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Ses visiteurs attendent, debout contre le mur du couloir tapissé d’affiches pour des cours d’été, des ateliers d’été, des camps d’été et un bal de fin d’année. Deux filles, toutes deux en maillot et casquette de soft-ball, arrivent en dansant du fond du couloir. L’une d’elles jongle avec un gant de receveur, qu’elle fait passer d’une main dans l’autre comme dans le jeu de la patate chaude.

Le téléphone de Holly se met à sonner, diffusant une poignée de notes menaçantes du thème des Dents de la mer. Sans ralentir, une des deux filles lance : « Vous allez avoir besoin d’un plus gros bateau », et toutes deux de rire.

Holly consulte son téléphone et le range.

« Texto de Tina », dit-elle.

Hodges hausse les sourcils.

« Sa mère sait, pour l’argent. Et son père saura aussi dès son retour du boulot. » Du menton, elle désigne la porte fermée de la salle de M. Ricker. « On n’a plus besoin d’y aller à demi-mot, maintenant. »

27

La première chose qui frappe Pete lorsqu’il ouvre la porte du bureau plongé dans l’ombre, c’est la puanteur qui monte par vagues. Une odeur à la fois métallique et organique, comme des copeaux de métal mélangés à du chou pourri. La deuxième, c’est le bruit, un bourdonnement bas. Des mouches, pense-t-il, et même s’il ne peut voir ce qu’il y a dans la pièce, la rencontre du bruit et de l’odeur dans son esprit produit un choc sourd comme la chute d’un meuble lourd. Il se retourne pour fuir.

L’employé aux lèvres rouges est là, debout sous l’un des globes suspendus qui éclairent le fond de la boutique, et il tient à la main un drôle de petit revolver rouge et noir avec des motifs en guirlandes dorées. La première pensée de Pete c’est : On dirait un faux. Ils ont jamais l’air faux dans les films.

« Pas de panique, Peter, dit l’employé. Ne fais aucun geste inconsidéré et tu t’en tireras sans être blessé. C’est juste une conversation entre nous. »

La deuxième pensée de Pete c’est : Tu mens. Je le vois dans tes yeux.

« Retourne-toi, fais un pas en avant et allume la lumière. L’interrupteur est à gauche de la porte. Puis entre. Mais n’essaie pas de claquer la porte derrière toi, sauf si tu veux recevoir une balle dans le dos. »

Pete fait un pas en avant. Tout en lui, de la poitrine jusqu’aux talons, lui paraît désarticulé et branlant. Il espère qu’il va pas se pisser dessus comme un bébé. Bon, ça serait sûrement pas si grave — il serait sûrement pas le premier à mouiller sa culotte sous la menace d’une arme à feu —, mais à lui, ça lui paraît grave. Il tâtonne de la main gauche, trouve l’interrupteur et l’actionne. Quand il voit ce qui est étendu sur le tapis souillé, il veut crier mais les muscles de son diaphragme refusent de coopérer et tout ce qui sort de lui est une plainte larmoyante. Des mouches tournoient et se posent sur ce qui reste du visage de M. Halliday. Autrement dit, pas grand-chose.

« Je sais, dit l’employé avec commisération. Pas très joli, hein ? Les leçons de choses le sont rarement. Il m’a énervé, Pete. Toi aussi, tu veux m’énerver ?

— Non », répond Pete d’une voix aiguë et tremblante. Ça ressemble plutôt à la voix de Tina. « Je veux pas.

— Dans ce cas, t’as bien appris ta leçon. Vas-y, entre. Très lentement. Mais te sens pas obligé de marcher dans le sang. »

Pete avance sur des jambes qu’il sent à peine, prenant à gauche le long d’un des rayonnages de livres, tâchant de poser ses mocassins sur la partie du tapis qui n’est pas souillée de sang. Elle n’est pas très étendue. Sa panique initiale a été remplacée par une nappe de terreur vitreuse. Il n’arrête pas de penser à ces lèvres rouges. De se représenter le Grand Méchant Loup disant au Petit Chaperon rouge : C’est pour mieux t’embrasser, mon enfant.

Il faut que je réfléchisse, se dit-il. Il faut que je réfléchisse, sinon je vais mourir dans cette pièce. Je risque d’y mourir de toute façon, mais si j’arrive pas à réfléchir, c’est sûr que c’est ce qui va m’arriver.

Il continue de contourner la tache violacée jusqu’à ce qu’une desserte en merisier lui bloque le passage, et il s’arrête là. Aller plus loin impliquerait de poser le pied sur la partie ensanglantée du tapis qui risque d’être encore assez humide pour faire sleurp. Sur la desserte sont posées des carafes en cristal remplies d’alcool et plusieurs gros verres à whisky. Sur le bureau, il aperçoit une hachette dont le fer renvoie un éclat de lumière du plafonnier. C’est sûrement l’arme que le type aux lèvres rouges a employée pour assassiner M. Halliday. Pete suppose que cette révélation devrait le terrifier encore davantage mais étrangement, la vue de la hachette lui éclaircit les idées comme une bonne gifle.

La porte se referme derrière lui dans un clic. L’employé qui n’est probablement pas un employé s’est adossé contre elle et pointe son joli petit revolver sur Pete.

« Très bien, dit-il, et il sourit. Maintenant on peut parler.

— De… de… » Pete s’éclaircit la voix, essaie encore et se reconnaît un peu plus, cette fois. « De quoi ? Parler de quoi ?

— Fais pas ton malin. Des carnets. Ceux que t’as volés. »

Tout converge dans l’esprit de Pete. Sa bouche s’ouvre en grand.

L’employé qui n’est pas un employé sourit.

« Ah. Ça y est, je vois que t’as pigé. Dis-moi où ils sont et tu peux encore t’en sortir vivant. »

Non, Pete ne le pense pas.

Ce qu’il pense, c’est qu’il en sait déjà trop pour ça.

28

Quand la fille émerge de la salle de M. Ricker, elle a le sourire, preuve que son entrevue s’est bien passée. Elle esquisse même un petit signe dans leur direction — s’adressant peut-être à eux trois, mais plus vraisemblablement à Jerome seul — tout en se hâtant vers le bout du couloir. M. Ricker, qui l’a accompagnée à la porte, dévisage Hodges et ses associés.

« Madame, messieurs, puis-je vous aider ?

— Peu probable, répond Hodges, mais ça coûte rien d’essayer. On peut entrer ?

— Je vous en prie. »

Ils s’installent aux pupitres du premier rang tels des lycéens attentifs. Ricker se perche sur le coin de son bureau, familiarité dont il s’est dispensé lors de son entretien avec sa jeune élève.

« Je suis à peu près sûr que vous n’êtes pas des parents d’élèves, alors qu’est-ce qui vous amène ?

— C’est au sujet d’un de vos élèves, dit Hodges. Un garçon nommé Peter Saubers. Nous pensons qu’il pourrait s’être attiré des ennuis. »

Ricker fronce les sourcils.

« Pete ? Ça ne lui ressemble pas. C’est un des meilleurs élèves que j’aie jamais eus. Témoignant d’un authentique amour de la littérature, tout spécialement la littérature américaine. Tableau d’honneur tous les trimestres. Quel genre d’ennuis pensez-vous qu’il se soit attirés ?

— C’est bien ça la question. Nous l’ignorons. Je l’ai interrogé, mais il m’a opposé une fin de non-recevoir. »

Le froncement de sourcils de Ricker s’accentue.

« Ça ne ressemble pas du tout au Peter Saubers que je connais.

— Cela concerne une somme d’argent dont il est semble-t-il entré en possession il y a quelques années. Je peux vous communiquer ce que nous savons à ce sujet. Ce ne sera pas long.

— Je vous en prie, mais ne me dites pas que c’est lié à un trafic de drogue.