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Francis Carsac

Ce monde est nôtre

À GEORGES LAPLACE,

en souvenir de ses montagnes bien-aimées…

et des escargots du Pœymau !

F. Carsac

Prologue

Heounimeor Khardon, Coordinateur suprême de la Ligue des Terres humaines, avait achevé sa journée. Déjà ses collaborateursHommes, Sinzus, Hr’ben, Kaïens, Hiss surtoutavaient quitté le palais des Mondes, sur Réssan, la sixième planète d’Ialthar, dans le Premier Univers. Khardon considérait sans déplaisir un vol de deux heures jusqu’à la maison des Sages, où l’attendait son ami Sssefen, le physicien hiss, et la longue partie de Jeu des Étoiles qui suivrait. Tout avait été routine, ce jour-là, la fastidieuse routine d’une administration responsable de plus de cinquante mille planètes !

Avec un soupir d’aise, il jeta dans un tiroir quelques papiers, avança la main vers l’interrupteur qui allait couper, jusqu’au lendemain, toutes communications avec son bureau, les déviant vers ses seconds, Arekeion Aklin, le sinzu, ou Essenssinon, le hiss. Mais le destin avait décidé que, ce soir-là, Heounimeor Khardon ne jouerait pas au Jeu des Étoiles.

L’écran s’alluma, et la face verte de sa secrétaire hiss y parut.

« Coordinateur, le capitaine Haldok Kralan, du « Kelen », de retour d’exploration, demande une entrevue. »

Khardon réprima un geste d’ennui.

« Bon, envoyez-le immédiatement. »

Haldok était un vieux routier de l’espace, et ne dérangeait certainement pas le Coordinateur suprême pour des banalités, Quelques instants plus tard, il entra.

« Quoi de neuf, Haldok ?

— Rien de bon, Heounimeor. Tu recevras mon rapport demain matin, mais, comme c’est un cas de grande urgence, j’ai cru bon de t’avertir ce soir même. Tu le sais, nous étions en mission d’exploration dans la plus grande des galaxies satellites du dix-huitième Univers, celui des Terriens. Nous avons eu un accident ; peu de chose en vérité, un simple dérèglement des hyperspaciotrons. Comme il est plus aisé, cependant, de faire la réparation au sol, nous avons atterri sur la planète la plus proche, un monde du type IA, ce qui convenait parfaitement à mon équipage, mélange de hiss, de sinzus et de Terriens. Nous touchâmes le sol dans une vallée agréable, sans avoir vu de haut aucune trace de civilisation. Mais le lendemain, comme nous nous apprêtions à repartir, un indigène a pris contact avec nous : humanoïde, classe I, type chlorohémoglobinien, groupe B7, c’est-à-dire très voisin des hiss, et donc naturellement télépathique. De fait, la seule différence notable avec les hiss est qu’ils appartiennent à un groupe symétrique, dextrogyre au lieu d’être lévogyre.

— La découverte d’une nouvelle espèce humaine est chose assez banale, et je ne vois pas…

— Ce qui est moins banal, c’est ce qu’il nous a raconté : il y a sur cette planète, en plus des indigènes, un groupe humain, probablement d’origine terrienne d’après ce que nous en a dit notre informateur, groupe établi là depuis plusieurs siècles locaux, et qui cherche à s’étendre par conquête ! »

Khardon sifflota entre ses dents.

« En effet, c’est grave. As-tu d’autres renseignements ?

— Non. Mais, en revenant, j’ai touché Lambda, une colonie terrienne. Il serait possible que le groupe en question descende des équipages de ce que les Terriens appellent « les astronefs perdues », qui, il y a cinq cents ans terrestres, essayèrent pour la première fois un vol intergalactique vers le « Grand Nuage de Magellan ».

— Tu as raison, il y a urgence. As-tu les coordonnées ?

— Elles sont dans mon rapport, mais je les ai aussi apportées. Les voici.

— Humains et indigènes voisins des hiss, dis-tu ? J’ai justement sous la main l’équipe qu’il faut, une des meilleures : Akki Kler et Hassil, un Novaterrien et un hiss. »

Première partie

La cité

Chapitre I

La planète perdue

Peu à peu, l’horizon absorba la Lune roussâtre. À l’autre extrémité du ciel, les ténèbres se firent moins profondes. Une brise légère se leva, annonciatrice de l’aube. Les longues feuilles du glia, glaives dressés vers le zénith, bruirent doucement. Et, comme chaque matin, du cœur de la forêt monta la clameur des orons. Ils s’assemblaient au bout des branches flexibles, leurs faces presque humaines tournées vers la tache grandissante de lumière, à l’est. Leur queue bifide solidement enroulée autour d’un rameau, ils se laissaient pendre, la tête en bas, les bras allongés, et le chant rauque qui sortait de leur gorge était un hymne d’allégresse, un hymne au soleil encore une fois vainqueur de la nuit.

Très haut, bien au-dessus de l’atmosphère, le grand croiseur intergalactique planait, immobile. L’instant d’avant, il n’était point là ; il avait surgi de l’hyperespace, comme engendré par le néant. Une section de la coque s’ouvrit. Un fuseau effilé, aux courtes ailes, plongea vers la planète encore à demi enveloppée de nuit. Il ne contenait que deux êtres.

Celui qui tenait les commandes était un homme très grand, aux cheveux blonds coupés court, aux yeux obliques d’un gris clair. Sous le front haut et bombé, la face était maigre, le nez aigu et droit, le menton carré et proéminent. Les épaules très larges disparaissaient sous une cape noire. À première vue, l’autre aurait pu paraître humain, lui aussi. Plus petit, plus mince, il avait un visage régulier, encadré de longs cheveux d’un blanc platiné ; mais ses mains possédaient sept doigts, et sa peau était vert pâle.

Un sifflement monta, tourna à l’aigu ; l’appareil atteignit l’atmosphère. Une lueur violacée dansa sur son rostre, et la vitesse diminua. Le sifflement cessa. L’homme se tourna vers son compagnon.

« Nous y voici, Hassil, une fois de plus. Qu’allons-nous trouver, en bas ? C’est bien la première fois que nous travaillerons avec d’aussi maigres données. »

Il s’exprimait en un parler sonore, dans lequel un philologue eût reconnu de nombreuses racines françaises, anglaises, russes et chinoises, mêlées à d’autres inconnues.

L’être à peau verte sourit, et répondit, en une langue sifflante :

« Non, Akki. Tu oublies Théran. Notre première mission, et aussi notre premier et dernier échec !

— Tais-toi ! Je ne veux plus y penser, jamais ! Une planète entière noyée sous les gaz, brûlée, éventrée ! Et tout cela, sur notre rapport !

— La Loi d’Acier, Akki ! Il y a bien des millénaires, Sian – Thom disait déjà : « Si ta main est malade, coupe-la avant qu’elle ne gangrène ton corps ! » Nous, hiss, tu le sais, répugnons à toute guerre, sauf celle contre les misliks. Mais jamais ni nous, ni les sinzus, ni vous, ni aucun peuple intercosmique n’avions rencontré une espèce aussi méprisable et dangereuse que les Théransi ! Souviens-toi des planètes quatre et cinq, et de ce que nous y avons trouvé !