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Sandro se tient juste derrière moi. Il me souffle :

— Je ne sais pas pour toi, Marie, mais moi, devant Deblais, je me retrouve comme le môme que j’étais face aux adultes tout-puissants qui faisaient parfois des choses indignes ou injustes. C’est un sentiment qui est gravé en moi. Avec mes potes, j’ai croisé pas mal d’ordures qui ont fait des choses honteuses et qui s’en sortaient toujours indemnes. On était révoltés mais on ne pouvait rien faire. Alors on se vengeait comme on pouvait.

Je le trouve émouvant. J’aime son sursaut de rébellion. Je le trouve noble. Ce qu’il dit résonne en moi. Pour une fois, je ne vois aucune différence entre hommes et femmes. On est égaux, au moins devant l’injustice.

Nos visages sont proches. Il sourit joliment face au spectacle qui attire tout le monde dans la cour.

— Merci Sandro. Merci d’avoir partagé ton secret avec moi. Tu m’as bien dit que le mieux comme pomme de terre, c’est la charlotte, c’est ça ?

24

Le lendemain matin, tout le monde commente encore le drôle d’incident qui a frappé la belle voiture de M. Deblais. Chacun raconte sa propre version de l’événement, mais la plupart des témoins sont visiblement satisfaits que « le sort » se soit abattu précisément sur lui. On rit tous à l’évocation de Notelho sorti comme un diable de sa boîte, se précipitant ramasser les morceaux qui jonchaient le sol pour les rapporter à son maître. Bon chien.

Alexandre étant le plus qualifié techniquement, il a jeté un coup d’œil au véhicule avant de décréter qu’il s’agissait sans doute d’un problème de compression ou de turbo-injection. Il a expliqué cela avec un air docte en regardant Deblais bien dans les yeux, sans ciller. Moi je sais qu’il connaît la vérité, et je trouve qu’il ment drôlement bien. Sandro est resté discret mais le petit sourire en coin ne l’a pas quitté depuis.

Ça me coûte de ne pas avouer les dessous de l’affaire à Émilie, mais j’ai juré de garder le secret. De toute façon, ce midi, nous avons un autre sujet brûlant à traiter. Notre déjeuner est un conseil de guerre, une réunion de crise, un rendez-vous de conjurés… Nous sommes six à table. Émilie et moi avons décidé de réunir les quatre collègues en qui nous avons le plus confiance pour lancer la première phase de notre grande opération secrète sobrement baptisée : « Y a quoi dans le dossier bleu ? »

Sont présentes Florence, la responsable facturation, Catherine, l’assistante aux approvisionnements, Malika, la secrétaire quadrilingue dédiée à l’export, et par chance, Valérie, l’assistante personnelle de Deblais et Notelho, qui est enfin sortie des toilettes puisque le tremblement de terre est fini.

Émilie prend les choses en main :

— Les filles, je ne vous cache pas que nous risquons gros dans cette affaire. Si l’une de vous ne se sent pas le courage, nous comprendrons, mais qu’elle quitte la table avant d’entendre des détails compromettants.

— On a déjà commandé les menus vapeur, objecte Valérie. Ce serait idiot de partir maintenant…

Émilie explique :

— Vous l’avez peut-être remarqué vous aussi, Deblais est souvent plongé dans un dossier qu’il s’empresse de ranger lorsque nous approchons. Étant donné les derniers événements et son comportement, Marie et moi parions que ce dossier contient probablement des informations sensibles qu’il a tout intérêt à nous cacher.

— Je ne vois pas de quoi il pourrait s’agir, intervient Florence. Les finances sont ultra saines et le carnet de commandes est plein. On a même de la trésorerie.

— Je tape tous leurs documents, acquiesce Valérie, et je n’ai rien vu passer de suspect…

Malika et Catherine approuvent. Je demande :

— Alors pourquoi se comporte-t-il ainsi ? Je suis certaine que s’il veut éviter que nous puissions voir ces documents, c’est qu’il a une bonne raison. Le seul moyen d’en avoir le cœur net, c’est de vérifier par nous-mêmes.

— Deblais ne laisse jamais personne entrer dans son bureau quand il ne s’y trouve pas lui-même, objecte Malika. Et le midi, il verrouille. Valérie, est-ce que tu possèdes une clef ?

— Non.

— On peut se débrouiller pour le distraire lorsqu’il sort…, propose Florence.

— Il y aura toujours Notelho dans le bureau voisin, fait remarquer Émilie. Rien ne lui échappe. Si on tente une diversion, il faut qu’elle puisse distraire les deux. Ça devient compliqué, on frise la superproduction…

Catherine ironise :

— C’est pourtant notre seule chance. On ne va pas débarquer, lui désigner le plafond en s’écriant : « Oh ! Regarde, un nid de cochon ! », et faire des photos du dossier à l’arrache !

Valérie se penche vers moi et me demande discrètement :

— Les cochons, ça fait des nids ?

Du Valérie pur jus. C’est pourtant une fille intelligente, mais parfois on se dit qu’elle a dû être souvent absente pendant ses années de maternelle parce que certaines notions très basiques lui échappent totalement.

Émilie poursuit déjà :

— Nous devons tout faire pour avoir accès à ces documents. Toutes les idées pour y parvenir sont les bienvenues. Même les plus folles.

Elle n’aurait jamais dû dire ça.

25

Ils sont arrivés pile à l’heure, et avec des gants adaptés. J’entends déjà la voix d’Émilie me souffler : « Prends exemple sur des professionnels ! » Sors de ma tête, conscience bis !

Alexandre et ses deux collègues s’essuient soigneusement les pieds et entrent.

— Bonsoir Marie !

Sandro désigne sa montre et annonce :

— Désolé, mais je ne vais pas pouvoir rester longtemps. Dans une heure, je prends la permanence à la caserne.

Sur sa fiche anthropométrique, il y a écrit : « Homme d’action, bonne taille, regard doux, voix grave, célibataire, terroriste dont l’arme favorite est la patate. » Je dois vous confier qu’avec tous les suspects que j’ai à gérer, je rédige maintenant des notes sur chacun d’eux. Sandro reste plus que jamais un candidat de premier choix, d’autant qu’il existe des zones d’ombre dans sa vie, comme cette histoire de permanence, par exemple.

— La caserne ?

— Oui, chez les pompiers. Je suis sapeur-pompier volontaire. C’est une tradition dans la famille.

Sans perdre de temps, Alexandre lance les opérations :

— Pour libérer Sandro le plus tôt possible, on va commencer par les meubles volumineux, si tu es d’accord. Sais-tu ce que tu veux bouger ?

De pièce en pièce, je leur désigne tout ce que je souhaite transbahuter. Une fois le tour terminé, comme un ordinateur, Alexandre organise les priorités. Je les observe tous les trois. Les voir fonctionner ensemble est étonnant. Ils se comprennent parfaitement et savent se coordonner pour être les plus efficaces possible. Je pensais qu’ils allaient mettre une heure à déplacer la haute combinaison d’étagères dont je n’ai pas besoin dans le salon, mais tout est transporté en dix minutes, sans le moindre dégât. La bibliothèque paraît un peu seule une fois repositionnée au milieu du grand mur, mais je préfère ainsi. C’est moins chargé et je vais pouvoir accrocher des photos de chaque côté.

Dans la chambre qui a servi de prison au chat, ils ont redressé le lit pour gagner de la place. Le chat n’est même pas venu voir, sans doute effrayé par les mouvements et le bruit. En moins d’une heure, les trois garçons ont débarrassé la moitié de l’ameublement et l’ont soigneusement rangé dans la chambre transformée en stock.

Sandro doit nous quitter. Je le remercie et lui fais la bise. Il semble troublé. Encore un dont je vais surligner le nom en fluo…