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— Mais ils s’en vont, dit Alice. Pas vrai, monsieur Roques ? Votre ami est vraiment fragile du point de vue psychique… Mais comme j’ai eu à souffrir d’un long et douloureux chômage je ne lui en garderai pas rancune.

— D’accord, dit Roques… Nous aurons bien l’occasion de nous revoir.

— Bonsoir… Hé ! Attendez ! Le chat, à qui est-il ?

— À moi, dit Pierre Arbas entre ses dents. Il n’a rien à faire ici.

— D’accord, si je le revois je vous le rapporte… Il a dû crotter dans un coin.

Elle referma sa porte et dut s’appuyer au mur. Ça venait comme ça sans prévenir. En général elle était couchée à cette heure-ci et dormait comme une masse.

Elle aurait voulu retrouver ce flot de sottises. En un instant elle avait certainement grillé ses chances, donné des soupçons. Sa mission se terminait sur-le-champ et elle pensait même qu’il lui fallait rentrer chez elle. Mais le pouvait-elle ? Et ce fric, ce fric dans lequel elle avait déjà mordu sans pouvoir même rendre ces quatre ou cinq dérisoires billets.

— Merde, merde ! Cria-t-elle, les larmes pleins les yeux en glissant le long des murs jusqu’à la cuisine où la vue de son sandwich la révulsa. (De même les deux bouteilles, pinard et gnôle.) La plus belle conne… Vous la connaissez la plus belle conne ?

À la télé plus de Poivre, rien qu’un truc incompréhensible. Peut-être un jeu ou une parlote. Un type posait des questions. Comme toujours. C’était ça la télé maintenant. Elle s’appuya au mur, ferma les yeux. La nausée, le vertige, les jambes mortes et pourtant l’envie de faire l’amour, d’être caressée, entourée.

« Si je m’en sors je freine sur le cognac. »

Sortir de quoi ? De cette impression qu’elle allait crever ou de celle d’avoir tout gâché, tout brûlé face à ce petit con en costume trois-pièces. Pourtant il l’aurait baisée, lui, malgré son air dégoûté. Elle avait lu ça dans ses yeux plus que dans ceux du marchand de légumes.

Elle trouva la salle de bains, fit couler l’eau de la douche, hésita puis se plaça dessous, nuque offerte.

Glacial, le jet picorait sa peau révulsée. Il fallait qu’elle sorte de cette mare d’alcool journalier. Elle n’arrêtait pas de se mentir. Certainement quinze cognacs, peut-être dix-huit depuis le matin. Fatal qu’en fin de journée elle ait craqué. Au bon moment alors que deux des quatre occupants du Bunker étaient là chez elle.

— Ils étaient là, gémissait-elle sous la pluie froide, je pouvais les inviter à prendre quelque chose. Je pouvais commencer mon boulot, moi, sans avoir l’air de m’imposer puisque c’étaient eux qui venaient de faire irruption chez moi, eux qui se sentaient plutôt couillons… Je crois que depuis quelques années j’ai le don pour tout gâcher, foutre en l’air.

Elle finit par se redresser, coupa la douche, trouva une serviette pour s’envelopper la tête. Elle se regarda dans la glace du lavabo. À faire peur avec sa gueule d’alcoolo mais baisable avec ses nichons fiérots, surtout le gauche le plus actif toujours. Elle lui sourit vaguement, pensa à la tête de ce jeune type, Arbas hein ? Et comment avaient-ils dit au fait pour le vieux qui vendait en viager ? Cambrier ? Ou quelque chose…

Elle essuya ses cheveux mais ne pouvait tenir debout et le fit, appuyée à la baignoire. Qu’est-ce qu’elle venait foutre dans cette salle de bains inconnue ? Si elle n’avait pas avalé quelques verres avant de rencontrer Bossi elle n’aurait jamais accepté.

— Un jour que j’aurai bu ils se mettront à quinze pour me sauter et ça ne va pas tarder.

On sonnait depuis un moment et elle se croyait ailleurs, dans son appartement. Le téléphone de son voisin sonnait toujours comme ça. Mais là c’était à la porte et elle eut peur, terriblement peur. Ils revenaient tous cette fois pour la cogner.

CHAPITRE IV

Monique Larovitz sursauta en apercevant le grand couteau à découper que la nouvelle locataire tenait d’une main tremblante au-dessus de sa tête.

— Vous n’avez rien à craindre… Voyons… Pourquoi êtes-vous si effrayée ?

Alice la regarda comme si c’était un rêve puis se traita de tous les noms. Conditionnée par Bossi, elle en faisait trop et ils allaient se douter de quelque chose.

— ’Scusez-moi mais je suis un peu partie… D’accord j’ai bu un peu mais vous comprenez… Trouver un boulot et un appart le même jour.

— Je comprends, dit la jeune femme.

Pas belle, ça non, mais l’air gentil. Mièvre avec sa peau trop blanche et sa bouche en cœur trop rouge. Maladive comme une fleur de serre mal chauffée.

— Venez prendre un peu de potage avec moi ? J’en ai fait pour les enfants.

— Je vais déranger.

— Non, mon mari est en voyage pour son métier…

Je suis seule et obligée de rester à la maison.

— Je ne suis pas présentable.

— Nous sommes entre femmes, vous savez.

La même entrée ou presque, la même cuisine Monsieur Meuble ou Géant du Meuble. Elle se retrouva avec un bol plein de soupe paysanne.

— C’est pas des sachets. Pour les gosses vaut mieux pas hein ?

— C’est bon.

Le bol était déjà un programme. Comme à une vieille d’hospice ou une clocharde à l’Armée du Salut. Parce qu’une assiette c’est déjà le luxe, le raffiné, la civilisation.

Elle but quand même jusqu’au bout cette première soupe offerte depuis des années.

— Vous savez, ils ne sont pas méchants mais nous avons eu tant de désagréments depuis quelque temps.

— Les Sanchez ?

Elle avait quelque chose d’un navet. Un gentil navet avec sa houppette de cheveux vaguement punk sur le crâne. Un navet que des gosses auraient peinturluré pour en faire un visage. Mais le navet persistait plus que l’humain.

— Ils n’auraient jamais dû vouloir partir.

— Fragiles, murmura Alice… Psychiquement fragiles.

— C’est quoi ?

— Vous ne vous doutiez de rien ?

— Nous savions qu’ils préparaient quelque chose…

Peut-être un départ… Vous voulez de la soupe, il en reste ?

— Je veux bien.

Elle se forcerait mais continuerait à profiter de cette présence amicale. Même si la fille était simplette. Ça lui faisait du bien d’être là.

— Pierre, Pierre Arbas est nerveux… Toute la journée à attendre…

— Il n’a aucun espoir ?

— De toute façon il faut bien que quelqu’un attende, non ?

« Complètement siphonnée », pensa Alice. C’est qui qui boit du cognac ici ? Ce navet répondait toujours à côté de la plaque et c’était affolant. C’était quoi le Bunker, un asile de fous camouflé au sein de la ville, une autre planète ? Un vaisseau spatial égaré qui attendait d’être réparé pour filer vers les étoiles avec ses non-humains.

— Bien sûr, fit-elle bien décidée à ne plus jamais contrarier personne dans l’immeuble. Votre mari voyage ?

— V.R.P.

— Oh ! Fit Alice toujours impressionnée par l’utilisation aisée de sigles, abréviations et autres monogrammes.

Dans le milieu social il y en avait des dizaines qui formaient un code hermétique, un langage chiffré pour initiés.

— Il voyage beaucoup et ne peut être ici que le samedi et le dimanche. Mais alors il met les bouchées doubles.

Alice cligna de l’œil, égrillarde, mais visiblement elle n’était pas dans le coup et le navet parlait d’autre chose.

Soudain elle pouffa. Il y avait Roques qui vendait du légume au rez-de-chaussée et cette femme gentillette qui avait l’air d’un navet échappé de son éventaire. Elle secoua la tête, expliqua que c’était nerveux.