Et pour communiquer avec ses collègues de la Navy il était obligé de passer par l’instituteur.

Foncer et perquisitionner à l’improviste chez Gann ? Et si ça ne donnait rien ? Le Department of Native affaira exigerait des explications et des sanctions.

Il alla se coucher. La chambre était tiède et il entrouvrit sa fenêtre pour avoir un peu d’air frais.

Avant de chercher le sommeil il se demanda pourquoi Alberta Gann avait jugé bon de se séparer de son mari. Ce dernier lui était sympathique malgré certaines réticences.

CHAPITRE II

En descendant eu petit avion qui l’avait ramené dans l’ile d’Atka, Serge Kovask trouva la jeep envoyée par le commodore Shelby. Le véhicule fonça vers le centre de la base navale, s’arrêta brutalement devant les bureaux de la Sécurité. Le matelot noir qui conduisait n’eut pas un regard pour son passager. Il sortit un comic de sa poche et se plongea dans sa lecture.

Kovask fronça les sourcils.

— Avez-vous l’ordre de m’attendre ?

— Yes sir.

— Pour me ramener à l’aérodrome ?

— Yes sir.

Quand il entra dans le bureau du responsable O.N.I. pour l’Alaska, celui-ci tournait le dos à la porte et examinait une grande carte des Aléoutiennes qui couvrait le mur. Le commodore Shelby, de très haute taille mais très maigre, tourna seulement légèrement la tête.

— Vous voilà, Kovask ? Je vous avais demandé d’aller là-bas et de n’en revenir qu’avec une certitude. Déjà fait ? En moins de vingt-quatre heures ?

Le lieutenant-commander contourna l’énorme bureau surchargé de paperasses.

— Et s’il n’y avait rien ? Si tout cela n’était que le fruit d’une hallucination ?

Shelby daigna lui faire face.

— Non ?

— Je ne peux rien dire avant d’avoir en main tous les bulletins météo de cette zone correspondant à certaines dates, celles où le phénomène s’est produit.

Shelby plongea son regard sombre dans les yeux bleus de son subordonné, puis appuyant ses fesses maigres sur le rebord du bureau décrocha son téléphone.

— Michael ? Besoin de vos archives.

Kovask donna les dates. Le révérend Bergen lui en avait donné douze sur une période entre le premier mars et le 15 mai.

— Merci, dit le commodore en raccrochant. Il fit glisser son corps qui paraissait l’encombrer jusqu’au fauteuil tournant.

— Voyez-vous Kovask, depuis que le pasteur nous a alertés, j’ai des insomnies.

Son pouce passa par-dessus son épaule.

— Approchez-vous de la carte. Ces fameux brouillards s’étendent surtout sur les passes les plus commodes pour accéder à cette île. Imagines que les Russes aient songé à la vieille tactique à papa. Débarquement rapide et inattendu. Sans bruit ni rasées. Ici ils capturent une bonne partie de l’état-major de la Navy, et en quelques heures ils arrivent à Kodiak où se trouve le grand Q.G. interarmes. En une nuit l’Alaska est à eux, et les B. 47 sont cloués au sol avec tout le système de représailles. Imaginez un truc semblable combiné avec un pilonnage du Vieux Pays, c’est fini. Même pas la consolation d’avoir l’Alaska comme dernier bastion.

Kovask regardait les différentes passes qui s’appelaient Tanaga Pass, Atka Pass, Seguam Pass, etc. etc. Les paroles de son chef le faisaient douter.

— Bien sûr on vit dans le pays du brouillard. Les deux tiers de l’année sont passés dans la purée blanche. Mais eux ? Eux, hein ? Ils se méfient des statistiques et des caprices de la nature.

Lui aussi fumait la pipe, une grosse bouffarde en bois rouge qui commençait d’empester.

— Et si le jour J, il n’y avait pas de brouillard ? S’ils avaient prévu cette éventualité pourtant peu probable ? S’ils avaient voulu mettre toutes les chances de leur côté.

— Ils auraient donc installé des diffuseurs en grand nombre pour obtenir un effet aussi rapide ?

Il sortit son carnet de sa poche et y prit une feuille où il avait recopié les signaux morses.

— Essayez de faire décrypter ceci, mais je crois que ça ne veut rien dire. En admettant que ce brouillard soit artificiel, ces brèves et ces longues ne seraient que le signal codé du déclenchement.

Un planton vint chercher la feuille pour l’emporter jusqu’au bureau de décryptage.

— Vous l’avez entendu ?

— Oui. Imaginez que vous tripotiez une prise de courant dans la pièce voisine et que je sois en train d’écouter la radio. Voilà l’impression que cela produisait. Il aurait fallu se déplacer avec le poste, voir si les parasites se produisaient ailleurs, mais j’ai voulu noter l’espèce de message que je viens de vous remettre.

— Et l’effet a été immédiat ?

— Presque. Un diffuseur, s’ils existent, ne doit pas se trouver très loin de la maison du pasteur.

Il continua sur sa visite à l’instituteur, l’impression que lui avait faite Geoffroy Gann.

— Sympathique mais certainement malheureux de la fuite de sa femme. Il faudrait la faire rechercher pour essayer de connaître la raison de leur séparation.

Le commodore leva un sourcil :

— Vous croyez qu’elle se doutait de quelque chose, et qu’entre l’amour de son mari et son patriotisme elle a choisi la fuite ?

— Pourquoi pas ? Mais attendons les bulletins météo.

Le capitaine de vaisseau bougonna.

— Je me demande ce que fait Michael. Juste à ce moment on frappa à la porte et un enseigne de première classe entra dans le bureau. Beau garçon, impeccable, qui paraissait du dernier bien avec le commodore.

— Voilà air, dit-il avec désinvolture jetant un regard inquisiteur à Kovask.

Shelby prit les papiers, les fit glisser sur son bureau au fur et à mesure de sa lecture. Au quatrième il jura et Kovask se permit de ramasser les fiches. Ses lèvres se pincèrent. Les quatre fiches qu’il tenait annonçaient « Formation de brumes à forte concentration dans la nuit ».

— Bon sang, dit enfin le commodore. La seule qui n’annonce rien de tel, mais il y en a onze contre.

L’enseigne ne paraissait que s’intéresser médiocrement à leur réaction.

— Vérifiez les dates.

Michael, malgré son air farfelu, ne s’était nullement trompé. Les bulletins avaient trait aux nuits indiquées par le révérend Harry Bergen.

— Impossible que nous ayons commis pareille bévue … Mais les parasites radio ?

— Pourquoi pas un phénomène électromagnétique ? dit l’enseigne avec un sourire tranquille. Le brouillard provoque de pareilles choses.

Ses deux supérieurs s’entre-regardèrent.

— Vous voulez dire que les parasites seraient le résultat de ces brumes et non le contraire ?

— Exactement sir. Imaginez un film aqueux entre deux fils électriques dénudés. Insuffisant pour faire sauter les plombs de la centrale électrique, mais capable de perturber une réception proche.

Shelby avalait difficilement sa salive et sa pomme d’Adam montait et remontait sous la peau flétrie de son cou.

— Évidemment.

— D’ailleurs il serait stupide de se servir du brouillard alors qu’un radar n’est nullement gêné par les concentrations les plus fortes.