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« Elle a l’air sexy, Brady. Elle était sexy ? C’était la super chaudasse, dis ? »

Pas de réponse.

« Je te demande ça juste parce que, quand on a craqué ton ordinateur, on a trouvé des photos d’elle plutôt ollé ollé. Nuisette, bas nylon, petite culotte et soutien-gorge, tu vois, ce genre de trucs. Elle m’a paru sexy, en petite tenue. Aux autres flics aussi, quand ils l’ont matée. »

Il a beau servir ce mensonge avec son panache habituel, il n’obtient toujours pas de réaction. Nada.

« Tu te l’es tapée, Brady ? Je parie que t’en crevais d’envie. »

Il a rêvé, là ? Ou il a vu l’infime frémissement d’un sourcil ? Une imperceptible moue ?

Peut-être bien, mais Hodges sait aussi que ça pourrait juste être son imagination, parce qu’il veut que Brady l’entende. Personne en Amérique ne mérite plus que cet enfoiré d’assassin qu’on frictionne du sel sur ses plaies.

« Peut-être que tu l’as tuée et qu’ensuite tu te l’es tapée. Plus besoin de s’embarrasser de politesses, hein ? »

Rien.

Hodges s’installe dans le fauteuil visiteur et repose la photo sur la table de nuit à côté du Zappit, l’un des livres électroniques que Al remet aux patients qui en demandent. Il croise les mains et regarde Brady, qui aurait jamais dû sortir de son coma, mais qui en est sorti.

Enfin.

Plus ou moins.

« Tu joues la comédie, Brady ? »

Il lui pose toujours cette question, et il a jamais obtenu de réponse. Il en obtient aucune aujourd’hui non plus.

« Une infirmière s’est suicidée la nuit dernière dans le service. Dans les toilettes. Tu savais ça ? Son nom n’a pas été révélé, mais ils disent dans le journal qu’elle est morte d’hémorragie massive. J’imagine que ça veut dire qu’elle s’est tailladé les veines, mais j’en suis pas sûr. Si tu l’as su, je suis sûr que ça t’a fait bicher. T’as toujours adoré les suicides, hein ? »

Il attend. Rien.

Hodges se penche en avant, plonge son regard dans le visage inexpressif de Brady, et lui parle gravement.

« Le truc — ce que je comprends pas —, c’est comment elle a fait ça. Les miroirs sont pas en verre dans ces toilettes, mais en métal poli. J’imagine qu’elle a pu se servir du miroir de son poudrier ou autre, mais ces petits machins-là me semblent pas tellement de taille pour un boulot pareil. Comme sortir son couteau dans une fusillade. » Il s’adosse au fauteuil. « Hé, peut-être qu’elle avait un couteau. Un de ces petits couteaux suisses, tu sais ? Dans son sac. T’en as déjà eu un, toi ? »

Rien.

Ou si ? Il a l’impression, très forte, que derrière ce masque vide, Brady l’observe.

« Brady, certaines infirmières pensent que t’es capable d’ouvrir et de fermer l’eau dans ta salle de bains depuis ta chambre. Elles pensent que tu le fais juste pour leur fiche la frousse. C’est vrai ? »

Rien. Mais cette impression d’être observé est toujours forte. Brady adorait les suicides. On pourrait même dire que le suicide était sa signature. Avant que Holly ne le calme à coups de Happy Slapper, Brady a tenté de pousser Hodges lui-même au suicide. Il n’y est pas arrivé… mais il a réussi avec Olivia Trelawney, la propriétaire de la Mercedes que Holly Gibney possède aujourd’hui et s’apprête à conduire jusqu’à Cincinnati.

« Si tu peux le faire, fais-le maintenant. Vas-y. Épate-moi. Fais-moi ton numéro. Tu veux ? »

Rien.

Certaines infirmières ont la conviction que les coups répétés qu’il a reçus sur le crâne le soir où il a voulu faire sauter l’auditorium Mingo ont d’une façon ou d’une autre modifié les capacités cérébrales de Hartsfield. Que les coups répétés sur le crâne lui ont donné… des pouvoirs. Le Dr Babineau dit que c’est ridicule, l’équivalent hospitalier d’une légende urbaine. Hodges est persuadé qu’il a raison, mais cette impression d’être observé est indéniable.

Tout comme le sentiment qu’en son for intérieur, Brady se fout de sa gueule.

Hodges ramasse le livre électronique. Celui-ci est bleu. La dernière fois qu’il est venu à la clinique, Bibli Al lui a dit que Brady aimait bien les démos. Il les regarde pendant des heures, a dit Al.

« T’aimes ce machin, hein ? »

Rien.

« Quoique tu puisses pas faire grand-chose avec, hein ? »

Zéro. Nib. Que dalle.

Hodges repose le Zappit à côté de la photo et se lève.

« Je vais voir ce que je peux apprendre au sujet de cette infirmière, OK ? Et ce que j’arriverai pas à faire remonter, mon assistante s’en chargera. On a nos sources. T’es content que cette infirmière soit morte ? Qu’est-ce qu’elle t’avait fait ? Pincé le nez ? Tordu ton bout de quéquette inutile ? Peut-être parce que t’avais écrasé un de ses parents ou amis au City Center ? »

Rien.

Rien.

Rie…

Les yeux de Brady roulent dans leurs orbites. Il regarde Hodges, et Hodges éprouve une seconde de terreur brute, irraisonnée. Ces yeux-là sont morts en surface mais ce qu’il entrevoit en dessous paraît à peine humain. Ça lui rappelle ce film sur la petite fille possédée par Pazuzu. Puis les yeux retournent vers la fenêtre et Hodges s’intime de pas être stupide. Babineau dit que Brady est revenu aussi loin qu’il reviendra jamais, c’est-à-dire pas bien loin. Il est l’ardoise vierge classique, sans rien d’écrit dessus sauf les propres sentiments que Hodges nourrit envers ce type, l’être le plus méprisable qu’il ait jamais rencontré au cours de toutes ses années dans les forces de l’ordre.

Je veux qu’il soit conscient pour pouvoir lui faire mal, pense Hodges. C’est tout ce qui le motive. Il découvrira sans doute que le mari de l’infirmière l’avait laissée tomber, ou qu’elle se droguait et qu’elle allait se faire virer, ou les deux.

« OK, Brady, dit-il. Je change de crèmerie. Je file comme un spaghetti. Mais avant de partir, je me dois de te dire, en copain entends-moi bien, que t’as une coupe de cheveux vraiment merdique. »

Aucune réponse.

« À la revoyure, enflure. À la revoyance, sale engeance. »

Il s’en va, refermant doucement la porte derrière lui. Si Brady est conscient, la claquer pourrait lui donner le plaisir de savoir qu’il a foutu Hodges hors de lui.

Oui, sacrément hors de lui.

Hodges parti, Brady lève la tête. À côté de la photo de sa mère, le Zappit bleu revient soudain à la vie. Des poissons animés zigzaguent dans tous les sens sur l’écran, une petite musique joyeuse, pétillante, se fait entendre. L’écran passe à la démo du jeu Angry Birds, puis à Barbie Défilé de Mode, puis à Galactic Warrior. Après quoi, l’écran redevient noir.

Dans la salle de bains, l’eau jaillit dans le lavabo, puis s’arrête.

Brady regarde la photo de lui et sa mère souriant, joue contre joue. Il la fixe du regard. La fixe du regard.

La photo bascule en avant.

Clac.

26 juillet 2014

NOTE DE L’AUTEUR

On écrit un livre tout seul dans une pièce, c’est comme ça, et pas autrement.

J’ai écrit le premier jet de celui-ci en Floride, en regardant des palmiers par la fenêtre. Je l’ai retravaillé dans le Maine, en regardant des forêts de pins descendant en pente douce vers un lac magnifique où les plongeons arctiques viennent converser à la nuit tombée. Mais dans aucun de ces deux endroits, je n’ai été entièrement seul ; peu d’écrivains le sont. Quand j’ai eu besoin d’aide, l’aide était toute proche.