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— Tiens, vous n’aimez pas la sauce vinaigrette, Mina ?

— Non, ça m’occasionne des brûlures d’estomac…

Le mensonge était flagrant. J’ai réfléchi… Pourquoi m’empoisonneraient-ils maintenant ? C’était risqué…

Pourtant, non… Ils pensaient que j’arrivais vraiment d’Afrique… Là-bas, ma maladie de foie avait fort bien pu se réveiller… Sans doute la dose qu’ils me faisaient avaler n’était-elle pas mortelle et espéraient-ils me régler mon compte en douceur… J’aurais des symptômes. Elle insisterait pour que j’aille chez son médecin, celui-ci saurait que j’avais un début de cirrhose et je revenais d’un nouveau séjour en Oubangui… Le mal empirerait…

— Eh bien, a fait Dominique, vous ne bouffez pas, Paul ?

Dans la sauce vinaigrette on devait moins sentir le goût de la saleté qu’ils y avaient collé.

Dominique a regardé sa… mère ! Ce regard m’a appris que j’avais deviné juste. Mon heure tant attendue était enfin arrivée…

— Je me demande, ai-je murmuré en souriant…

Mina a posé l’asperge qu’elle s’apprêtait à manger.

— Vous vous demandez quoi, Paul ?

— Quelle sorte de poison vous avez foutu là-dedans…

Elle a été très bien. Elle n’a pas bronché, n’a pas sourcillé… Elle a seulement pâli, puis, très vite, un bon sourire a fleuri sur sa bouche.

— Pourquoi, Paul, cette sauce n’est pas bonne ?

— Je me garderais bien d’y goûter…

En parlant je fixais Dominique. Lui aussi était pâle. Et de plus il y avait du sang dans son regard. Il avait peur, mais sa rage flambait au-delà de sa panique.

— Qu’est-ce que vous racontez, Paul ? a-t-il fini par articuler d’une voix métallique, en gardant les dents serrées.

Je lui ai porté le coup de massue.

— Oh, Dominique, puisque vous êtes allé à Cannes, êtes-vous passé prendre des nouvelles de votre maman à l’asile d’Aix ?

Les secondes qui ont suivi m’ont payé au centuple de mes angoisses et ont mis du baume sur ma haine. Mina s’est immobilisée net. On eût dit qu’elle venait de recevoir une décharge électrique. Quant à son pseudo-fils, il est resté avec la bouche ouverte et son regard flamboyant s’est éteint.

Moi j’ai agi avec une nonchalance étudiée. J’ai pris l’une de mes asperges et je l’ai trempée dans le jus de citron que venait de se préparer Mina… Je l’ai mangée délicatement.

— Vous aviez raison, Mina, ai-je déclaré, c’est excellent avec du citron… Il faudra que vous m’enseigniez plein de petites recettes de ce genre.

Dominique a bavoché, lamentable :

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

— Une histoire criminelle, ai-je rétorqué… Ou presque… « Il faut que je vous fasse un aveu, Mina : je vous préfère en blonde avec un maillot de bain jaune vif… »

Chaque phrase que je leur assenais paraissait les casser un peu.

— Mina, vous le dirai-je ? Je ne suis pas allé à Bakouma… C’était un simple prétexte pour me donner le temps d’agir… Je vous ai beaucoup admirée sur la plage de Cannes avec votre… heu… cher bambin !

J’ai éclaté de rire.

— De même, Dominique, la valve décollée et le clou dans le pneu, c’était moi… Je voulais éviter de me servir de l’auto… J’ai horreur de piloter des voitures dont la direction ne tient qu’à un fil…

Je les regardais alternativement, comme à un match de tennis. J’en prenais le torticolis. Comme c’était bon de les humilier, de les dominer, de se moquer d’eux… Car je les mystifiais… Ils redevenaient deux garnements pris en flagrant délit…

Ils auraient voulu parler, mais ils ne trouvaient rien à dire, et pour cause. Ils étaient à ce point atterrés qu’ils ne se demandaient pas encore quelle suite allait comporter l’aventure…

— Naturellement, ai-je affirmé, j’ai annulé mon testament, est-il bon de le préciser ? À sa place j’ai laissé au notaire une lettre circonstanciée pour mettre la police au courant de notre petite histoire, en cas de décès de ma part…

J’ai touillé la sauce vinaigrette avec ma cuiller, jouant à la faire couler d’un peu haut. Son bruit huileux avait quelque chose de sinistre, on ne percevait que lui dans le silence qui s’était brusquement établi.

— Voilà, ai-je conclu, ceci pour vous dire que le bien qui vous est dorénavant le plus précieux… c’est ma santé !

J’ai ri.

— Cocasse, non ?

Mina a enfin réagi… Ses couleurs lui sont revenues.

— Il y a longtemps que vous avez découvert…

— Le pot aux roses ? Assez, oui… Ma chère petite, les vieilles dames qui se déguisent en jouvencelles ne font illusion qu’un instant. Il en est à peu près de même pour une trop jolie fille qui se vieillit.

Malgré tout elle a été sensible au compliment. Elle m’a jeté un regard qui m’a fait plaisir. Un regard comme je désirais qu’elle m’en accordât un : il était intéressé. Elle me découvrait. Jusque-là, j’avais été la proie imbécile… Et voilà que tout avait changé… C’était moi qui décidais, moi qui me gaussait d’eux.

Elle l’a si bien compris qu’elle m’a demandé :

— Que comptez-vous faire, Paul ?

— Devinez !

Elle m’a souri.

— Pour deviner, il faudrait que j’aie une idée de votre caractère et je m’aperçois un peu tard que celles que je m’étais forgées à ce sujet étaient fausses.

Je me suis levé afin de me dégourdir les jambes… Une odeur de viande grillée parvenait de la cuisine.

— Je pense que vous devriez avant toute chose stopper le rôti, Mina…

Mon calme, mon humour les domptaient. Comme elle ne bronchait pas, je suis allé tourner moi-même l’interrupteur de la cuisinière électrique. Quand j’ai été de retour, j’ai vu qu’ils n’avaient pas bougé… Ils ne s’étaient pas même regardés.

— Ensuite ! a-t-elle murmuré…

Je me suis approché de Dominique. Il était inerte et avachi. Je l’ai pris par sa belle chemise rouge et je l’ai giflé à trois reprises…

— Voilà qui lui donnera des couleurs, il en a besoin, ai-je soupiré en frottant ma main endolorie sur ma jambe de pantalon. Ensuite, disiez-vous, Mina ?

J’ai éclaté de rire…

— Ensuite cette pauvre chiffe va attraper son attirail à souiller du blanc d’une main, sa valise de l’autre et va déguerpir…

Comme il ne bronchait pas, j’ai flanqué un coup de pied dans sa chaise et il s’est répandu sur le parquet… Il était grotesque et c’était justement ce que je voulais…

Je l’ai saisi par les cheveux pour le relever… Il geignait.

— Quatre minutes pour foutre le camp, petit gars, ai-je déclaré… Et ne cherche pas à faire le malin, car tu te retrouverais en cellule avant de dire ouf. Mes précautions sont bien prises… Ta seule chance de salut, c’est de ne plus te montrer par ici et de faire le mort… Vu ?

Il a fait un petit geste d’approbation et je l’ai chassé de la pièce avec un coup de pied aux fesses.

Mina paraissait songeuse. Je me suis approché d’elle. Elle a cru que j’allais la frapper et a esquissé un geste de parade instinctif, mais je me suis contenté de lui ôter ses lunettes. Je les ai jetées par terre et les ai écrasées d’un coup de talon.

Elle a balbutié :

— Qu’est-ce que vous faites, Paul ?

— Je t’embellis, Mina… Je veux te rendre aussi radieuse que tu l’étais sur la plage de Cannes… Moi aussi je te veux en maillot jaune… Un maillot jaune, n’est-ce pas un symbole de victoire.

Je lui ai relevé le menton, de force. Elle m’a regardé de son petit air triste et grave qui m’émouvait tant. Alors j’ai posé mes lèvres sur les siennes, doucement. J’ai fermé les yeux pour l’évoquer, telle qu’elle m’était apparue là-bas, sur la Côte… Et le baiser que je lui ai donné a duré jusqu’au moment où la porte d’entrée a claqué sur les talons de l’autre !