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— Qu’est-ce que tu dégoises ? rouscaille Béru, vous pourriez pas causer français, quoi, merde !

— Achète-toi une méthode Assimil, Gros, ça complétera ton immense culture…

Écœuré, Pépère se met en devoir de se lotionner la hure avec le contenu des flacons rassemblés au-dessus du lavabo.

— C’est vous ou Morlan qui l’avez assaisonné, le vieux numismate ? demandé-je doucement au gentil baigneur.

Comme il tarde à répondre, je retrousse ma manche afin de le tirer par les pinceaux. Alors, vivement, il murmure :

— C’est Morlan.

— Racontez…

— Mais…

— Béru, soupiré-je, tu veux bien faire faire une nouvelle dégustation de flotte municipale à monsieur ?

— Tout ce qu’il y a de parfaitement, s’empresse le Mastar. Y’a qu’à causer pour être servi ! La maison assure une permanence.

Cette fois-ci, il immerge Agenor en appuyant sur sa tête.

Tandis que les bulles moussent à la surface tourmentée de l’eau, le Gravos s’inquiète :

— Il objecte, ce Tordu ?

— Pas trop, je sens qu’on progresse. C’est ces deux vilains qui ont refroidi le marchand de mornifles anciennes.

— Mince ! Alors, ton Huret ?…

— Il était sûrement plus paumé encore que je ne me figurais. Remonte le client !

— Déjà !

— Dis donc, confonds pas avec les œufs coque. Trois minutes, ça risquerait de lui être fatal !

Réapparition d’un Agenor apoplectique, qui se ramone les tuyaux comme un pendu !

— On dirait qu’il a gobé une douzaine de poissons rouges, rigole Béru.

Manière d’aider à la réanimation du voyou, il le mornifle à grandes baffées sonores.

— Comment qu’on dit savon en rosbif, Mec ? s’enquiert Mustafa.

— Soap !

— Saint-Cloud, my pote !

Alexandre-Benoît chope une savonnette grosse comme mon poing et déclare au gangster en la lui brandissant sous le pif.

— If tu spiques pas very vouel très bien, the nexte fois je t’fais bouffer ta soap nature, espèce of big pig ! Like this tu feras des mahousses bulles et ça te décrassera la menteuse ! À capito ? Y a wol ! Alritche ! Chope-le, San-A. Et dis-y qu’y filoche rectiligne s’il tiendrait pas à devenir poissecaille pour toujours.

Il a qu’un regret, Génor : c’est de claquer des dents. Ça freine son élocution. Il déplore. Souhaiterait avoir une jactance de tribun, pour déballer son historiette sans encombre. Il appréhende désormais les temps morts, redoute les « h » trop aspirés, saute les virgules, marque pas le stop aux points, carbonise les paragraphes. Ça lui galope entre les lèvres. Il dévide tout d’abondance. On dirait un moulinet devenu fou qui se débobine à outrance. Il oublie rien. Des trucs lui reviennent, qu’il n’avait seulement pas remarqués sur le moment. Il aurait le temps de broder qu’il en rajouterait peut-être. Il est pressé d’en finir. C’est l’œuvre de sa triste vie, cette confession. Il presse dessus comme sur un abcès mûr. Faut qu’il se purifie un grand coup. Parfois il coule un regard sur Bérurier. Ses yeux chavirent d’angoisse. Ce qu’il le craint, mon camarade ! Une terreur hydrocutive ! Il en a mal jusque dans les moindres recoins. Il veut qu’on l’absolve ! Qu’on l’oublie ! Il est polonais d’origine, Génor. Vous dire si l’Angleterre y s’la carre dans la gaine à thermomètre ! N’est là que depuis la guerre ! Embarqué à Dunkerque ! Les tommies lui filaient des coups de crosse sur les doigts pour lui faire lâcher la chaloupe où qu’il s’agrippait désespérément. N’a dû son salut qu’à un bout de corde qui traînait derrière l’embarcation. Même à Dover on l’a étendu d’un parpaing dans la théière, rapport qu’il prétendait avoir droit à du ravito comme les autres, qui eux étaient de vrais hommes, anglais pour de vrai. L’agési dans le sable boueux pendant des heures… Drôle de manière de se faire nature-enliser britannouille. Tout ça pour bien expliquer qu’il peut causer de bon cœur. Qu’il en a quine des manigances de la vie londonienne. Le mitant britiche, il est coriace ! Impitoyable pour le stranger. Raciste, quoi ! Agenor y a toujours végété en marge. À conduire les chignoles, à prendre ou à donner des gnons. Porte-flingue ! Larbin éternel ! Polak à jamais ! Le grêlé est un caïd qui dispose d’une équipe. Voici plus d’une huitaine, ses scouts et lui ont été engagés par un milliardaire brésilien, un certain Pietro Questulagro, vice-roi du bœuf congelé, archiduc du bœuf surgelé, prince consort du bœuf séché. C’est lui qui expédie du Brésil les deux tiers (pour ne pas dire les six neuvièmes) de la viande des Grisons exportée par la Suisse ! Une fortune colossale ! La quatrième d’Amérique du Sud ! Non : la cinquième, j’avais oublié Onasis. Le magnat que je vous raconte est propriétaire du yacht où l’on m’a si délicieusement séquestré la nuit dernière. Ce bâtiment, détail précieux, ô combien ! s’appelle l’Adolfo Magno. Morlan et ses hommes étaient chargés d’une mission très particulière : retrouver dans Londres un petit bougre d’escroc français nommé Georges Huret.

Mon âme s’élève, lourde de pitoyance, vers la mémoire du pauvre bougre qui fut si pourchassé, si traqué, si réduit pendant les derniers jours de sa vie. Car, si je résume brièvement, outre les polices officielles franco-britanniques, il y avait à ses trousses : le célèbre commissaire San-A. engagé par Xavier Basteville, puis l’Agence O’Stbitt, mandatée par Otto Buspériférick, plus enfin l’équipe du grêlé travaillant pour le compte du richissime Questulagro. Vous parlez d’une mobilisation générale ! L’Alliance Atlantique ! Il était fadé, le minus employé du Crédit Américano-Bourguignon de l’Est !

Son ange gardien devait le paumer dans cette foule ! N’en jetez plus ! Jamais souverain n’eut autant de monde attaché à ses talonnettes.

Et Agenor de bavasser, de plus en plus vite, au point qu’à présent, je le calme du geste pour ne pas perdre le fil.

Si l’on avait créé une coupe pour récompenser le premier chien de chasse à dégauchir la retraite de Huret, il l’aurait remportée de haute lutte, Morlan, puisqu’il mettait la main sur le frenchman le lendemain de son installation ici. Sa mission consistait à fouiller les bagages du fugitif et à le surveiller comme du lait sur le feu. Afin de s’allier la complaisante collaboration de la mère Ferguson, il fit croire à la vieille qu’il appartenait à l’I.S. Probable qu’il avait pris ses renseignements dans le quartier et qu’il savait combien la vieillarde était férue de romans d’espionnage.

Se l’annexer, lui monter le bourrichon, fut un travail d’artiste ! Mémère avait pour mission d’alerter l’Agent W-H dès qu’il y aurait une visite, voire un simple message pour Huret. Le reste du temps, Agenor et son boss filaient l’employé. La semaine s’écoula mornement, l’autre pomme ne quittant pas le quartier. Et puis, hier, tout changea. Lorsque Huret eut déjeuné, il se dirigea vers le centre de Londres. Les truands observèrent alors qu’il était suivi et redoublèrent de vigilance, pressentant que quelque chose allait enfin se passer. Huret entra chez le numismate. Ils l’attendirent à bonne distance. Lorsqu’il sortit, un troisième homme de l’équipe du grêlé continua de le suivre, cependant qu’ils pénétraient dans la boutique du bonhomme histoire de connaître l’objet de cette visite. Le vieillard alerté par mes soins était plus mort que vif. Il expliqua que j’étais venu chez lui juste avant Huret et que je lui avais montré la photo de l’homme au moment précis où ce dernier entrait dans son magasin. Ce que voulait Huret ? De l’argent ! Il en avait un urgent besoin. Il avait proposé de vendre la pièce de dix louis au numismate qui, bien entendu, sachant qu’il avait affaire à un malfaiteur, refusa. L’autre insista. Il demanda une avance, cent livres lui suffisaient. Il laisserait la pièce en dépôt… Du coup, le vieux avait fléchi. Pris entre la peur de voir son visiteur sortir d’autres arguments plus convaincants, et le sentiment de pouvoir récupérer à bas prix une monnaie valant quelque dix mille livres, il avait donné les cent livres pour se débarrasser du bonhomme…