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— Vous comprenez que Pierre…

Elle rougit. Un radis rose c’était quand même mieux, pensa Alice qui flottait sur des coussins de vapeurs de cognac. Mais elle avait repris un peu de lucidité. Elle était sûre que Monique machin avait le béguin pour Arbas et que ce dernier, une fois peut-être, désœuvré, comme tout un chômeur, avait dû se laisser aller. Et désormais il peuplait le romantisme flou de la petite voisine.

— Je veux dire M. Arbas, mais vous verrez ici on est tous copains, on s’appelle par nos prénoms. Il règne beaucoup d’entente, de sympathie… Pierre a beaucoup de responsabilités étant donné que les autres messieurs…

Navet désuet ! « Ces messieurs me disent, trempez-la dans l’huile… » Alice souriait, très égayée. Une chaude ambiance dans le Bunker ? Partousait-on ? Elle ne le pensait pas, mais à la fin une certaine complicité devait s’instaurer.

— Vous vous entendez comme larrons en foire, hein ?

— Oh ! Qu’allez-vous imaginer ? fit le navet offusqué.

Alice se le tint pour dit, reposa son bol avec encore un fond de soupe froide.

— Vous avez encore faim ? Je peux vous faire un beef, ce que vous voulez… J’ai le congélateur toujours plein…

Cette fois, Alice ne riait plus et regardait le combiné congélateur-réfrigérateur. Le premier était presque plus important que le second et qu’y avait-il derrière les portes en faux bois des placards de la cuisine intégrée ? Des tonnes de sucre, des litres d’huile, des conserves par centaines ? L’état de siège, les restrictions, la famine et la fin du monde s’inscrivent dans l’avenir de ces gens-là ? Une secte ? Voilà la solution. Une secte qui vivait repliée sur elle-même. Des sataniques qui adoraient le diable et faisaient des sacrifices humains ?

— Ne jugez pas Pierre Arbas… Il croyait que vous aviez des arrière-pensées… Il est venu ensuite ici m’expliquer.

Elle rougit :

— Léon Roques, lui, a dû aller faire sa comptabilité comme chaque soir avant de dormir. Il se lève tôt pour aller à Sainte-Musse faire le plein de sa camionnette…

C’est dur comme métier…

— Votre mari, c’est comment ?

— Serge, sa famille est polonaise.

— Que vous disait Pierre ?

— Il était désolé. Nous vivons un peu sur les nerfs avec cette histoire d’expropriation et nous devons nous méfier. Vous savez qu’on doit nous exproprier ?

— Non… Vous croyez ?

Grave, plus navet que jamais dans le sérieux, Monique soupira :

— Voilà d’où vient le malentendu. Il était impossible de concevoir qu’une personne au courant accepte de venir reprendre cet appartement abandonné depuis la mort des Sanchez… Et vous avez parlé de viager.

— Le vieux, comment l’appelez-vous ?

— Cambrier ? C’est un demi-fou… Il ne pense qu’à l’argent…

C’était bien Cambrier ; tout allait bien.

— Il voulait essayer de vous embobiner. Il perd la tête et depuis longtemps. Voilà pourquoi il vous a dit ça.

— Pour le moment je loue.

— Oui, bien sûr, il ne peut espérer trouver mieux. Oh, pardon je voulais dire mieux comme arrangement. Il préférerait un viager, bien sûr, avec bouquet et rente.

Nous lui donnons quand même mille cinq cents pour cet appartement. Si nous ne l’avions pas retapé ce serait quoi ? Un gourbi !.. D’ailleurs, ceux qui n’avaient rien fait c’étaient des gourbis, des étables à cochons tout juste bonnes pour les Arabes… D’ailleurs le vieux il voulait louer à des Arabes, vous vous rendez compte.

— Votre mari est polonais ?

— Mais français ; il a fait son service et il est catholique comme tout le monde…

Alice se demanda soudain si les Larovitz possédaient également une pièce à l’étage à laquelle on accédait par un escalier à vis.

CHAPITRE V

Elle dut dormir quatre heures d’un profond sommeil avant que le chat ne saute sur sa poitrine et ne la fasse bondir affolée dans la pièce à peine éclairée par la lampe du vestibule. Une chance qu’elle ait songé à laisser cette veilleuse. Tout de suite elle sut où elle était et vit le chat qui flairait ses couvertures avec précaution.

— Écoute, le chat, murmura-t-elle, tu ne trouves pas que tu exagères ? Tu te planques puis tu réapparais alors que je n’ai nulle envie de te voir.

Elle alla s’asseoir sur la banquette et le serra contre elle.

— Tu t’en fous complètement. Dis-moi… Mais qui t’envoie, ton maître Pierre Arbas qui ressemble si fort à Poivre d’Arvor ? Ou bien le fuis-tu parce qu’il est cruel avec toi ?

Elle s’allongea et essaya de ne pas penser mais elle reprenait de plus en plus des idées claires et se disait qu’elle ne boirait pas autant le lendemain. Elle commencerait d’abord par ne rien avaler le matin. Le premier cognac après le repas de midi, pas avant.

Le chat sauta à terre et elle l’entendit dans la cuisine.

Comme il y avait des paquets de lait upérisé elle en ouvrit un carton, lui en versa dans une soucoupe mais il le dédaigna. Il fila vers l’escalier au fond du placard et disparut en direction de l’étage. Les Sanchez avaient dû acheter une chambre et se relier à elle par cette vis en bois.

Une chouette idée, pensa-t-elle. Elle n’avait pas réussi à savoir si les Larovitz en avaient fait autant.

En retournant éteindre dans la cuisine elle vit la bouteille de cognac mais retourna s’allonger. Pourtant elle continua d’y penser, finit par décider de boire une gorgée à même le goulot. Ce fut une très grosse gorgée qu’elle garda en bouche pour l’avaler peu à peu. Chaque goutte allait exploser dans son estomac comme des gouttes de nitroglycérine.

Elle se réveilla sans savoir l’heure ; il n’y avait aucune trace de jour aux volets renforcés. Sa montre indiquait huit heures.

L’odeur de friture pénétra avec l’air humide et ce n’était qu’en second qu’on recevait l’iode et le sel de la rade proche.

Le patron du bistrot balayait sa terrasse et lui adressa un coup de menton. Heureuse, elle prit ça comme une reconnaissance du fait de son insularité dans le quartier.

Elle se fit du café, alla en boire la première tasse à la fenêtre. Malgré l’étroitesse de la rue, elle pouvait suivre l’effervescence qui gonflerait jusque vers dix heures à cause du marché proche.

Elle emporta sa tasse à la salle de bains, prit une bonne douche qui lui donna faim. Elle termina son café et décida d’aller en prendre un autre en face.

— Bien dormi ? demanda le patron.

Il avait des croissants et elle en grignota un. Un exploit qu’elle n’avait pas accompli depuis des semaines. Ces derniers temps elle attaquait direct au cognac. Elle le volait dans les supermarchés mais surtout dans les petits magasins où les gérants se méfiaient plus des jeunes et des Arabes que de cette jeune femme en deux-pièces velours fané mais encore élégant.

Le jeune homme maigre en jean et blouson de cuir entra peu après et s’approcha du bar pour commander un expresso.

— Alors vous allez écrire encore sur les Sanchez ?

— Non, répondit le garçon à la question du patron.

Terminé, les Sanchez. Les Sanchez… Ils ne m’ont pas porté bonheur…

— Ah oui, fit le patron indifférent.

— J’ai été viré par le journal. Mon article n’a pas plu.

Il paraît que l’expropriation c’est pas pour demain. En fait je me suis trompé. J’ai parlé d’expulsion au lieu d’expropriation. Une erreur impardonnable.