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J'entre.

Deux personnes : le mari et sa rombiasse. Le type est la réplique d'une pauvre bite entrevue dans un hosto, par l'échancrure d'un pyjama pisseux. Petite tronche presque chauve, yeux proéminents, étiquettes décollées, plaques d'eczéma un peu partout. Sa camarade d'existence fait songer à une poupée gonflable passablement dégonflée. Elle est roussâtre, mal peinte, avec sur le visage une expression d'ennui hébété. Robe en lainage marronnasse, ceinture de plastique vert. Au cou une main de Fatma fraîchement sortie de la culotte d'un cavalier berbère.

Voilà pour les protagonistes.

Le magasin est sombre comme l'intérieur d'un de ses appareils photo. Des odeurs méchantes émanent de l'arrière-boutique, mi-chimiques, mi-oignons frits. Ça, c'est pour le décor, auquel on doit ajouter une constellation de portraits désespérants par la détresse qu'ils expriment.

Le batracien (il évoque un crapaud) essaie de m'accueillir avec le sourire, mais tout ce qu'il obtient c'est une grimace de constipé ayant perdu l'espoir d'accoucher un jour d'un bel étron qui ressemblerait à son papa.

— Vous désirez ? s'informe-t-il avec civilité.

— Je suis venu vous montrer deux portraits d'identité, dis-je-t-il d'un ton urbain. Voici le premier…

Et de lui présenter ma brème professionnelle sur laquelle je photomatone avec enjouement.

— Et voilà la seconde, poursuis-je en produisant le spécimen planqué dans la coquille (n'oublie jamais le « q » de ce mot, sinon tu risques de déconcerter).

Ma carte de directeur de la Rousse lui a fait perdre une grosse partie de sa capacité thoracique. Son coup de projo à l'autre est effectué avec détachement.

— Alors ? chevrote mister Guette-au-trou.

— Je m'intéresse à ce personnage, déclaré-je en le sondant d'un regard de lynx.

Il tâtonne la poche supérieure de sa blouse blanche, y puise des besicles d'alchimiste lituanien et les chausse, non sans s'être filé l'une des branches dans l'œil.

Se met à scruter la photographie.

Dubitate.

Je me dis, avec une voix mentale désespérée : « Chou blanc, Antoine, tu t'es chatoyé la gamberge pour peau de zobinche ! »

— Très sincèrement, je ne me rappelle pas, bredouille le crapaud-bluff.

Et là, il a l'initiative du siècle, cet ange brachycéphale.

Tu sais quoi ?

Il présente l'image à sa poupée dégonflée.

— Ce ne serait pas toi, Muguette ?

Elle regarde et déclare :

— Mais oui !

Un zéphyr souffle sur ma bite en feu.

Comme je m'apprête à passer au questionnaire poulardier, elle embraye :

— Je l'ai faite le jour où tu es allé chercher maman à Maisons-Alfort pour son anniversaire. Je fermais le magasin plus tôt, à cause de mon repas. Au moment où j'allais monter à l'appartement, cet homme a frappé à la vitre. J'ai rouvert car il me semblait l'avoir déjà aperçu. Il m'a suppliée de lui faire des identités dont il avait un besoin urgent… Il paraissait franchement ennuyé. Alors j'ai accepté.

Son regard angélique de connasse-fière-de-l'être me prend à témoin de magnanimité.

Mon sourire complice lui chauffe l'âme et incursionne jusqu'en sa culotte dont je soupçonne l'inintérêt.

— Vous venez de dire que vous pensiez le connaître ?

— En effet. Deux ou trois fois je l'ai croisé dans le quartier en faisant mes courses.

Elle reprend la photographie pour la regarder plus attentivement.

— Il a un accent étranger, fait Muguette.

— De quelle région ?

Elle devient pensive, ce qui accroît son air borné.

— Ni anglais, ni italien, assure-t-elle avec une catégoricité impressionnante.

— Europe centrale ?

— Peut-être.

— Vous pensez qu'il habite près d'ici ?

— Probablement. Je crois même qu'il demeure à la pension de famille Moulapine, près du garage. Elle est gérée par un vieux Russe d'au moins quatre-vingt-dix ans ; mes parents qui ont créé ce magasin à la fin de la guerre l'ont toujours connu.

Une lueur, qui ne saurait être d'intelligence, mais disons de curiosité, passe dans sa prunelle d'enfoirée.

— Je peux vous demander pourquoi vous vous intéressez à lui ?

— Qui vous en empêcherait ! réponds-je d'un ton mutin. Votre client ne vous a pas donné son nom ?

— Ce n'était pas la peine puisqu'il a attendu.

— Vous avez parlé pendant le développement ?

— A peine ; je m'occupais du tirage. D'ailleurs c'est le genre de personne qui ne recherche pas la conversation. Il a lu ce catalogue de chez Canon et, mon travail terminé, a insisté pour me donner cinquante francs de plus.

— Tu ne me l'avais pas dit ! lâche aigrement Fesse-de-rat.

— C'était l'anniversaire de maman, j'ai oublié, répond la malheureuse connasse que son singe doit tenir d'une main ferme.

Je quitte ce couple charmant afin de visiter la pension Moulapine.

12

Le mastic des fenêtres ne tient plus et les vitres en semi-liberté font un bruit de troïka lorsqu'un lourd véhicule martyrise la chaussée.

Dans cet hôtel, tout est exténué : les meubles, les rideaux, le patron et le personnel (limité à deux femmes de chambre dont les ménopauses ont coïncidé avec l'assassinat de ce pauvre Nicolas II).

Le taulier gît derrière sa caisse, sur un étroit lit de camp qui poserait problème à Valentin-le-Désossé. Franchement dans les quetsches, le Général Dourakine ! Que dis-je : dans la salle d'attente de la morgue.

Je renonce à lui adresser la parole et me mets en quête (ou enquête) de ses soubrettes. Précisément, en voici une sortant des gogues, la jupe encore à demi troussée, la moustache australe détrempée, le visage en lune joufflue, les cheveux gris sales et la barbe frisottée.

Je l'accoste avec une expression d'admiration en comparaison de laquelle celle que j'arborerais en accueillant sur mes genoux Emmanuelle Béart entièrement nue ressemblerait à la grimace d'un magot chinois souffrant de coliques néphrétiques. Ça ne la trouble pas, mais l'intrigue.

— Gentille madame, attaqué-je, je cherche un monsieur dont voici la photo. Habite-t-il cette maison ?

Présentation de l'image.

— Vous êtes police ? fait-elle du ton de quelqu'un à qui on ne la fait point.

— Je suis police, admets-je. Mais après tout, il n'existe pas de sot métier.

Elle acquiesce de la tige et assure :

— C'est photo M. Vokowiac.

— Quelle chambre ?

— Volga.

— Je vous demande pardon ?

— Ici, chambre, pas numéro ; noms rivières.

— Très original. Et la Volga coule à quel étage ?

— Tout de suite premier ; tout de suite escalier.

— Vous ange ! assuré-je en attaquant l'escadrin d'une allure martiale.

Me voici premier étage ! Derrière la lourde comportant le nom du prestigieux fleuve, écrit au pochoir, une musique cosaqueuse retentit.

Je frappe léger, comme le ferait une souris blanche en quête d'une couenne de gruyère.

Presque instantanément, l'huis s'écarte. Je me trouve en présence d'un zig blond, à moustache noire. Regard clair, bouche mince, expression sournoise, mais cependant joli garçon. Il porte un jean, un blouson de daim, un polo crème et tète un long cigare noueux.

— Qu'est-ce que c'est ? demande-t-il au risque de faire chuter deux centimètres de cendre.

— Police, déclaré-je sans forfanterie excessive.

— Que me voulez-vous ?

L'accent slave met du moelleux dans sa voix.