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— Vous l'avez entendu arriver ? m'enquiers-je.

— Confusément. Des pas dans le jardin, très légers ; il fallait l'oreille d'un Africain pour les percevoir. Je suis sorti et j'ai découvert une échelle d'alpiniste accrochée à une fenêtre du premier étage. Alors j'ai rebroussé chemin et gagné ta chambre en courant. Au moment où je suis arrivé, ce salaud te tirait dessus. Dès lors je l'ai cartonné.

« Bon Dieu, je t'ai cru mort, Antoine ! J'ai failli dégueuler mon cœur sur le tapis ! »

Je vais dans le corridor tendre l'oreille. Tout est calme. Des odeurs de coq au vin flottent encore dans le pavillon. Par grande grâce divine, m'man n'a rien entendu car sa chambre est au rez-de-chaussée, de l'autre côté de la maison.

Rassuré sur ce point, je relourde et me tourne vers mon ange gardien.

— Te rends-tu compte de ce qui arrive ? demande-t-il.

Comme je reste muet, il poursuit :

— Il t'est venu un don surnaturel : Tu as la mémoire de l'avenir ! Tu es capable de décrire avec une affolante précision des faits qui ne se sont pas encore produits !

Ces paroles me flanquent les copeaux, tout à coup. C'est vrai ce que dit ce mec !

— Tu as été jusqu'à marquer sur cette tête de lit des impacts de balles en devenir, poursuit-il. Au fait, comment se fait-il que tu te sois levé ?

— J'ai eu envie de déglander et suis allé trouver la bonne.

Il rit :

— On dit de certains que le cul les perdra ; toi, il te sauve ! Bon, coupe-t-il, c'est pas le tout : nous devons prévenir les autorités.

Je lui biche l'aileron.

— Pas si vite ! Tu imagines ce que serait la vie de Félicie, désormais, sachant qu'un homme a été abattu dans ma chambre ?

Ça le douche.

— Que faire ?

— Nous allons évacuer ce type dans un endroit propice à recevoir une charogne.

— Je l'ai flingué avec mon arme de service, objecte-t-il. Quand il sera découvert, ce ne sera pas difficile de remonter jusqu'à moi.

— Non, assuré-je.

— Pourquoi ?

— Parce que depuis très longtemps j'ai pris la précaution d'équiper mes « mousquetaires » de pétoires anonymes, Grand.

Alors, le Primate des Gaules pousse un grand cri.

— Quoi ? je lui demande, alarmé.

— Antoine ! gosille-t-il. Antoine, mais TU ES GU&EacuteRI !

J'abasourde. Qu'est-ce qu'il raconte, ce Noirpiot à qui il ne manque qu'un os en travers du nez pour ressembler aux anthropophages des dessins humoristiques de jadis ?

- Ça y est ! continue-t-il d'exulter. Fini le cauchemar : tu as recouvré la mémoire ! Tu me retutoies, tu m'appelles « Grand », tu me parles de tes « mousquetaires » et des mesures que tu as prises pour les armer.

Je le regarde fouguer ! Comme il est heureux, Blanche-Neige ! Des larmes me viennent, je l'étreins puissamment. C'est vrai que mon cigare refonctionne. Je suis le Big de la Rousse !

— Grâce à mes nanas, sois-en certain ! Elles étaient déconfites de constater qu'elles ne t'avaient pas guéri, mais ce n'était qu'un retard. Tu renais à la vie ! Ce que Mme Félicie va être joyce ! Allons la réveiller pour lui annoncer ce miracle !

Je le retiens :

— Non ! Mettons d'abord de l'ordre dans sa maison.

Lui désigne le cadavre auquel, jusque-là, nous n'avons accordé aucune attention, et qui gît sur mon pieu, une olive dans le chignon.

— Il faudrait une vieille couverture pour l'envelopper, assure mon frère du Sénégal.

— Il doit y en avoir sur le dernier rayonnage de la penderie.

Fectivement, juché sur une chaise, Jéjé déniche la couvrante souhaitée : une relique sentant l'antimite. Nous décousons sa marque d'origine, l'étalons sur le sol et saisissons ensuite le corps pour le déposer sur la berlue. On le manipule avec soin, histoire de ne pas provoquer de gros épanchements sanguins.

Lorsqu'il est allongé à nos pieds, nous constations du peu banal : l'agresseur est une femme habillée en mec. Elle porte un pantalon gris et un blouson en soie imperméabilisée. Elle est coiffée kif un julot : rasibus, avec tout juste deux centimètres de crins et une baffie bidon à la Craque Câble.

— Une gonzesse, soupire l'homme des fromagers géants. Ça me sape vachement le moral !

Je m'accroupis près de la défunte. J'éprouve cette sensation de déjà-vu, si agaçante. J'ai rencontré cette fille antérieurement.

Mais où ?

Mais quand ?

J'ai assurément renoué avec mon passé et le brouillard noyant ma mémoire se dissipe ; pourtant il subsiste énormément de zones opaques.

— Elle semble te fasciner, cette frangine ? note Jérémie.

— Je cherche à la situer. Je vois du noir, beaucoup de noir, déchiré par le faisceau d'une lampe, une fille plantée sur la verge d'un mec… Et deux voitures accidentées sur une route, la nuit. C'est là que tout bascule. Je m'engouffre dans un élément plus désert que le néant.

— Et avant ? murmure doucement mon compagnon.

— Avant, il y a un cadavre sur un échafaudage.

— Pas possible ?

— Très haut, au sommet d'un vaste hall.

Je cache mes yeux dans ma main, comme le font les mages de music-hall pour marquer leur concentration.

— Puis je distingue l'énorme poignée de cuir d'une grosse valise contenant des pierres précieuses.

Au fait, ne les avais-je point enfouillés, ces cailloux ? Que sont-ils devenus, au cours de mes tribulations dans le coltar ? Quelqu'un m'en aura soulagé, c'est sûr !

Je suis brusquement terrifié à la perspective de tout ce que je vais devoir « retrouver ». Je pressens un monceau de mystères à résoudre.

— T'as l'air abattu ? me fait l'écolier des savanes.

— Tous les gus auxquels l'on demande de vider l'océan avec un seau doivent traverser cette phase de découragement, soupiré-je.

Il me biche par le cou, me bise au temporal.

— Ne te tracasse pas, je t'aiderai. Pour l'instant, déménageons cette fille.

Nous enveloppons la morte dans la couvrante, puis Jérémie, sans produire un effort démesuré, charge le tout sur son épaule.

— Je vais l'évacuer par la fenêtre, annonce-t-il, c'est plus prudent dans l'hypothèse où Mme Félicie se lèverait. Ta « meurtrière » a bien fait d'apporter son échelle ! Lorsque nous serons dans le jardin, décroche-la, inutile de l'abandonner sur place.

* * *

La tueuse possédait sûrement un véhicule. Je l'imagine mal frétant un taxi pour aller buter un client. Question primordiale : était-elle seule ou accompagnée ?

Afin d'en avoir le cœur net, Jéjé escalade notre mur donnant sur une impasse adjacente. Ma pomme vais entrouvrir un tantisoit le portail, en tenant la clochette pour qu'elle ne tinte pas.

Un moment s'écroule, puis mon ami sort de l'ombre, ombre lui-même !

— J'ai repéré la chignole, annonce-t-il ; la fille l'avait planquée dans un renfoncement. Elle n'était pas fermée et la clé est au contact.

On se risque après un coup de saveur sur les alentours. Tout baigne. C'est chouette de crécher dans une banlieue chicos : les bourgeois se claquemurent dès potron pour se faire minette.

Le clair de lune d'opale continue de baigner ce coin de planète avec indifférence. Un astre mort, vraiment ! A se demander ce qu'ils sont allés foutre là-haut (ou là-bas), les astronautes. Des cailloux ! D'ailleurs, ils n'y sont plus retournés, t'as remarqué ? Le seul intérêt de l'opération, c'était de contempler la Terre à trois cent soixante mille kilomètres de distance… Ben ils l'ont vue ; alors basta !

Enquiller la trépassée dans le coffiot de sa voiture n'est pas dif' puisqu'il s'agit d'une Jaguar. Tu pourrais loger sa mère et sa grand-mère avec elle.