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— Tu crois, chat, que je peux, que l’inventaire de M. Bossi ne sourcillera pas ?

Elle prit une bouteille, tourna le bouchon et goûta à même le goulot.

« Raide, mais c’est préférable pour une nuit sans grincements de portes et gémissements de douleur. » Elle emporta la bouteille dans le living, brancha le téléviseur et se servit une bonne ration dans un verre ballon de faux cristal. L’apparence était trompeuse. En fait, c’était tout faux luxe, plastique imitant le bois comme pour la cuisine et canapés de dernier choix.

Jusque le cognac qui avait tout d’un tord-boyaux. Mais le chat lui était précieux, rare avec sa fourrure délicate et sa tendresse excessive qui lui faisait piétiner, griffes mi-sorties, la cuisse de sa nouvelle amie. Elle se força à avaler son alcool avant d’oser retourner jeter un coup d’œil aux chambres. De toute façon, dans le doute, elle s’abstiendrait et dormirait aussi bien sur le canapé avec juste quelques couvertures et sans gaz.

Mais pour l’instant il lui fallait allumer l’appareil du living où il ne faisait pas très chaud.

— Alors, le chat, dis-moi à qui tu es ? Pas aux Sanchez et tu as suivi ton patron ou patronne lors d’une visite clandestine ici, pas vrai ?

Le chat continua à pianoter allègrement sa cuisse en ronronnant. Bon prétexte pour reculer sa visite détaillée à la chambre mortuaire. S’étaient-ils allongés en se donnant la main pour mourir ? Avaient-ils avalé des tranquillisants ou des somnifères ?

— Tu connaissais les Sanchez, minet ? Il y a une photo de mariage dans leur chambre mais je n’ai pas osé la regarder de près. Dans le fond rien ne m’oblige, hein ? Demain.

Elle prit le chat dans ses bras, approcha de la fenêtre mais, les rideaux écartés, comprit ce que voulait dire Bossi. Il y avait des plaques d’acier vissées sur les persiennes. Pas moyen de plonger en face dans le bistrot où elle avait siroté des cognacs avant d’affronter le Bunker.

— Ce n’est pas croyable, dit-elle en déposant le chat.

Il faut le voir pour le comprendre. Une paranoïa pareille… Crainte de l’environnement ou de l’expropriation ? Les deux, plus des tas de petites terreurs qui montent le coup à des gens fragiles. Psychiquement fragiles qu’il a dit Bossi.

Mais elle avait été embauchée, avait reçu cinq mille francs. « Nous avons de bons renseignements sur vous. » Tu parles ! Il devait au contraire savoir le plus moche, la drague dans le centre commercial, cette tentative de prostitution à domicile qui avait lamentablement foiré.

Le premier se méfiait d’un mari complaisant qui n’existait pas et le second ne voulait faire ça qu’en bagnole, en avait toujours rêvé mais sa femme ne voulait rien entendre.

— J’ai fait la pute, je crève littéralement de faim et voilà pourquoi on m’embauche comme assistante sociale de la ville, même pas contractuelle, ni auxiliaire. Je suis quoi, merde, sinon une sorte de fille qu’on paye en liquide.

Même pas un chèque pour me rassurer. Il faut que je note le numéro de ces billets avant qu’ils ne filent trop vite.

Déjà j’en ai échangé combien, quatre, peut-être cinq ? J’avais besoin de me fringuer un peu.

Elle alla dans la cuisine pour essayer de calmer le feu que le mauvais cognac alimentait dans son tube digestif et son estomac, trouva du fromage dans le réfrigérateur, du pain congelé dans le compartiment supérieur, le plaça dans le four de la cuisinière mixte celle-là. Vive l’électricité !

— Le chat ?

Il avait disparu et elle fouilla partout sous les meubles du living, alla dans le fond du couloir et vit la porte entrouverte, dénicha un escalier à vis.

— Merde alors !

Elle leva la tête, comprit que les dix-sept marches débouchaient sur une pièce en duplex. Le chat devait se trouver là-haut mais elle n’osa pas grimper.

— Reviens, dis…

Le pain commençait de brûler dans le four et elle alla réduire la chaleur, retourna dans cette sorte de cagibi où on avait installé cet escalier rapporté, bien plus tard. On trouvait ce genre d’escalier en kit dans les magasins de bricolage et Alice avait toujours rêvé devant ces marches que l’on pouvait emboîter soi-même pour construire une sorte d’échelle magique.

— Le chat, tu peux revenir, dis ?

Elle posa le pied droit sur la première marche, pensa que tout allait s’écrouler mais non. L’escalier tenait et la hissa jusqu’à ce que sa tête vienne à fleur d’un plancher au moquette de mèches longues. Pour un gars déjà installé là, cette tête aurait pu provoquer une belle panique.

Elle avait beau avoir un regard bleu agréable, des cheveux d’un châtain clair virant parfois sur le roux, selon la lumière, elle n’oubliait pas ses yeux que l’alcool depuis deux ans bordait de petits bourrelets graisseux, comme ses pommettes trop couperosées et également coussinées.

— Pas mal.

La planque pour la hi-fi, l’amour peut-être. Moquette et coussins seulement, hi-fi bien sûr, imposante peut-être deux briques. Les Sanchez, conformistes comme tout le monde dans le bas, s’éclataient dans le haut, dans cette pièce unique avec de quoi se rouler par terre, vivre à fleur de sol, baiser dans tous les coins.

— Marrant ! Ils auraient pu choisir de mourir ici, non ? Elle chercha en vain le gaz. Juste une rampe électrique façon plinthe. Mais le chat ?

— Hé ! Copain, tu te caches ?

Elle chercha un peu mais sans beaucoup de courage.

Il lui fallait redescendre bouffer quelque chose sinon le mauvais cognac ne passerait pas. Elle avait envie de vomir. Pourtant elle n’avait pas exagéré, essayait de faire le compte mais au-delà de dix, elle avait oublié celui pris en face de la mairie après avoir quitté le gros mou…

— Chat, tu désertes ?

Elle redescendit à reculons pour essayer de voir s’il ne gîtait pas dans un coin mais ne le vit pas. Elle retrouva Monsieur Meuble dans toute sa superbe que ce soit dans le living ou la cuisine, mais le pain devenait comestible et il y avait une boîte de pâté. Du simple, graisseux, mais elle ne détestait pas. Du vin capsulé, et elle aimait aussi. Elle prépara un gros sandwich, avala un verre de vin avant pour préparer son organisme à la nourriture.

— Les infos.

Elle se planta devant le téléviseur et sourit à Poivre d’Arvor. Elle était contente qu’ils aient gardé ce gentil giscardien, les nouveaux. Elle avait souvent fantasmé avec lui, quand ça n’allait plus avec son mari. Gaston devenait Poivre quand elle avait envie de faire l’amour et qu’il lui fallait en passer par son connard d’époux.

« Ils vivaient quand même bien les Sanchez. Ils

étaient arrivés à une sorte de sommet dont on voulait les déloger. Faut quand même comprendre, monsieur Bossi.

D’accord on se suicide pas deux-trois ans avant l’expropriation qui peut prendre encore autant mais voilà, est-ce qu’ils étaient faits pour supporter cette attente, ce suspense ? Eux ils ont choisi le gaz mais les autres vous flanquent la pétoche si jamais ils optaient pour le flingue ou l’explosif. Un Bunker dans la ville avec des dingues qui tiraillaient à vue. Et dans la configuration du quartier restait plus que le bombardement en hélicoptère, monsieur Bossi. Même pas moyen d’accéder à leur toit sans qu’ils s’en rendent compte. »

Il y avait une cour intérieure que les appartements épousaient en fer à cheval, en U plus précisément.

Comme ça les copropriétaires disposaient de tours d’angle pour prendre à revers les assaillants. D’accord, le cognac la poussait vers le film catastrophe, mais M. Bossi, de quoi aurait-il eu peur sinon ? Des gens fragiles psychiquement ! Elle avait envie de rire.

— Ta santé, Poivre, dit-elle en levant son verre. Tu es beau gosse, tu le sais, et moi je commence à faire poivrote cracra. Je suis lucide, tu sais.