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Il y a peu de monde à bord. Les premières, en tout cas, sont presque vides. Juste un couple, devant moi. Elle, c’est une vieille pie goitreuse, habillée en mauve et affublée d’un Yorkshire enrubanné. Lui, un type plus jeune et qui semble très ennuyé d’avoir rencontré dans l’avion une vieille amie de ses parents. D’après leur converse, je comprends qu’il est Portugais (comme un pinson) et œuvre dans l’import-export ; qu’elle est Française, veuve, riche et possède des attaches à Lisbonne. Elle cause abondamment, comme quoi elle admire le Portugal d’avoir su conserver son Empire Colonial. Le dernier du monde ! Nous autres, françouses, on a gâché la marchandise. Au lieu de dresser ces affreux Noirs à coups de fouet, on les a vaccinés. On leur a bâti des hôpitaux, enseigné l’hygiène, ouvert nos facultés. Elle en revient pas comme le Français, de nos jours, promiscuite avec le Nègre. Si elle nous disait que dans son immeuble, en plein Passy, il y a un étudiant en médecine noirpiot ! Qui ose prendre le même ascenseur, que même toute la cabine en est empesté ! Il pousse l’effronterie jusqu’à se permettre d’avoir la télévision. Pas en couleurs, Dieu merci, mais tout de même, on aura tout vu ! Ah ! on décadente terriblement dans l’hexagone ! On a perdu le sens de la dignité ! L’invraisemblable De Gaulle nous a fait beaucoup de mal en recevant cette racaillerie à l’Élysée ! Quand elle voit nos gardes républicains présenter les armes à ces fantoches, la dame, elle est obligée de respirer des sels Cérébos pour échapper à la syncope. L’homme n’a pas été bien avisé en épargnant le Noir. Voyez l’Amérique, quelle mouscaille à présent ! On aurait dû tout tuer en son temps ! Garder juste quelques spécimens, pour dire. Par souci de pittoresque. De quoi alimenter les expositions coloniales. Le Portugal, au moins, grâce à Salazar qui était un type époustouflant avant de trémoler de la membrane, il a préservé ses possessions d’Outre-mer.

La vieille saloperie continue sur ce ton, longtemps, sans relâche, d’une voix aussi constante que celle des réacteurs. Heureusement, je finis par ne plus l’entendre.

Mes préoccupations prennent le dessus sur les siennes.

Je me récite le message dégauchi dans le missel de Huret.

« Barbe, lunettes, journal français. »

« Bar du hall à partir de minuit. »

« Les choses étant ce qu’elles sont. »

C’est en désespoir de cause que je me suis embarqué pour le Portugal, par l’avion même qu’aurait dû prendre Huret, à en croire son billet, si tout avait fonctionné comme prévu pour lui !

Seulement, y’a eu de la sciure de bois dans les rouages de sa combine.

Ça, je crois le piger. Selon moi, ce qui a tout fait craquer, ce sont les gens de l’Agence O’Stbitt. Huret, à l’issu de son déjeuner à la pizzeria, s’est aperçu qu’il était filé. Il a pris peur. Une peur à la mesure de ce pauvre bougre insignifiant ! La trouille sinistre, chiasseuse. Il n’a pas osé retourner chez la mère Ferguson où l’on risquait de le coincer. Pour lui, une seule solution : gagner le Portugal où il devait se rendre le lendemain soir. Seulement y’a comme un défaut pour la réalisation de ce projet : il n’a pas d’argent.

Alors l’idée lui vient de se rendre chez un numismate afin de vendre la pièce de dix louis que, fort heureusement, il conserve sur lui. Le bonhomme, prévenu, renâcle. Huret supplie, sans doute aperçoit-il par la vitre les gens qui l’attendent… Sa proposition est celle d’un paumé, archi paumé : « Prêtez-moi cent livres là-dessus, je reviendrai. » Le numismate accepte, signant ainsi, sans s’en douter, son arrêt de mort. Lesté de ce modeste pactole, Huret file alors à l’aéroport…

Devait y avoir de la marchandise surchoix, dans les coffiots de la banque, pour que le vol du petit employé déclenche un pareil bouzin ! Pour que ça remue et frénétise de la sorte dans les sphères les plus hautes… Un gros industriel français, un diplomate germano-brésilien, un milliardaire brésilien…

Tous ces gens huppés qui, brusquement prennent la courante, engagent du monde au petit bonheur la malchance, de-ci de-là, en France, en Angleterre… Un commissaire de police en vacances, une agence de police privée, des truands.

Quel casse-tronche !

Plus duraille que d’identifier la conscience de Richard Nixon photographiée pour le Schmilblick.

L’hôtesse se pointe vers moi, l’air préoccupé. Au passage, le Yorkshire de la vieille peau épiscopale (puisqu’elle est en violet n’ayant plus l’âge d’être en violée), la gratifie d’un petit aboiement puéril.

— Pour vous ! me fait-elle avec un certain respect, en me tendant un papier pudiquement plié en deux, mais que tout l’équipage a dû lire avant moi.

J’y jette un coup d’œil.

Trois lignes, à propos du milliardaire Questulagro auquel je dois la plus fabuleuse soirée de ma vie. Elles déchirent en moi une sorte d’espèce de voile…

Je murmure, comme pour me bercer :

— Adolfo Magno, Charlemagne ! Carlo Magno Adolfmagne… Ainsi de suite, dix fois, vingt fois… Jusqu’à ce que j’éclate de rire. La morue raciste se retourne, intriguée, me sourit d’un air complice, pensant peut-être que je m’amuse d’un de ses aperçus. Je me mets à loucher horriblement en lui tirant la langue, ce qui la douche et lui flanque le torticolis.

Après quoi, j’implore une nouvelle coupe de champagne de l’hôtesse qui me la sert en un temps record.

— Vous êtes belle, lui dis-je, moi, à votre place, je ne ferais que ça.

L’aéroport de Lisbonne est à peu près vide. Deux grosses femmes de ménage informes balaient le hall des départs que j’aperçois à travers de larges panneaux vitrés. Elles ont des mouvements mous, à cause de leur embonpoint ou du sommeil qui probablement les taraude.

Je présente mon passeport (mon vrai car je n’en ai pas d’autre) au type des douanes, en uniforme vert. Il le composte d’un geste peu cordial, avec l’air de demander : « Qu’est-ce que vous pouvez bien venir foutre ici à minuit ? »

Le tourniquet à bagages se trouve à trois pas du guichet. Il commence de fonctionner, véhiculant des valises titubantes qui ressemblent à une caravane de pingouins se rendant à une distribution de poissons séchés.

Je n’ai pris qu’un petit embrassenville en box noir et je le vois qui cahincahate dans ma direction sur le ruban de caoutchouc.

Vous l’avouerai-je ? Oui, puisque je ne vous cache rien. Eh ben, j’sus ému, les gars. Je me dis : « Et si tu t’es fourré le finger dans l’eye, San-A. ? Peut-être que tu l’as mal interprété, le message ? Tes méninges émérites ont pu te trahir. T’as tiré des conclusions inexactes, donné dans le fallacieux, moussé du galure à contre-voie ?

Alors, gugus, fatalement, il se trémousse dans sa cage à serin.

Je biche ma valousette, et me dirige vers le hall principal. Des employés discutent en portugais, la casquette rejetée en arrière du crâne. On sent que l’aéroport désarme pour la nuit. Il se met doucettement en veilleuse et ressemble aux gares de banlieue entrées dans la léthargie de la nuit et que seul trouble le fracas des rapides qui passent sans s’arrêter. Maintenant, il n’y a probablement plus à Lisbonne que des arrêts techniques pendant lesquels les voyageurs bivouaquent frileusement dans des salles de transit.

— Excusez-moi !

Le groupe des employés devient silencieux. Des visages suant de fatigue me considèrent.

— Je suppose qu’il y a un bar à l’aéroport ?

J’ai questionné en anglais. L’un d’eux, un petit courtaud dont la moustache ressemble à une houppette noire, opine.