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Ça ne pouvait être la fille qui m’avait « levé » cette nuit.

Le regard gris et pénétrant de mon interlocutrice m’a fait perdre le peu d’assurance qui me restait.

— Mademoiselle…

J’espérais qu’elle me questionnerait, mais elle est restée immobile, avec un air de curiosité mécontente qui ne me disait rien de bon.

J’ai balbutié :

— Ma visite doit vous surprendre ?

Elle a attendu, patiente comme l’éternité. Bon Dieu, était-elle muette ou quoi ?

— Je viens pour… pour recueillir un… un certain renseignement. Possédez-vous une automobile immatriculée 98 TU 6 ?

J’ai enfin entendu sa voix. Une voix chaude et profonde, un peu triste aussi.

— Qui êtes-vous, monsieur ?

— Pardonnez-moi… Victor Menda…

Naturellement, ça ne lui disait rien. Le contraire eût été surprenant.

— À quel titre vous occupez-vous de ma voiture, monsieur Menda ?

Indirectement, elle répondait par l’affirmative à ma question.

J’ai regardé l’infirme immobile dans le patio… Ce ne pouvait non plus être elle, la femme de la nuit.

Mon regard s’est posé sur mon interlocutrice.

— Cette nuit, j’ai été… renversé par votre voiture, madame…

— Mademoiselle !

C’était cassant. Il y avait sur ses lèvres une petite moue méprisante. J’ai vu ce qu’elle pensait. Elle croyait que je venais lui soutirer un peu de fric d’une façon ou d’une autre, et elle se tenait sur la défensive.

— Cette nuit !

— Oui.

— Ça m’étonnerait. Voilà trois jours que l’auto n’est pas sortie du garage…

— C’est une voiture américaine, n’est-ce pas ? ai-je demandé, saisi d’un doute.

Après tout, il était possible que j’aie mal lu l’un des chiffres. Une éclaboussure a vite fait de transformer un huit en six, la nuit surtout.

— Parfaitement.

— Alors, je ne me suis pas trompé, c’est bien de votre auto qu’il s’agit. Elle m’a renversé sur une route bordant la plage… Je n’ai eu aucun mal…

— C’est heureux, a-t-elle ironisé. Mais vous allez sans doute me dire que votre costume a été gâché ?

Un bref instant j’ai cru reconnaître sa voix cinglante. Pourtant non, ça ne se pouvait pas. J’avais en face de moi une femme équilibrée qui ne se livrait sûrement pas à des équipées nocturnes de cette nature.

— Non, mademoiselle… Je n’ai pas eu de costume endommagé… Je voulais simplement voir la conductrice de cette voiture… et je ne pense pas que ce soit vous. Excusez-moi donc de vous avoir importunée…

J’ai esquissé une petite courbette et j’ai fait demi-tour…

À peine avais-je descendu deux marches du perron que sa voix retentissait.

— Monsieur Menda, s’il vous plaît…

Je me suis retourné. Elle se tenait immobile au milieu du hall, les bras croisés.

— Mademoiselle ?

— Voulez-vous venir un instant ?

Je l’ai rejointe. Elle m’a fait entrer dans le living et m’a désigné un fauteuil moelleux.

— Asseyez-vous !

Elle a pris place dans un siège en face du mien et elle est parvenue à croiser les jambes sans me montrer ses genoux.

— Je ne comprends rien à cette histoire, a-t-elle murmuré. J’habite seule ici avec ma sœur infirme… et la vieille servante que vous avez vue. Ni l’une ni l’autre ne sont capables de conduire, bien entendu… Et en ce qui me concerne, je suis certaine de ne pas avoir pris l’auto cette nuit. D’ailleurs, je ne sors jamais le soir.

Elle paraissait sincèrement troublée. J’ai hoché la tête.

— Quelqu’un aura emprunté votre voiture…

— Je l’aurais entendu.

— Pas nécessairement. J’ai remarqué que votre garage donnait sur la route ; d’autre part, le moteur de votre auto est silencieux…

Elle a réprimé un haussement d’épaule.

— Mais…

— Oui ?

— La clé du garage ?

— Celui-ci est pourvu d’un rideau de fer. Il arrive fréquemment que des graviers empêchent le rideau de toucher le sol. On croit fermer à clé et, en réalité, le pêne n’est pas engagé… Vous ne vérifiez jamais, je parie ?

— Non, en effet…

— Et vous laissez votre clé de contact sur le tableau de bord ?

— Oui…

— Alors, ne cherchez pas, mademoiselle… Une personne du voisinage s’offre des promenades au clair de lune avec votre auto.

— C’est inouï…

Moi, ça ne me surprenait pas outre mesure. La souris de cette nuit avait un comportement qui laissait le champ libre à toutes les suppositions.

— Vous croyez que je doive porter plainte ?

— Êtes-vous sûre que votre auto soit au garage ?

— Elle y était tout à l’heure… Je suis allée prendre un colis dans le coffre.

— Alors, ôtez la clé de contact à l’avenir, et assurez-vous du bon fonctionnement de la porte. Les policiers ne comprendraient pas que vous les dérangiez pour si peu.

J’allais me lever. Il y a eu un petit grincement en provenance du hall. J’ai tourné la tête dans cette direction, et j’ai vu la jeune fille blonde du patio qui arrivait en actionnant les roues de son fauteuil. Vue de près, elle était plus belle encore !

Elle m’a fixé droit dans les yeux. Je me suis senti rougir. C’était un personnage de légende nordique. Sa blondeur, sa pâleur dégageaient quelque chose d’irréel.

La sœur aînée a fait les présentations.

— Voici monsieur Menda, Ève…

Et à moi :

— Ève, ma sœur…

L’infirme attendait des explications au sujet de ma visite. L’autre lui a résumé la situation. Cette histoire bizarre n’a pas semblé inquiéter la fille blonde…

D’un mouvement preste, elle a propulsé son fauteuil jusqu’à moi.

— Menda, a-t-elle dit… Seriez-vous Victor Menda ?

Je crois que la sœur a été plus stupéfaite que moi.

— Comment, Ève, tu connais monsieur ?

— De nom, oui… Vous aviez bien une émission à la radio l’an dernier ?

— En effet… Vous l’écoutiez ?

— Oui, régulièrement. Tu te souviens, Hélène la petite causerie du soir intitulée « Bonsoir, vous tous » ?

— C’était vous ? s’est écriée Hélène.

Elle souriait pour la première fois et j’ai été surpris de voir à quel point ça l’embellissait. Vous savez, parfois, vous vous promenez dans une campagne maussade, sans prendre garde au paysage. Et puis voilà un coup de soleil et tout se met à vivre, à vibrer, à chanter…

Il s’est produit le même phénomène pour elle. Elle m’a semblé jeune, belle et ardente…

— C’était moi… Je ne pensais pas avoir laissé un souvenir quelconque dans la mémoire de certains auditeurs.

— Vous avez une voix sensationnelle, a déclaré Ève Lecain, il est difficile de l’oublier… Pourquoi ne produisez-vous plus rien à la radio ? C’était bien, votre truc !

— C’est au comité qu’il faut poser la question. On n’a pas aimé le côté un peu… intimiste de mon émission et elle a sauté des programmes.

— C’est dommage, a affirmé Hélène.

J’ai ricané :