Выбрать главу

— Quelle tête il va faire, Dorfmann, quand il va apprendre que nous étions d’accord tous les deux ?

— D’accord sur quoi ? D’accord sur rien !

Il est outré, Cousin. Il crie.

— Oui, d’accord sur rien. Mais ça, il n’y a que vous et moi qui le savons. Si je lui dis que nous étions d’accord ensemble pour le baiser, il va croire qui ? Vous ou moi ?

Cousin se concentre. Je livre mon hypothèse :

— À mon avis, il va vous laisser vous débrouiller avec Sarqueville parce que c’est un boulot de merde. C’est les deux mains dans le cambouis. Généralement, les P-DG n’aiment pas trop. Mais ensuite, quand vous aurez viré tout le monde, c’est vous qu’il va virer. Et cette fois, il n’y aura pas un brave chômeur en fin de droits pour vous tirer la tête hors de l’eau.

Sa colère doit prendre à peu près toute la boîte crânienne, c’est dire…

— Et on aurait été d’accord… sur quoi ?

Je sors la mitrailleuse lourde.

— Je suis parti avec la caisse. Je compte lui dire que vous en avez la moitié.

Il pourrait être scandalisé, mais pas du tout. Il pense, Paul Cousin. C’est un manager. Il analyse la situation, dénombre les hypothèses, définit les objectifs. À mon avis, il gagnerait du temps à se dire qu’il l’a dans le cul. Je tâche de l’aider :

— Vous l’avez dans le cul, mon Cousin.

Je l’aide parce que je suis dans l’urgence absolue. J’espère que Fontana n’a pas collé une horloge sous les yeux de Nicole. Il en est capable. Il est capable de compter les minutes, les secondes. Je recharge la mitrailleuse lourde.

— Je vous donne trois minutes.

— Ça m’étonnerait.

Il va recadrer. Reste huit minutes. Nicole.

— Vous êtes parti avec combien ? demande-t-il.

— Tsst tsst tsst.

Il a essayé. C’était prévisible.

— Vous voulez quoi ? demande-t-il.

Excellente application du principe de réalité.

— Une sale affaire d’Exxyal. Une très sale affaire. Dorfmann, je veux le faire exploser en vol. Vous me donnez ce que vous voulez, je ne suis pas regardant. Un pot-de-vin à sept chiffres, une livraison honteuse, un contrat avec un pays terroriste, un dessous-de-table crapuleux, je m’en fous.

— Et pourquoi je saurais ça, moi ?

— Parce qu’il y a vingt ans que vous êtes là. Que vous en avez passé plus de quinze au sommet. Et que vous êtes tout à fait du genre à baigner dans ce genre de saloperies. Sinon, vous ne seriez pas ici, à Sarqueville. Je ne vous demande pas tout le dossier, vous me donnez deux pages significatives. Rien de plus. Vous avez deux minutes.

Quitte ou double.

— Comment me garantissez-vous la confidentialité ?

— Il faut que ça vienne d’un serveur informatique, c’est tout. J’ai pénétré le système d’Exxyal. Tout ce qui s’y trouve, je peux l’avoir cueilli. Je ne vous demande pas de document top secret, même pas confidentiel. Tout ce que je veux, c’est une information clé, je me charge du reste.

— Je vois.

Futé, le Cousin. Et même encore plus que je pensais, parce qu’il enchaîne :

— Trois millions, dit-il.

Décidément, c’est un pragmatique. Il lui a fallu quelques secondes pour analyser le cas qui se présente, comparer les avantages et comprendre qu’il allait jouer sur le velours. Trois millions d’euros. Je ne sais pas comment il est arrivé à ce chiffre. Il sait que je suis parti avec la caisse. Il a fait une estimation. Dans son esprit, ça correspond à quel pourcentage ? Je m’interrogerai une autre fois. Il faut boucler.

— Deux.

— Trois.

— Deux et demi.

— Trois.

— OK, trois millions trente.

Cousin marque la surprise, et comme je reste de glace :

— D’accord, dit-il.

— Un nom !

— Pascal Lombard.

Merde. Un ancien ministre de l’Intérieur. Je suis sur le cul. Je revois très bien sa tête à ce type. Pur produit de la politique véreuse. Pas mal de talent, un passé limoneux, un cynisme à toute épreuve, quelques gamelles historiques dont la justice n’est jamais parvenue à démêler les ficelles, menacé depuis quinze ans mais continue de pérorer haut et fort à l’Assemblée en faisant un bras d’honneur à la morale publique. Constamment réélu. Un exemple. Deux ou trois fils dans les affaires et dans la politique.

— Quoi ?

— Un délit d’initié. 1998. Lors de la fusion avec Union Path Corp. Tout ce qu’il y a de plus classique : quand il a appris par Dorfmann l’annonce de la fusion, il a fait acheter en masse des actions par ses fils et trois mois plus tard, quand la fusion a été annoncée, il a tout revendu.

— Bénéfice ?

— Quatre-vingt-seize millions de francs.

Je décroche le téléphone de bord. Je compose le numéro de Nicole. Fontana dès la première sonnerie.

— Passez-moi ma femme.

— J’espère que vous avez de bonnes nouvelles pour moi.

— J’en ai. Elles sont excellentes !

— Je vous écoute.

— Pascal Lombard. Union Path. 1998. Quatre-vingt-seize millions.

Silence sur la ligne. Je lui laisse le temps de percuter. Pas nécessaire d’être à la DST pour saisir qu’on est sur une sale affaire. C’est notoire, le nom de Pascal Lombard est un sésame pour le paradis des fripouilles. Le silence de Fontana me donne d’ailleurs raison. Il essaye quand même :

— Ne jouez pas avec moi, Delambre.

J’ai l’impression d’entendre du bruit derrière lui. C’est plus fort que moi :

— Je veux ma femme ! Passez-la-moi !

Ma voix a rempli la voiture. Paul Cousin, qui me regarde, me trouve de plus en plus halluciné.

— Désolé, Delambre, tente Fontana, mais mon client n’a rien reçu et le délai est épuisé.

— Qu’est-ce que j’entends, là, derrière vous ? C’est quoi ?

Il n’aime pas l’échec, Fontana. Et pour le moment, ça se passe mal pour moi mais aussi pour lui. C’est sur ça qu’il faut tabler. Il s’est engagé vis-à-vis de son client et ça part en quenouille. Je confirme :

— Vous allez le rappeler, votre client. Vous allez parler avec Alexandre Dorfmann personnellement et vous lui dites simplement de ma part : « Pascal Lombard. Union Path. 1998. »

Je reprends un peu d’élan, je laisse filer des secondes.

J’arme :

— Si vous lui dites simplement ça, c’est la fin de vos problèmes, Fontana. Parce que ça va le calmer immédiatement.

J’épaule :

— Mais si vous ne voulez pas l’appeler, il va être très très très en colère contre vous.

Je tire :

— Et à ce moment-là, pensez bien à la puissance de Dorfmann : mes problèmes ne seront absolument rien à côté des vôtres.

Silence.

Bon signe. Je respire. Il va le faire. Bien manœuvré.

— Je vous rappelle où ?

— C’est moi qui vous rappelle, avant ça vous me passez ma femme.

Fontana hésite. Il n’aime pas ça, se faire conduire.

— Je vous ai dit : passez-moi ma femme !

— Allô.

J’ai Nicole. Pas de peur. C’est au-delà de ça. Exténuée, comme morte.

— Alain ? Tu es où ?

— Je suis là, mon cœur, je suis avec toi. Tout est terminé.

Ma voix s’étrangle un peu, je tente de lui redonner de l’assurance, de l’assise.