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« Ah ! son 2 juin, l’a-t-il fignolé, le bougre. Je crois franchement que l’organisation de ce 2 juin le passionna tellement qu’il aborda son trépas comme une Générale. Au début, Steve Fleep refusa de venir en France. Mais Bordeaux se fit pressant, menaçant, recourut au chantage. Il assura à Fleep qu’il le discréditerait dans son milieu avec l’histoire du môme s’il ne venait pas lui rendre visite en compagnie de son épouse, à la date fixée. Il poussa le jeu jusqu’à lui adresser une photo de l’enfant, qu’il avait fait prendre en douce, afin de lui montrer combien le petit lui ressemblait. J’ai ici ces lettres et la photographie…

Ça, je le virgule à la cantonade, pour Mister Bon Dieu, lequel n’en perd pas une miette, depuis son burlingue. Tu parles qu’il a dû décrocher son bignou, le Dabe Vénérable, donner des instructions bien formelles, pas qu’on l’importune en plein vouesterne. Ce qu’il doit mouiller dans son beau caleçon long, le dear Vieux, putain d’Adèle ! Une histoire de cette qualité, dis ; à rebondissements, coups de théâtre à ressort, et toutime, ça fait un bout de moment qu’il s’en est pas coincé une semblable dans la charnière de son râtelier, le Big Boss.

— En fin de compte, reprends-je sans donner le moindre signe de fléchissement, Steve accepte de venir voir Bordeaux avec sa pétasse. Le comédien a magnifiquement usiné pour que sa taule fût bourrée de monde à l’heure prévue pour la visite du couple et le gars Patache l’a vachement secondé dans cette entreprise en donnant l’alerte en loucedé, pas vrai, mon petit trognon ? Oh, regarde pas ailleurs, t’as de trop beaux yeux !

Bébert renifle sa honte par la narine droite, et, par la gauche, son humiliation.

— Que fait Christian, assailli de visiteurs en tout genre ? Il demande à Fleep et à sa gerce d’attendre dans le petit dressing attenant à sa chambre que les autres envahisseurs se soient retirés. J’ai retrouvé, avec mon éminent collaborateur, monsieur Mathias, ici présent, des traces incontestables du séjour de ces deux personnes à l’endroit que je vous indique. Lorsque tout le monde est parti, Bordeaux les fait entrer dans sa chambre et les révolvérise froidement. Il ne lui reste plus qu’à placer dans leurs mains les deux autres revolvers dont il s’était primitivement muni et qu’il conservait dans un ourlet de sa robe de chambre (là aussi nous avons découvert postérieurement des traces d’huile provenant de ces armes). Ce double meurtre ne faisait qu’accréditer encore davantage la thèse de l’attentat déjà pas mal implantée. Un instant plus tard, Bordeaux gobait des pilules au cyanure. Qui donc, après la série d’événements précédant son geste, pourrait déclarer qu’il s’agissait d’un suicide ?

Je me tais.

Fais signe à Claudette de me servir un whisky. Un double, sans eau. L’avale. Regarde mon monde.

— Fan-tas-tique ! égrène Lophone. La maladie avait dû ruiner son esprit ; car, pour inventer des choses pareilles…

Je joins mes deux mains, exactement comme le fait Monsieur le Chat noir de Saint-Sulpice avant de décréter « qu’allez-la-messe-est-dite ».

— Certes, son mal, son infortune conjugale, son impuissance sexuelle avaient probablement dégradé le cerveau de ce merveilleux comédien… Lui, au moins, avait des circonstances atténuantes, mais tout le monde ne peut en dire autant…

Boum ! Paveton dans la pièce d’eau de Maâme la Dussèche ! Les carpes s’affolent. Y’a que Lophone, peinard pour sa prime, qui garde son self.

— Que sous-entendez-vous par là, mon excellentissime ami ? Que d’autres assassinats ont été commis à la faveur de cette triste histoire, monsieur le Président-Directeur colonel. Et savez-vous pourquoi ? Parce que les êtres humains sont les animaux les plus malfaisants de la création ! Parce que la cupidité l’emporte sur tout ! Parce qu’un milliard de francs, même de pauvres francs anciens, les conduit à l’abjection suprême. Quelqu’un de ce beau trio, Ludo ou Éléonore, je présume, qui était au courant de cette prime d’assurance insolite, mais qui ignorait le but final de Christian, a prévenu Valérie. Laquelle, tout à coup, ne s’est plus sentie licebroquer. Si son impuissant clabotait le 2 juin elle avait sa vie assurée dé-fi-ni-ti-ve-ment. Alors elle a parlé de la chose au gai Pinson que voici. Tu parles d’une secousse ! Ce faux malfrat, faux honnête homme, minus intégral, qui vendit son nom à un bébé pour une pincée de fric, aida l’indigne épouse à trouver une équipe de gredins susceptible de la faire devenir héritière en la rendant veuve à la date voulue. Seulement, quand on sut que votre illustre compagnie faisait appel à un non moins illustre (si vous le permettez) policier, ces vilains mirent tout en œuvre pour essayer de m’écarter du parcours, le 2 juin. Un mouvement un peu trop appuyé, et ils tuèrent une gentille personne qui mettait tout en œuvre pour affirmer ma gloire. Ce sont eux qui se déguisèrent en installateurs pour placer une bombe dont je regrette, aujourd’hui, qu’elle n’ait point rempli son office, car cela aurait épargné la vie des deux Américains…

Un silence. Mon téléphone ronfle comme un chat dans une chatte. Je décroche, sachant déjà qui est en ligne.

Effectivement, c’est la voix du Vieux. Tiens, j’en avais oublié déjà certaines inflexions…

— Inouï, bravo, sensationnel, San-Antonio. Quelle quiquette ! Je veux dire quelle enquête ! De toute beauté ! Mais dites, l’assassinat de Valérie ? Hein ? Les gars de la bande engagée par elle ? Quel intérêt, j’avoue ne pas très bien…

Et moi, désinvolte :

— Un instant, mon vieux !

Parfaitement, je viens de Lui dire « mon vieux ». Mon vieux ! À Lui ! Et de raccrocher.

— Il me reste maintenant à vous raconter la mort de Valérie.

— Ah, mais oui, c’est vrai, retentit Lophone.

— Elle était partie pour son île de putes, afin de ne pas être concernée par le drame. Mais, à peine en l’air, elle a compris qu’il lui fallait demeurer aux abords de l’action. Alors elle a pris ses risques et elle est revenue. Je pense plutôt qu’elle était inquiète à cause de son amant. Pinson est une brute qui pouvait commettre un impair, privée de sa tutelle. Bref, elle est restée jusqu’à l’accomplissement de ses désirs. Alors, elle s’est empressée de filer en emmenant Pinson Robert travesti en pin-up. Les chauves portent bien la réchauffante. Mais lui, le saligaud, le rejet d’humanité, l’abjection personnifiée, il a décidé de devenir milliardaire à part entière. En effet, si Valérie mourait, après avoir hérité le milliard, ce milliard revenait à « son » enfant, donc au sien aussi, à lui, Pinson Robert. Un milliard à gérer, officiellement. Tu parles d’un bonheur… Il a pensé que, pour en finir avec sa belle partenaire, le moyen le plus énorme serait le meilleur, et le plus marrant c’est qu’il a failli avoir raison. Il a égorgé Valérie, de nuit. Puis il a chaussé l’une des deux vastes paires de godasses dont il s’était muni, le bon petit diable. Il a fait un aller-retour de la case à la mer ; ensuite un second avec la deuxième paire de targettes. Au bord de l’eau, à l’aide d’une pièce de bois, il a mimé les traces d’un accostage. Il ne lui restait plus ensuite qu’à planquer les pompes et à se médicamenter à bloc afin de chiquer au type chargé de porter le chapeau. C’était tellement énorme, tellement fou que…