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— Très bien. Système ingénieux. Ayant l’empreinte de votre clé, il lui était facile ensuite de faire exécuter un double ?

— Exactement. Il le réalisait lui-même, on a trouvé tout un matériel de serrurerie à son domicile. Cet olibrius a quitté son travail voici huit jours, après avoir fait main basse sur le contenu de différents coffres, dont le mien.

« Ce n’est que ce matin qu’on a découvert le pot aux roses, car on ne va pas souvent visiter son coffre. L’une des victimes s’est rendue à la chambre forte pour y prendre des titres. Malédiction : le coffre était vide !

Vous ne laissez pas d’admirer, je pense, le beau langage classique dont use cet élégant personnage. L’intervention, dans sa conversation, de mots tels que « malédiction » dénote une formation mondaine indéniable, de plus en plus rarissime en ces temps cégétistes.

— Le C.A.B.E. poursuit Xavier Basteville, s’est mis alors à alerter discrètement les possesseurs de C.F. Pour l’instant, quatre rapines ont été découvertes, mais ce bilan n’est que provisoire. Quant à l’escroc, il a eu tout le temps de prendre le large et de mettre son butin à l’abri.

— Votre propre perte a été sévère, monsieur Basteville ?

— Pas mal, merci, ricane le golfeur. Vingt millions anciens de diamants ; deux pièces de dix louis, Louis XIII au col drapé, buste lauré, valant de douze à quinze millions chacune, dix millions de titres au porteur, plus quelques bijoux anciens que mon épouse ne met plus, cela fait un total d’une bonne soixantaine de millions.

— Je conçois votre mélancolie, monsieur Basteville.

Il s’ébroue.

— Bast, plaie d’argent n’est pas mortelle.

Bien dit, non ? Ça fait des années que je n’ai pas entendu balancer dans une converse un proverbe de cette qualité.

Toujours est-il qu’il me trouble. La légèreté avec laquelle mon visiteur accepte cette perte sèche est en contradiction avec sa venue chez moi, non ?

Je lui en fais la remarque. Il me saisit alors le bras et, la voix rauque comme celle de Mme Marlène Dietrich à l’époque du muet, l’œil ruisselant de pathétisme, il murmure :

— Les valeurs ne sont rien, mon cher ami. Ce misérable a emporté en même temps que le reste une enveloppe jaune contenant un document de la plus haute importance.

— Vraiment ? Est-il indiscret de vous demander…

— Oui, coupe-t-il vivement, car il s’agit d’une chose familiale. Disons d’un secret. Voilà : un secret ! Un secret qui ne regarde que les Basteville.

Se rendant compte de ce que sa vivacité enlève à sa courtoisie, il reprend :

— Pardonnez-moi, cher commissaire, je suis absolument retourné. Je ne sais à quel saint me vouer. Pour moi, la perte de ce… heu, document est si grave… si tragique, même…

Rien que d’en parler, ses épaules se voûtent, son teint se plombe comme des molaires cariées dans un cabinet dentaire.

Sa main qui pétrissait mon avant-bras se crispe sur mes doigts.

— Retrouvez-moi cette enveloppe, de grâce ! Et vous aurez droit à ma gratitude éternelle.

Boum ! Nous y v’là ! Je me gaffais du coup. Vous z’aussi, d’ailleurs.

— Mais, objecté-je, la police…

Il m’interrompt.

— La police se livre à une enquête globale. Elle recherche un malfaiteur. Moi, je veux qu’on cherche mon enveloppe, uniquement mon enveloppe, qu’on la récupère, qu’on me la ramène…

Son enveloppe ! Harpagon et sa cassette !

— Je me suis précipité chez Achille pour qu’il me donne un conseil, poursuit le malheureux. Il m’a déclaré textuellement : « Mon pauvre ami, officiellement je ne puis rien pour vous. Mais il se trouve que mon meilleur collaborateur, le commissaire San-Antonio, est en vacances depuis ce matin. S’il n’est pas parti et qu’il veuille bien se pencher sur votre cas à titre personnel, libre à lui. » Alors, conclut Xavier Basteville, alors me voici…

Un silence…

Furtive, m’man entre avec un plateau lesté d’odorant café.

— Excusez-moi, j’ai pensé…

On reste sans réactions. Elle nous sert…

— Vous alliez partir en vacances ? demande Basteville.

— Demain…

— Ah, monsieur, aidez-moi, je vous en conjure. Je vous dédommagerai.

Mince, on me l’a déjà chantée, cette sérénade. Combien de fois, déjà, ai-je annulé des départs ? C’est toujours Félicie qui en fait les frais ! Tintin, la pauvrette ! Ceinture ! Bye-bye mother ! À nouveau la grande équipée…

Il prend une liasse de talbins dans sa poche et la pose sur la table.

— Pour vos premiers frais ! dit-il.

Je louche sur la liasse. Ce sont des grands formats, des jaunâtres, bien pisseux. À vue de nez ça représente au moins dix briques.

— Il y a maldonne, monsieur Basteville, je ne suis pas directeur d’une officine privée.

— Mais je le sais ! s’écrie le pauvre homme. Croyez-vous que j’irais me faire plumer dans une agence d’arrière-cour ? Je viens, sur le conseil de son supérieur, j’insiste sur ce point, solliciter la collaboration d’un fonctionnaire en vacances. Il va devoir s’activer, voyager, contacter des gens, les payer peut-être. Avec cet argent j’assure sa liberté de mouvements. Tout cela est à titre privé, mon ami ! Privé ! Je ne doute pas de votre honnêteté foncière. Je compte dessus, au contraire ! Je me raccroche à elle ! Il y va du bonheur d’une famille, monsieur le commissaire. J’ai deux enfants. Ma fille attend un bébé ! Ma femme fait de l’artériosclérose. Mon fils est à Polytechnique !

Il se tait. Des larmes ruissellent sur son visage aristocratique.

— Antoine, murmure m’man. Ce monsieur paraît très désemparé, si tu peux l’aider… Tu sais, on partira plus tard…

Chère Félicie !

— Écoutez, reprend Basteville, vous avez confiance en votre directeur, je pense ? Appelez-le. S’il vous donne sa bénédiction, vous accepterez de m’aider ?

— Eh bien alors !

Je lui désigne les fafs.

— C’est beaucoup trop !

— Qu’en savez-vous ? Ramenez-moi l’enveloppe et je vous en donnerai le double !

Un peu commotionnée, ma brave vieille. Jamais, au grand jamais, elle n’a vu autant de fric rassemblé. Je me dis qu’avec cet artiche je vais pouvoir acheter une petite crèche dans son village natal. Je sais qu’elle en rêve secrètement. Elle dit souvent : « Je me fais vieille, on devrait louer une petite bicoque « par chez nous », pour les vacances, au lieu d’aller dans les pensions et les hôtels où l’on mange de la cuisine bâclée qui vous détraque l’estomac. »

— Mon Dieu, soupiré-je, du moment que mon chef est d’accord, ainsi que ma mère…

Félicie me sourit, tendre.

La voilà repartie, trotte-menu.

— Merci ! murmure seulement Basteville.

J’attire à moi le cahier d’écolier sur lequel on inscrit les scores du « scrabble ».

— Donnez-moi votre adresse…