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Foma sortit. Je me précipitai aussitôt dans la salle.

– Tu nous écoutais? s’écria mon oncle.

– Oui, mon oncle, je vous écoutais. Dire que vous avez pu l’appeler Votre Excellence!

– Qu’y faire, mon cher? J’en suis même fier. Qu’est-ce, auprès de son sublime exploit? Quel cœur noble, désintéressé! Quel grand homme! Serge, tu as entendu… Comment ai-je pu lui offrir de l’argent? je ne parviens pas à m’en rendre compte. Mon ami, j’étais aveuglé par la colère; je ne le comprenais pas, je le soupçonnais, je l’accusais… Mais non. Je vois bien qu’il ne pouvait être mon ennemi. As-tu vu la noblesse de son expression lorsqu’il a refusé cet argent?

– Fort bien, mon oncle, soyez aussi fier qu’il vous plaira. Quant à moi, je pars; la patience me manque. Je vous le demande pour la dernière fois: que voulez-vous de moi? Pourquoi m’avez-vous appelé auprès de vous? Mais si tout est réglé et que vous n’avez plus besoin de moi, je veux partir. De pareils spectacles me sont insupportables. Je partirai aujourd’hui même.

– Mon ami, fit mon oncle, avec son agitation accoutumée, attends seulement deux minutes. Je vais de ce pas chez ma mère pour y terminer une affaire de la plus haute importance. En attendant, va-t-en chez toi; Gavrilo va te reconduire; c’est maintenant dans le pavillon d’été, tu sais? dans le jardin. J’ai donné l’ordre d’y transporter ta malle. Quant à moi, je vais près de ma mère implorer son pardon; je prendrai une décision ferme – je sais laquelle – et je reviendrai aussitôt vers toi pour te raconter tout, tout, jusqu’au dernier détail; je t’ouvrirai mon cœur… Et… et… nous finirons par revoir de beaux jours! Deux minutes, Serge, seulement deux minutes!

Il me serra la main et sortit précipitamment. Je n’avais plus qu’à suivre Gavrilo.

X MIZINTCHIKOV

Le pavillon où me conduisit Gavrilo et qu’on appelait «Pavillon d’été» avait été construit par les anciens propriétaires. C’était une jolie maisonnette en bois, située au milieu du jardin, à quelques pas de la vieille maison. Elle était entourée de trois côtés par des tilleuls dont les branches touchaient le toit. Les quatre pièces qui la composaient servaient de chambres d’amis.

En pénétrant dans celle qui m’était destinée, j’aperçus sur la table de nuit une feuille de papier à lettres, couverte de toutes sortes d’écritures superbes et où s’entrelaçaient guirlandes et paraphes. Les majuscules et le guirlandes étaient enluminées. L’ensemble composait un assez gentil travail de calligraphie. Dès les premiers mots je vis que c’était une supplique à moi adressée, où j’étais qualifié de «bienfaiteur éclairé». Il y avait un titre: Les gémissements de Vidopliassov. Mais tous mes efforts pour comprendre quelque chose à ce fatras restèrent vains. C’étaient des sottises emphatiques, écrites dans un style pompeux de laquais. Je devinai seulement que Vidopliassov se trouvait dans une situation difficile, qu’il sollicitait mon aide et mettait en moi tout son espoir «en raison de mes lumières». Il concluait en me priant d’intervenir en sa faveur auprès de mon oncle, au moyen de la «mécanique». C’était la fin textuelle de l’épître que j’étais encore en train de lire quand la porte s’ouvrit et Mizintchikov entra.

– J’espère que vous voudrez bien me permettre de faire votre connaissance, me dit-il d’un ton dégagé, mais avec la plus grande politesse et en me tendant la main. Je n’ai pu vous dire un mot ce tantôt, mais du premier coup, j’ai senti le désir de vous connaître plus amplement.

En dépit de ma mauvaise humeur, je répondis que j’étais moi-même enchanté, etc. Nous nous assîmes.

– Qu’est-ce que c’est que ça? demanda-t-il à la vue de la lettre que j’avais encore à la main. Ne sont-ce pas les gémissements de Vidopliassov? C’est bien ça. J’étais sûr qu’il vous attaquerait aussi. Il me présenta une feuille semblable et contenant les mêmes gémissements. Il y a longtemps qu’on vous attendait et qu’il avait dû se préparer. Ne vous étonnez pas; il se passe ici beaucoup de choses assez étranges et il y a vraiment de quoi rire.

– Rire seulement?

– Voyons, faudrait-il donc pleurer? Si vous le voulez, je vous raconterai l’histoire de Vidopliassov et je suis sûr de vous amuser.

– Je vous avoue que Vidopliassov m’intéresse assez peu pour le moment! répondis-je d’un ton mécontent.

Il me paraissait évident que la démarche et l’amabilité de Mizintchikov devaient avoir un but et qu’il avait besoin de moi. L’après-midi il se tenait morne et grave, et maintenant je le voyais gai, souriant et tout prêt à me narrer de longues histoires. Dès le premier abord, on voyait que cet homme était fort maître de lui et qu’il connaissait son monde à fond.

– Maudit Foma! dis-je avec emportement et en déchargeant un grand coup de poing sur la table. Je suis sûr que c’est lui la source unique de tout le mal et qu’il mène tout. Maudite créature!

– On dirait que vous lui en voulez tout de même un peu trop, remarqua Mizintchikov.

– Un peu trop, m’écriai-je soudainement enflammé. Il se peut que tantôt j’aie dépassé la mesure et que j’aie ainsi autorisé l’assistance à me condamner. Je comprends fort bien que j’aie assez mal réussi, et il était inutile de me le dire. Je sais aussi que ce n’est pas ainsi que l’on agit dans le monde, mais, réfléchissez et dites-moi s’il y avait moyen de ne pas s’emporter! Mais on se croirait dans une maison d’aliénés, si vous voulez savoir ce que j’en pense!… et… et je m’en vais; voilà tout!

– Fumez-vous? s’enquit placidement Mizintchikov.

– Oui.

– Alors, vous me permettrez d’allumer ma cigarette. Là-bas, il est interdit de fumer et je commençais à m’ennuyer sérieusement. Je conviens que ça ne ressemble pas mal à un asile d’aliénés; mais soyez sûr que je ne me permettrai pas de vous juger, car, à votre place, je me serais peut-être emporté deux fois plus fort.

– En ce cas, comment avez-vous pu conserver ce calme imperturbable, si vous étiez tellement révolté? Je vous vois encore impassible et je vous avoue qu’il m’a semblé singulier que vous vous désintéressiez ainsi de la défense du pauvre oncle toujours prêt à faire du bien à tous et à chacun!

– Vous avez raison; il est le bienfaiteur d’une quantité de gens; mais je trouve complètement inutile de le défendre; ça ne sert à rien; c’est humiliant pour lui, et puis je serais chassé dès le lendemain d’une pareille manifestation. Je dois vous dire franchement que je me trouve dans une situation telle qu’il me faut ménager cette hospitalité.

– Je ne saurais vous reprocher votre franchise… Mais il y a certaines choses que je voudrais vous demander, car, vous demeurez ici depuis un mois déjà…