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— Il y a des gens mal remis des restrictions de la dernière guerre, avait proposé Alice comme explication.

— Les Sanchez n’étaient pas nés. Trente-cinq ans chacun…

— Évidemment en plein centre avec des magasins à la porte dont certains ouverts très tard…

— Et la Maison est comme une forteresse… La porte d’entrée blindée… Concierge électronique… Si, je vous assure… Vous verrez… N’oubliez jamais votre clé… Nouvelle venue, ils ne vous ouvriront pas. Un Bunker en pleine ville. Les volets sont également blindés… Vous pourrez vérifier chez les Sanchez.

— On a tout laissé, je veux dire les provisions ?

— Puisque il n’y a pas d’héritiers… Le crédirentier retrouve sa propriété… Je sais que les scellés devraient rester mais vous ne toucherez à rien… Il y a d’ailleurs eu inventaire…

— Vous avez confiance ? persifla-t-elle.

— Nos renseignements sont bons.

Parlez, trois mois qu’elle avait posé candidature pour ce poste d’assistante sociale de la ville dont il se murmurait qu’il serait prochainement annoncé une fois trouvée la bonne candidate. Toujours la même chose, tout le monde savait que, lorsque paraissait l’annonce officielle, les jeux étaient faits et que c’était toujours le fils, le neveu ou la cousine d’un proche de la municipalité qui décrochait la timbale. Pas très rassurant pour elle que personne n’ait voulu de ce poste-là. Un coup fourré certainement.

Un piège qui, malgré l’alcool, lui flanquait la frousse.

Mais cinq mille francs et pour un moment un peu de répit. Elle ferait un minimum, sachant qu’en définitive la place lui échapperait une fois réglé le problème de la Maison Cornue.

— Vous acceptez ?

— Pourquoi pas ?

Sinon recommencer dans le centre commercial à racoler sans enthousiasme. En huit jours elle avait trouvé deux crétins inquiets et radins. Elle n’était pas douée pour la passe, devait le reconnaître et tout le fric passait en cognac anesthésiant.

— Vous vous installez sans trop donner de détails sur votre vie privée et essayez de vous faire adopter. Ce Bunker ne peut se maintenir au centre-ville que si tous les habitants et locataires sont d’accord. Il y a une entente solide entre tous.

— Si solide que les Sanchez ont préféré en finir avec ce mode de vie ? Je pense que cette entente doit être au contraire très difficile à supporter, non ?

— C’est à vous de le découvrir, avait répondu prudemment le gros mou.

— Je vais très vite paraître suspecte, non ?

— Pas de paranoïa… Il n’y a ni gangsters ni gendarmes dans cette affaire. Nous voulons seulement nous faire une idée aussi juste que possible de la situation. Tout ce qui pourrait nous aider à hâter la procédure d’expropriation serait bienvenu.

— Ces deux suicides hypothèquent sérieusement vos projets ?

— Ce sont ceux du conseil municipal.

Ouais, mais peut-être que Bossi avait des intérêts obscurs dans le coup. Dans cette ville aux tripotages fameux, rien ne pouvait plus surprendre Alice Soult. Déjà du temps où elle travaillait, chaque fois qu’elle devait affronter ces gens-là, il y avait des difficultés, des sous-entendus, des tas de choses qui mettaient mal à l’aise. Et à cette époque elle croyait encore à son travail, à sa mission sociale.

Pour finir, un troquet minable en longueur où venaient picoler des épaves, des cloches, des Maghrébins.

Avec une nuit violacée de néon.

La rue tournait comme un haut-fourneau, les trois-huit sans débander. Deux pour le commerce à visage découvert, un pour les putes, les macs, les trafics miteux ou prospères avec juste cette giclée persistante de friture pour liant.

Vers quelle heure se situait la rupture ? Dix, onze heures ? Alice savait que lorsque le patron la regarderait, perplexe, il y aurait le changement d’équipe. Il lui faudrait partir pour éviter la confusion, le quiproquo.

Ou alors elle n’était qu’une pute nouvelle vague.

En face, c’était le Bunker avec ses trois étages et ses six appartements. Non, cinq. Moins les Sanchez, restaient donc quatre. Au rez-de-chaussée, une boutique de fruits et légumes tenue par celui du dernier étage droite : Roques. Ouvert de cinq heures du matin à huit du soir, il était de la partie visible de l’iceberg. Celle qui s’étirait sur près du tiers de la journée et qui contrairement aux principes de glaciologie aurait dû être la plus importante.

Mais Alice se doutait que l’autre, la plus courte, huit heures, en fait six, cinq peut-être moins encore, conditionnait la vie du quartier, en souterrain. Les heures de nuit comptaient double, non ?

Elle devrait se décider à aller voir. Les clés pesaient dans son sac. Avec le fric de la mairie, des cigarettes, et pas grand-chose d’autre. La valise serait pour demain.

Ce soir, elle arrivait presque nue dans le Bunker et en frissonnait déjà. Dès qu’elle donnerait de la lumière dans l’appartement du premier gauche tout le Bunker accuserait réception de l’intruse.

Déjà le patron ne cessait de regarder dans sa direction. Preuve que la ligne de démarcation entre le jour et la nuit se rapprochait. Il lui fallait se décider à franchir le seuil d’en face.

CHAPITRE II

Le sordide, c’était pour la façade, la rue, l’opinion publique du quartier mais une fois la minuterie allumée c’était le crépi façon H.L.M. De luxe, l’escalier correct avec revêtement plastique, plantes vertes à mi-palier. Rien de suintant ni de suffocant, même pas l’humidité habituelle du coin, même pas le salpêtre que l’air marin favorisait un maximum dans les immeubles les plus chics. Rien que du banal, du rassurant et presque déçue, encombrée de ses appréhensions et de ses fantasmes, Alice grimpait au premier, glissait la clé dans la serrure.

« Si ça sent encore le gaz moi je repars, merde ! » se dit-elle entre les dents.

Non, ça puait autre chose mais pas le gaz et le chat qui vint coller à ses mollets sa douceur soyeuse ne la fit même pas hurler. Elle s’accroupit pour le caresser et il ronronna.

— Mais dis donc tu t’es laissé enfermer, depuis quand ? Il n’était pas maigre mais il la suivait en miaulant.

— Tu sais, pour le Ronron, n’y compte pas trop mais on va voir ce qu’on peut faire.

Surprise malgré tout par l’ordre et sinon la beauté mais du moins la gentillesse des lieux. Cuisine moderne, intégrée bien entendu pour faire comme tout un chacun, living moelleux avec banquette en angle, table basse verre métal, fleurs artificielles, deux chambres, l’une d’elles maudite depuis que les Sanchez avaient ouvert le gaz du radiateur. Il y en avait dans chaque pièce de ces radiateurs à gaz. Elle aurait préféré des électriques.

— Patience, le chat, dit-elle en ouvrant le congélateur au-dessus du réfrigérateur imposant.

Bon sang, c’était vrai ! Garni à bloc et si les placards intégrés étaient aussi pleins… Elle sortit un beef haché de sa boîte puis de son plastique, essaya de le poser sur l’évier pour le laisser dégivrer. Mais le chat le dédaigna :

— Toi, ça fait à peine un jour, non, quelques heures, que tu es enfermé ici. Tu n’es pas un Sanchez, pas vrai ? Elle ouvrait les placards, découvrait les boîtes de sucre sur rangées de cinq sur quatre et en profondeur autant, de l’huile, des boîtes de conserve.

— On pourrait tenir un ou deux ans… Ils craignaient quoi, les Sanchez, tu peux me dire, le chat ?

Il y avait aussi des liquides, du cognac. Pas très fin, pas V.S.O.P. Mais enfin… Justement, elle regrettait de ne pas en avoir acheté une bouteille avant de pénétrer dans le Bunker.