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— J’espère que c’est l’heure, en Angleterre il y a des heures pour tout. La vie est fractionnée, minutée, compartimentée. Tu vas très vite t’en rendre compte…

Par un hasard wonderfull il se trouve que l’on peut nous servir simultanément un thé et un gin, les deux autorisations se chevauchant.

Je m’engloutis dans un fauteuil, je pose mes godasses et allume le cigare un peu trop sec. (Il faudra que je fasse faire trempette aux humidificateurs de ma boîte). Bon, nous voici à pied d’œuvre… Quelque part, dans l’immense cité, le dénommé Huret mène sa petite vie d’homme traqué. M’est avis que je suis parti un peu promptement pour Londres. Avant de me lancer sur ses talons, j’aurais dû essayer de bien comprendre le personnage.

Une impulsion… Je décroche le bigof.

— Voulez-vous me demander à Paris le Crédit Américano-Bourguignon de l’Est, Agence Opéra ? dis-je à la standardiste.

— Un quart d’heure d’attente pour le Continent ! objecte cette personne d’une voix dentale.

— Parfaitement, accepté-je, nullement découragé. En attendant, passez-moi Scotland Yard.

M’man est en train d’accrocher mes deux complets de rechange dans la penderie.

— Pas un pli, m’annonce-t-elle triomphalement.

C’est la reine de la valoche, Félicie. Je ne sais pas comment elle s’y prend pour emballer les effets, mais elle les ressort aussi impecs qu’ils étaient à l’empaquetage. Les amidons restent bien glacés, sans fissure, les cravates ne sont pas cassées et jamais un revers de veston ne « rebique ».

Drelingggg ! fait le téléphone avec l’accent britannouille.

— Vous avez le Yard, Sir.

Un petit ballet de fiches, puis une voix aussi aimable que celle d’un C.R.S. demandant à un étudiant ce qu’il compte faire du pavé qu’il tient à la main, interroge :

— Que désirez-vous ?

Prononcé par un dog de Bordeaux qui saurait l’anglais, ce ne serait pas plus féroce.

— Le Superintendant Mac Heckett, please !

— De la part ?

— Commissaire San-Antonio, de Paris.

— Juste un moment, s’il vous plaît ! répond la voix, vaguement radoucie.

Du temps passe. Puis le timbre cordial de ce cher Mac Heckett retentit. Écossais, Mac. Donc anglophobe. Donc francophile ! Joyeux drille aimant les produits de sa belle contrée (il les absorbe sans eau et sans glace).

— Vous êtes à Londres, San-A ? (il prononce Sané).

— En coup de vent, m’empressé-je de déclarer, car les ribouldingues avec Mac Heckett s’achèvent toujours par une vessie de glace sur la tronche et de l’aspirine effervescente le lendemain matin.

Je lui déballe ma petite affaire à propos du dénommé Georges Huret.

— Je vais m’informer dit-il après avoir pris des notes ; où puis-je vous rappeler, mon petit Parigot (il l’a dit en français dans le texte).

— Au Hilton.

— Vous ne voulez pas une bonne adresse pour ce soir, Sané ? Je connais une merveilleuse jeune hindoue qui possède un appareillage électrique absolument délirant.

— Non, merci, Mac. Je marche encore à l’énergie animale.

Comme je raccroche, un loufiat en spencer blanc à épaulettes d’or nous apporte le thé et le gin. Brun comme un pruneau, le gars. Le teint sombre, l’œil de velours.

— Italien, naturellement ? je lui demande.

— Naturellement, sir.

— De la Vénétie, je gage ?

— De Trévise, sir, bravo !

— Ça vous plaît, London ?

— Beaucoup, sir. C’est une ville intéressante.

— Vous êtes ici depuis longtemps ?

— Huit ans. J’ai épousé une Anglaise.

Il cligne de l’œil.

— Très jolie, sir. Cela existe.

Je lâche un nuage artificiel qui s’étale à un mètre du sol…

— Vous devez avoir l’habitude du touriste continental, non ?

— Je crois, oui, sir.

— Selon vous, que fait en arrivant ici un célibataire français, peu porté sur les femmes et disposant de beaucoup d’argent ? Ce type, pendant des années, a été un petit employé. Et puis soudain il a fait un héritage. Un très gros héritage… Il a alors tout lâché pour venir à Londres…

Le serveur reste au garde-à-vous, son plateau sous le bras, comme un chapeau-claque aplati.

— Je suppose que vous êtes policier, sir ?

— Qu’est-ce qui vous le donne à penser ?

— Qu’est-ce qui vous a donné à penser que j’étais vénitien, sir ?

On rigole de concert. Puis, le loufiat murmure.

— Tout dépend de ce que votre homme est venu faire à Londres, sir. Selon qu’ils arrivent pour affaires ou en touristes, les occupations des voyageurs ne sont pas les mêmes.

Après tout, c’est vrai. Dans quelle catégorie ranger le brave Huret ? La question est d’importance.

Je m’apprête à interviewer mon garçon, mais la sonnerie du turlututu m’en empêche. C’est Paris.

— Ici le C.A.B.E., j’écoute !

— Je voudrais parler au fondé de pouvoir, de la part du commissaire San-Antonio.

— Oh, parfaitement…

Il doit être salement emmouscaillé par cette histoire, le dirlo du Comptoir Machinchouette. Il a le ton accablé d’un homme qui manque de sommeil par excès de méditations accablantes.

— Que puis-je pour vous, commissaire ? laisse-t-il tomber avec la tristesse d’un homme qui sait qu’on ne peut rien pour lui.

— Je souhaite quelques précisions à propos de notre ami Huret, monsieur le directeur.

— Oui.

— Parlait-il anglais ?

— Ne quittez pas, je vais demander, murmure-t-il au bout d’un bref instant d’indécision.

Le garçon traîne un peu avant de se retirer. Il met des glaçons dans mon verre de gin et arrange la tasse de Félicie, laquelle l’assure qu’il « ne doit pas se donner cette peine ». On la laisserait faire, m’man, elle laverait toute la vaisselle du Hilton pour ménager « la peine » du personnel.

— Puis-je me permettre une suggestion, monsieur ? me dit le garçon d’étage, en français cette fois, voyant que j’ai provisoirement cessé de converser.

— Et comment, mon vieux !

— La personne qui vous intéresse venait-elle à Londres pour la première fois ?

— Je ne sais pas, à cause ?

— C’est demain dimanche.

— Et alors ?

— Presque tout est fermé. Un Français inexpérimenté se sent perdu, ce jour-là. Automatiquement, il se met en quête d’un restaurant français ouvert. Or ceux-ci sont très rares, un guide de la ville vous en fournira la liste.

— Allô ! fait le directeur du Comptoir Américano-Truquemuche.

— Oui, j’écoute ?

Du pouce brandi, je complimente le serveur. Ce dernier se retire, escorté par Félicie qui le raccompagne en lui faisant des civilités, comme si c’était l’ambassadeur de France venu nous rendre visite.

— Huret ne parle pas l’anglais, monsieur le commissaire. J’ai près de moi un de ses collègues qui est formel sur ce point.

— Voulez-vous me le passer ?

— Ne quittez pas.

— Alfred Muloche, se présente un foutriquet à queue basse dont la voix poisse un peu.

— Vous connaissez la vie privée de Huret, cher monsieur Muloche ?

— Beûh, pas tellement. C’était un garçon assez secret.

— Les femmes ?

Cette perspective fait pouffer le gars.

— Pas de danger. Mon avis est qu’il était empêché de ce côté-là.

— Des mœurs particulières ?

— Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, se rebiffe le foutriquet, lequel tient à rouler les mécaniques en présence de son patron, je pense tout simplement que ces questions physiques ne tracassaient pas Huret.