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Logiquement, c’était la cassure. Mes relations avec les demoiselles Lecain étaient terminées. L’insulte d’Ève était si grave qu’Hélène n’a même pas cherché à l’excuser. Seulement le hasard veillait. Et il s’est manifesté de la façon la plus cocasse qui soit.

Comme je passais en bordure de la pièce d’eau pour éviter le fauteuil de la jeune fille, mon pied s’est pris dans l’anneau servant à soulever la dalle qui protégeait la robinetterie. J’ai essayé de rattraper mon équilibre compromis. Mon autre pied a dérapé sur le rebord poli du bassin et j’y suis allé de mon plongeon.

Je vous conseille ce genre de numéro lorsque vous voulez divertir vos invités. Avec la tarte à la crème, il constitue un effet infaillible.

Je me suis retrouvé assis dans quarante centimètres d’eau, avec l’air ahuri d’un égoutier en tenue de travail qui débarquerait dans un club londonien.

Les deux sœurs riaient aux larmes. Je me suis levé, ruisselant, furieux après moi et après elles. Une violente envie de gifler ces deux oisives me faisait trembler la main.

Seulement, vous ne l’ignorez pas, de toutes les réactions humaines, le rire est la plus communicative. Ma colère a soudain fait place au plus formidable fou rire de ma vie… J’ai été obligé de m’asseoir sur le bord du bassin, les pieds dans l’eau, plié en deux par l’hilarité…

La première, Hélène a récupéré son sérieux. Elle m’a tendu la main pour m’aider à sortir de la pièce d’eau…

Debout sur les dalles de pierre du patio, le pantalon plaqué sur les jambes, je continuais d’être grotesque.

— Il faut vous changer, m’a dit Hélène, venez… Je vais vous prêter un peignoir de bain et nous enverrons Amélie chercher des vêtements à votre hôtel… Où êtes-vous descendu ?

— Les Flots bleus…

Je l’ai suivie jusqu’à la salle de bain, au premier étage. Pendant que je me débarrassais de mon complet mouillé, je l’ai entendue qui donnes instructions à la servante. C’est alors que j’ai pensé à ma note d’hôtel impayée. Jamais le propriétaire de cet honorable établissement ne laisserait embarquer mes bagages dans de telles conditions ! Mort de honte, j’ai entrouvert la porte de la salle de bain.

— Mademoiselle Lecain !

Elle se trouvait sur le seuil de la chambre.

— Oui ?

Le peignoir blanc, trop étroit pour mes larges épaules, devait me faire paraître ridicule… Il était beaucoup trop court et les manches kimono m’arrivaient presque aux coudes…

— Je… Je crois inutile de déranger votre bonne… Si elle voulait simplement donner un petit coup de fer à mon pantalon, juste pour me permettre de traverser la ville…

Hélène a secoué la tête.

— Vous n’y songez pas ! Il est trempé… Dans deux jours il sera encore humide…

— Tant pis… Je…

Elle s’apprêtait à protester encore, puis elle a brusquement compris. Je me suis senti rougir. Le sang de la honte me brûlait le visage.

Hélène s’est détournée et a rappelé la servante.

— Amélie !

La vieille a passé sa figure chafouine à travers les barreaux de la rampe.

— Mademoiselle ?

— Monsieur Menda va s’installer ici quelque temps. Vous réglerez son hôtel et prendrez un taxi pour ramener ses bagages…

Amélie a failli s’évanouir de surprise.

— Ici… a-t-elle balbutié. Puis, se reprenant :

— Bien, Mademoiselle.

— Je pense que vous ne refuserez pas cette joie à Ève, m’a demandé Hélène.

Elle se forçait à sourire. Mais ce n’était pas le même sourire que le matin. Celui-ci était un peu crispé.

Si je ne m’étais pas trouvé dans une tenue aussi grotesque, j’aurais refusé une fois de plus cette offre. Mais ainsi fagoté, je n’avais qu’une idée en tête : me cacher en attendant de pouvoir m’habiller décemment.

— Nous en reparlerons tout à l’heure, ai-je soupiré…

Elle est passée devant moi et a ouvert une porte donnant sur un escalier de bois, peint en faux marbre.

— Je vais vous montrer votre chambre.

Ma chambre !

Franchement, c’était une drôle d’aventure !

CHAPITRE IV

En tout cas, j’ai fort bien dormi cette nuit-là…

Le lendemain, j’ai été éveillé par un petit grincement provenant du dehors. J’ai sauté du lit et me suis approché de la fenêtre. Celle-ci donnait sur l’arrière de la maison. À cet endroit se trouvait un portique avec des anneaux et une corde lisse.

J’ai béé de surprise. Hélène, la grave Hélène, était en train d’exécuter une foule de mouvements gymniques impeccables.

Elle était vêtue d’un petit short bleu et d’un maillot à raies bleues et blanches qui moulait une poitrine admirable.

Il fallait voir ça de près !

Je me suis habillé en vitesse après de rapides ablutions. J’ai mis un pantalon de lin et un sweater blanc. En quelques jours j’avais terriblement bronzé, malgré les heures consacrées au casino, et cette tenue immaculée faisait ressortir mon hâle.

* * *

La maison était silencieuse comme un sanctuaire. J’ai descendu l’escalier à pas de loup. Une bonne odeur de café frais flottait dans le hall.

Une horloge a sonné six coups. Jamais depuis des années je ne m’étais éveillé aussi tôt. Traversant le patio, je suis parvenu sur l’autre face de la demeure. On y avait ménagé un terre-plein sablé pour le portique, mais tout de suite après, la colline violette de thym continuait de grimper à l’assaut du ciel.

Les anneaux gémissaient toujours sous le poids d’Hélène. Ce petit bruit rouillé ressemblait au cri nostalgique de certains oiseaux d’hiver. Hélène me tournait le dos. J’ai allumé ma première cigarette de la journée et je me suis assis sur une grosse pierre pour la regarder. Elle réussissait des trucs comme on n’en voit exécuter que sur les stades.

À un certain moment, elle a mis ses pieds en flèche, s’est soulevée à la force des poignets, puis elle a écarté progressivement les anneaux et s’est renversée d’un mouvement impeccable. C’est alors seulement que, la tête en bas, elle m’a aperçu. Vite elle a pirouetté pour retomber sur ses pieds. Elle avait le visage rougi par l’effort et sa poitrine se soulevait sur un rythme accéléré.

— Bravo, c’est du beau travail !

Elle aurait voulu parler, mais elle avait du mal à retrouver son souffle.

— Vous faites ça tous les matins ?

Signe affirmatif.

— Vous avez raison : rien de tel pour rester en forme…

J’ai jeté ma cigarette. La première, je ne la fume jamais qu’à moitié. Je n’arrivais pas à me rassasier de mon hôtesse. Ses longues jambes, sa taille mince, sa poitrine drue sous le maillot collant me faisaient courir un frisson le long de l’échine.

— Et vous vous levez en même temps que le jour pour faire ça ?

— Oui… À cause de ma sœur… Je ne tiens pas à ce qu’elle assiste à cet exercice.

Bêtement, j’ai demandé pourquoi.

Et puis, j’ai compris combien un numéro de cet ordre pouvait énerver une infirme aigrie.

— Oh ! oui, naturellement…

Comme moi, la veille, lorsque je me trouvais en peignoir de bain, elle avait envie d’aller s’habiller. Elle ne devait pas aimer se laisser regarder dans cette tenue légère et c’était bougrement dommage.

— Dites, Hélène, je peux vous poser une question impolie ?