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C’est très prometteur.

Complément d’information.

J’ai étudié au microscope le cas de Jean-Marc Guéneau. Il a quarante-cinq ans. Il s’est marié à vingt et un ans avec une demoiselle de Boissieu, jolie fortune. Ils ont sept enfants. Je n’ai quasiment rien trouvé sur la famille de Jean-Marc Guéneau, en revanche le père de son épouse n’est autre que le docteur de Boissieu, fervent catholique et président d’une association antiavortement très active. En conséquence de quoi, chez les Guéneau, on fait des lardons comme dans une garenne. Pas nécessaire d’être très finaud pour deviner qu’il doit s’en passer de belles dans les coulisses. Dès que les gens portent leur morale en bannière, on peut être certain qu’il y a de l’inavouable planqué sous les tapis.

Complément d’information.

Parmi les filles, j’ai retenu Évelyne Camberlin. À cinquante ans, chez une femme de ce niveau, célibataire, il y a souvent des trucs à gratter. Je me suis pas mal basé sur ses photos pour la retenir : je ne sais pas pourquoi, je la trouve intéressante. Quand j’ai dit ça à Kaminski, il a souri. « Bien vu. »

J’ai terminé ma liste par Virginie Tràn. Elle est responsable de plusieurs grands comptes, les clients les plus importants d’Exxyal. C’est une ambitieuse, elle est calculatrice, elle avance vite, je ne pense pas que cette fille s’embarrasse de scrupules. Il doit y avoir un levier quelque part.

Il est possible que ces compléments d’enquête ne me révèlent rien. Mais je suis sur la bonne voie.

Sortir de cette mouise…

Parfois, j’en ai le vertige.

D’autant que pour tout le reste, l’environnement est devenu plus sombre.

Depuis que ma lettre était partie pour l’avocat des Messageries pharmaceutiques, je n’avais plus de nouvelles. Tous les matins, en faisant mine de revenir du travail, je vidais la boîte aux lettres avec impatience et comme je ne voyais rien venir, j’ai appelé maître Gilson deux ou trois fois par jour, je n’arrivais jamais à l’avoir. Je sentais monter une inquiétude sourde. Aussi, quand le facteur m’a fait signer la lettre recommandée et que j’ai vu l’en-tête du cabinet Gilson & Fréret, j’ai ressenti un très désagréable picotement dans l’échine. Maître Gilson m’informait que son client avait décidé de maintenir sa plainte et que le tribunal me convoquerait prochainement pour que je rende compte des coups et blessures infligés à mon contremaître, M. Mehmet Pehlivan. Là, miraculeusement, je n’ai eu aucun mal à joindre maître Gilson.

— Je n’y peux rien, monsieur Delambre, j’ai fait tout mon possible. Que voulez-vous, mon client tient beaucoup à cette plainte.

— Mais nous avions un accord ?

— Non, monsieur Delambre, c’est vous qui avez proposé d’écrire une lettre d’excuses, nous ne vous avons rien demandé. Vous avez fait cela de votre propre initiative.

— Mais… pourquoi aller au tribunal puisque votre client a accepté mes excuses ?

— Mon client a accepté vos excuses, c’est vrai. Il les a d’ailleurs transmises à M. Pehlivan qui, j’ai cru comprendre, en a été très satisfait. Mais vous devez être conscient que cette lettre constitue aussi un aveu circonstancié.

— Et…?

— Et dans la mesure où vous reconnaissez les faits complètement et spontanément, mon client se sent dans son droit de réclamer au tribunal les dommages-intérêts qui lui reviennent.

Lorsque j’avais proposé cette lettre d’excuses, j’avais bien imaginé que ça pouvait tourner ainsi, mais je ne pensais pas que face à quelqu’un dans ma situation, un employeur et son avocat pourraient faire preuve d’un tel cynisme.

— Vous êtes une salope.

— Je vous comprends mais c’est un point de vue peu juridique, monsieur Delambre, et je vous conseille de chercher une meilleure ligne de défense.

Elle a raccroché. Ça ne m’a pas mis en colère autant que je le prévoyais. Je n’avais qu’une seule carte à jouer, je l’ai jouée, je ne vois pas ce que je pourrais me reprocher.

À eux non plus d’ailleurs : difficile de s’empêcher de jouer quand on est certain de gagner.

J’ai quand même balancé mon téléphone portable contre le mur, où il a explosé. Quand j’en ai eu besoin de nouveau, c’est-à-dire cinq minutes plus tard, j’ai cherché les composants sous tous les meubles. Rafistolé au scotch, il ressemble à une loque. On dirait les lunettes d’un vieillard à l’hospice.

J’ai dépensé tout ce que Mathilde m’a avancé et, bien que Kaminski ait accepté de baisser son tarif de 4 000 à 3 000 euros pour les deux jours de travail, j’ai dû retirer 1 000 euros de notre compte épargne sur les 1 410 qui s’y trouvaient. J’espère que Nicole ne va pas avoir l’envie de vérifier le solde avant la fin de l’histoire.

Dès le début, Kaminski m’a proposé un plan de travail : la première journée serait consacrée aux conditions matérielles de la prise d’otages ; au cours de la seconde, nous aborderions les aspects psychologiques des interrogatoires. Kaminski ne connaît pas David Fontana, le type que Lacoste a embauché pour organiser tout ça. À lire ses messages, il me dit qu’il connaît bien son affaire. Bertrand Lacoste et moi avons chacun notre conseiller, notre expert, notre coach, nous sommes comme deux joueurs d’échecs à la veille d’un championnat du monde.

Du côté de Nicole, jusque-là, tout allait encore bien. Elle s’était calmée et je la soupçonnais, malgré mes réticences, d’avoir téléphoné à Mathilde pour la rassurer et lui expliquer les tenants et les aboutissants de la situation.

Et donc, quand Kaminski arrive, hier, vers 10 heures, je n’imagine pas une seconde que je suis aussi près de la catastrophe.

Comme convenu, il a apporté une caméra sur pied dont nous nous servirons pour visionner ce qu’il appelle les « positions respectives », en la reliant au téléviseur, et pour les interrogatoires.

Pour me faire étudier les conditions matérielles, il a également apporté deux armes, un pistolet Umarex 18 coups calibre 4.5, qui est une copie du Beretta, et une carabine Cometa-Baïkal-QB 57 à la place des mitraillettes Uzi qui, d’après le mail de l’organisateur, David Fontana, seront utilisées lors du jeu de rôle. Grâce au plan des lieux, Kaminski a proposé de simuler les deux salles principales pour me montrer concrètement où seront les points névralgiques, les axes d’évolution. Nous avons poussé le canapé, la table, les chaises pour aménager la zone où les otages seront retenus.

Il est un peu plus de midi et quart.

Kaminski m’explique comment le commando va évoluer dans les lieux pour rester maître de la situation. Il a pris la place d’un otage, il est assis par terre, le dos contre la cloison, les jambes repliées.

Je suis debout à l’entrée de la pièce, je porte en bandoulière la petite mitraillette que je pointe dans sa direction lorsque la porte s’ouvre et que Nicole rentre.

C’est une drôle de scène.

Si j’avais été en train de baiser la voisine, ça aurait été ridicule et donc très simple. Mais là… Ce que découvre Nicole est hyperréaliste : les armes apportées par Kaminski sont d’une présence terrible. C’est un entraînement. L’homme qu’elle voit au sol, qui a entouré ses genoux avec ses bras et qui l’examine sans concession, est un professionnel.