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— Absolument ! Dans nos familles, monsieur…

Elle en casse pas mieux. Mais je me récite la suite.

Dans leurs familles, quand le besoin de prendre du rond vous démange, on mise discrètement. De toute manière, on se marie et l’on a des enfants qui ne sont pas fatalement de la même paire, mais qui le sont toujours du même maire (celle-là, ça fait quatre ans et demi que je te l’avais pas servie, ce qui revient à dire que, par nos temps d’amnésie, elle est neuve).

La mère archisèche croise ses mains pareilles à dix aiguilles à tricoter en disponibilité de pelote.

— Il se droguait également, ajoute-t-elle, manière de compléter le curriculum de son défunt rejeton.

— Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

— À Noël dernier ; c’était une tradition : il venait embrasser son père. Mon mari est un faible.

— Son père et pas vous ?

— Je ne tenais pas à le voir.

— Vous savez, madame Le Ossé, que ce yatagan disparu est probablement l’arme du quadruple meurtre ?

Elle déboulonne sa mâchoire inférieure et la laisse pendre. À croire que son râtelier est devenu trop lourdingue.

— Vous prétendez qu’on vous a volé cette arme pendant les vacances. Y a-t-il eu effraction ? poursuis-je-t-il.

— Non.

— Dès votre retour, vous avez constaté sa disparition ?

— Pratiquement. Disons le lendemain ou le surlendemain. Je me tenais sur ce prie-Dieu pour mes dévotions quand mon regard s’est posé sur la panoplie, ce qui m’a permis de constater la disparition du yatagan.

— Et vous en avez conclu que quelqu’un l’avait dérobé pendant votre absence.

— Cela semble logique, n’est-ce pas ?

— Bien entendu, et ça m’amène très naturellement à vous poser une nouvelle question : qui possède la clé de votre appartement en votre absence ?

Cisaillée, la vieille gaufrette moisie.

— Qui possède la clé de notre appartement ? Mais personne, monsieur ! Personne ! Quelle idée ! S’il est quelque chose qui vous soit personnel, c’est bien un appartement rempli des souvenirs de deux existences.

— Je pensais au ménage…

— Je le fais à fond avant de partir et à fond en revenant.

— L’aération, insisté-je.

— Nous laissons l’imposte de la cuisine et toutes les portes intérieures ouvertes.

— S’il n’y a pas eu d’effraction, il faut croire que quelqu’un a pénétré ici avec les clés. J’ai remarqué que votre porte est blindée et qu’elle est munie de deux verrous de haute sécurité.

— En effet.

— Alors ?

Elle fait quelques mimiques de chouette réveillée en plein jour.

— Je ne m’explique pas, je constate, monsieur, je constate.

— Vous employez du personnel ? Ne serait-ce qu’une femme de ménage ?

— Je m’en voudrais.

Si y avait que cette vieille saucisse pour faire diminuer le chômedu, les perspectives d’avenir seraient encore plus sombres qu’elles le sont (quelle leçon).

— Un livreur, peut-être, a pu subtiliser le sabre pendant que vous cherchiez de la monnaie ?

— Les livreurs n’entrent pas, monsieur, et quand j’ai de la monnaie à chercher, je referme la porte et ils attendent mon retour sur le palier.

Je sens qu’on va tourner en circuit fermé, médème et Bibi. Deux écureuils dans la cage du mystère ! À celui qui pédale le plus vite pour arriver nulle part.

— Du côté de votre époux ?

C’est la méchante crise.

— Qu’insinuez-vous ! Que mon mari aurait pris ce yatagan à des fins criminelles ?

— Je n’ai rien dit de Guillaume Tell, madame ! Cela dit, il est indispensable que je m’entretienne également avec M. Le Ossé.

— En ce cas, il vous faudra repasser demain, pour l’instant il est inapte à assumer une conversation !

Puis, déterminée :

— Venez constater !

Elle m’entraîne dans un couloir au fond duquel s’ouvre leur chambrette d’amour. Une pénombre alourdie de relents d’alcôve me permet, nez en moins (comme disait un pauvre mec affligé d’un chancre facial) de distinguer une vieillerie en chemise de nuit sous un édredon. Tête émaciée, cheveux d’un gris blanchi, nez pincé. Le souffle ressemble à un râle. Effectivement, le papa du malheureux Valentin est shooté d’importance. On lui a administré la dose grand deuil. Quand il se réveillera, il se rappellera plus qui est Premier ministre ni s’il a versé son tiers providentiel (comme dit Béru).

— Je vous remercie, madame.

Sur le pas de la porte, je lui assure, pour le sport, que je prends part à son immense chagrin et je dévale jusqu’à l’avenue.

Mes deux commensaux (il nous arrive de manger à la même table, Marika, Jérémie et moi) m’interrogent du chef et du regard.

Je prends place posément à mon volant. Ma Maserati sent le cuir, plus le parfum délicat de Marika. Très distingué, le tout. Classe.

— Plus de yatagan, dis-je. Une vieille chouette qui ressemble à un cierge à moitié fondu prétend qu’il a disparu au cours des vacances d’été ; la merde c’est que personne, à première vue, n’a pu s’en emparer.

Et je leur relate ma conversation avec la mère Le Ossé.

N’après quoi, j’embraye.

Marika tire de son sac le bloc où elle inscrit les éléments clés de l’enquête.

— L’arme du crime a été fournie par Valentin Le Ossé ! ajoute-t-elle, en récitant son texte à mesure qu’elle le trace. Jusque-là, sur les trois « artistes » qui, depuis des années, participent au simulacre, deux ont joué un rôle déterminant dans le carnage puisque l’un, le faux prêtre, a actionné la fermeture des portes et que l’autre a procuré le sabre.

— Il n’y a que le troisième qui n’ait rien fait, souligne M. Blanc.

— Il était resté dehors, fait remarquer Marika. Où nous conduis-tu, mon amour ?

— Au restaurant, Tendresse. J’en connais un très bon dans la ville du Roi-Soleil.

Généralement, des couples comme celui des Lerat-Gondin n’ont pas de véritables amis. Seulement des relations obligatoires qui, en fin de compte, ne savent pas grand-chose de leur vie. Cela vient de ce que les gens du tout-courant se méfient des jobastres. Ils veulent bien fréquenter des douteux, des mauvais, voire des pourris, mais ils ont une peur maladive de ceux qui roulent sur la jante, qui sont sur la poulie folle, qui marchent à côté de leurs pompes, qui pédalent dans la choucroute, qui patinent du bulbe, qui surchauffent de la bigouden, qui se lézardent de la matière grise, qui ont des charençons dans la boîte à idées, qui cloaquent de la pensarde, qui se désagrégent du grenier, qui ont des lobes pâteux et qui pataugent du cervelet.

À table, au cours de l’excellent repas que nous consommons et que je te passerai sous silence puisque tu batifoles dans les basses calories pour maintenir ta taille de guêpe, chérie, nous dressons un plan d’investigations dans Louveciennes. Jérémie interviewera les voisins des Lerat-Gondin (il a conservé sa carte de police), Marika « fera » les boutiquiers, gens difficiles à accoucher, toujours dérangés qu’ils sont par des clients, et que la prudence commerciale retient. Pour ma part, j’opérerai les notaires, médecins, banquiers, etc. Je donne pour consigne à mes deux auxiliaires de mettre l’accent sur la jeune Elise, leur soi-disant nièce, qui vécut avec eux et dont on ne parle plus depuis quelques années. Ils devront également se renseigner pour savoir si un personnage prénommé Charles gravita dans leur univers fermé. Bonne bourre à tous et rendez-vous à dix-huit heures au Café du Commerce et des Yvelines Réunis.

Ayant laissé ma fabuleuse Danoise et le remarquable Jérémie au cœur de la localité, je me prends à gamberger derrière mon volant inerte. Ma noble voiture pousse de légères plaintes en se refroidissant. Affalé sur le cuir onctueux, couleur tabac blond, je m’abandonne à une profonde méditation, ce qui m’arrive toujours lorsque je stagne au cœur d’un mystère. Il a du bol, le commissaire Monlascart, de croire l’affaire simplette dans sa folle cruauté. Il a vite fait de tirer le rideau, cézigue ! Moi, si tu veux tout savoir, j’en suffoque de tout ce bigntz. Je subodore quelque chose de détonant, de vaste, de ramifié. Je passe en revue les multiples éléments de l’affaire, mais il y en a tellement que ça me débaroule sur le colback, comme la pile de boîtes de petits pois quand tu saisis l’une du dessous. Ce qui me turlubite, ou turluqueute, ou turluzobe, ou turlupine le plus, c’est d’avoir été payé pour assister à un quadruple homicide ! Voilà qui est rarissime dans les anus policières, comme dit l’Infâme Bérurier, le futur Cary Grant du porno.