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CHAPITRE XVII

Chose étrange, lorsque Dominique n’a plus été dans la maison, son absence s’est fait sentir… Nous avons compris ce que c’était qu’un tête-à-tête dans notre cas. Mina se cantonnait dans une attitude prudente… Elle subissait, comme savent subir les femmes, avec élégance, et je me demandais, dans le fond, lequel de nous deux avait vraiment le beau rôle.

Je me suis assis en face d’elle. Je lui ai pris les mains par-dessus la table. Ses doigts étaient froids… De l’index j’ai cherché son pouls dans son poignet, mais je ne l’ai pas trouvé.

— Mina, ai-je déclaré, un autre homme aurait certainement prévenu la police. Si je n’en ai rien fait, c’est uniquement parce que je t’aime…

Elle a levé un sourcil.

— Oui, malgré ce que tu m’as fait, je t’aime, et je n’ai pas honte de te le dire… Cet amour, que tu le veuilles ou non, tu le partageras… Tu vas retrouver ton vrai physique et demeurer près de moi… Tu vas oublier cette guenille que tu aimais…

Elle a secoué la tête.

— Paul, puisque tu nous tiens, je t’obéirai, mais n’espère pas me faire oublier Dominique…

Ma colère est revenue, pareille à une poussée de fièvre. J’ai serré ses mains dans les miennes et ça l’a fait crier de douleur.

— Tu l’oublieras, Mina… Ça n’est qu’un petit lâche… Une femme comme toi ne peut avoir que du mépris pour une larve comme Dominique…

Elle a eu un sourire désenchanté.

— Tu connais mal les femmes, Paul… C’est justement sa faiblesse qui me plaît. C’est elle qui m’a séduite. C’est à cause d’elle que j’ai voulu t’arracher ton fric… Quand j’ai connu Domi, il crevait de faim et n’avait pas la force de réagir contre un sort mauvais. Son enfance…

— Passe la main, Mina, je me fous de son enfance, je sais que c’est le gosse d’une folle, mais je lui ai déjà accordé les circonstances atténuantes en le laissant filer…

Elle a arraché ses mains froides des miennes.

— Tu me dégoûtes, Paul…

J’ai chancelé.

— Arrête, Mina. Ne me pousse pas à bout… Tu…

— Je ?

— Tu le regretterais !

— Il faut bien que je te le dise, pourtant, puisque nous procédons à une mise au point générale. Tu me dégoûtes comme jamais un homme ne m’a dégoûtée… Ta peau me donne envie de vomir… Il y a dans toute ta personne quelque chose de raté, de mesquin, de bête… Oui, de bête… Tu nous as eus, mais tu es tout de même un idiot. Et ça, vois-tu, il faut absolument que tu le saches… Un homme seul est toujours malsain… Il te semble que tu es fort parce que tu peux gifler Dominique, mais ça n’est pas cela, la vraie force… Tu veux que je te dise, Paul, ce que c’est ? Eh bien, c’est la beauté… C’est la grâce… Toi, tu n’es qu’un empoté, un balourd, un musclé ! Lui…

Sa voix est tombée… Des larmes ont fait briller son regard.

— Lui, Paul, il a le plus grand de tous les talents : il est beau… Quand il remue, on dirait qu’il danse… Quand il fait l’amour, je crois mourir de bonheur parce qu’en plus du plaisir charnel, je ressens une joie morale. C’est beau, comprends-tu ? C’est gracieux…

Je l’ai giflée. Elle a voulu éviter la claque et c’est son nez qui a pris. Il s’est mis à saigner… Mais elle n’a pas bronché. Le sang dégoulinait et contournait ses lèvres pour couler sur son menton…

— Essuie ce sang, bon Dieu, Mina !

Elle n’a pas fait un geste. J’ai saisi une serviette de table et l’ai trempée dans le pot à eau… Et c’est moi-même qui ai étanché son nez endommagé en lui tenant la tête renversée.

Au bout d’un moment, l’hémorragie s’est arrêtée. Elle avait le bas du visage barbouillé et ça l’enlaidissait.

— Va te nettoyer !

Elle y est allée. Je l’ai suivie jusqu’au cabinet de toilette afin de la regarder faire.

— Mina !

— Oui ?

— Mina, tout ce que tu pourras dire ne changera rien à ma décision. Choisis entre la prison pour vous deux et la vie avec moi… Tu peux aussi me tuer… Je m’en fous. Ce qui compte, pour moi, c’est toi… Uniquement toi. Tu es devenue ma raison d’exister, si tu veux que j’emploie le style Veillée des Chaumières. Tu me méprises, dis-tu ? Eh bien, j’accepte… J’ai bien accepté l’idée que tu sois une criminelle ! J’ai bien accepté l’idée que tu aies voulu me tuer… Tu l’as dit, je suis un homme seul, tout seul, Mina…

J’ai crié, à bout de nerfs :

— Je suis tout seul ! Tout seul !

Et je me suis écroulé à genoux sur le carrelage de la salle de bains en pleurant à gros sanglots.

Elle s’est approchée de moi… À travers mes larmes, j’ai vu ses chevilles bien moulées, sa jupe plaquée à travers laquelle je devinais sa nudité.

Elle m’a saisi la tête et l’a pressée contre son ventre chaud.

— Mon pauvre Paul, a-t-elle soupiré… Mon pauvre Paul !

*

Nous avons passé la nuit tout habillés sur mon lit. Elle m’a raconté sa vie, sa vraie… Elle s’appelait Geneviève Pardon et était la fille d’un commerçant de Lille. Ses parents étaient des gens très « collet monté » que son sens de la liberté avait très vite choqués et qui s’étaient débarrassés d’elle en l’envoyant à Paris… Ils avaient eu des échos sur ce qu’ils appelaient sa vie dissolue et lui avaient condamné leur porte…

Mina (je continuais à lui donner ce diminutif) s’était débrouillée seule… Après de multiples aventures elle avait rencontré Dominique Grisard, et ç’avait été tout de suite le grand amour…

Cette partie de son récit me faisait mal. Mais elle le narrait paisiblement, sans passion, et je l’ai écoutée jusqu’au bout.

— Nous en avions assez de mégoter, tu comprends ? Domi est incapable de faire quoi que ce soit… Moi je ne voulais pas le quitter pour tenir un emploi quelconque… Nous avons résolu un jour de « faire un coup ». Nous avions d’abord pensé au chantage… Je séduisais un type riche, je lui arrachais des lettres compromettantes, au besoin nous essayions de prendre des photos… particulières… et ensuite…

Je n’ai pu m’empêcher de l’interrompre.

— Mina, tu es salope à ce point ?

Elle a hoché la tête.

— Tu ne comprends rien, Paul…

— Ça va, poursuis…

— Un jour, au restaurant, Domi a lu ton annonce sur un journal qu’un consommateur avait oublié là… Il me l’a montrée en riant… « Voilà, m’a-t-il dit, l’exemple type du faux original. Ce bonhomme veut découvrir une perle dans la poubelle des annonces matrimoniales et pour cela il essaie de faire de l’esprit à deux cents balles la ligne ! »

Je me suis mordu les lèvres. Mina me regardait en souriant.

— Domi avait raison, Paul, c’est le tarif de ton esprit. Nous avons combiné la chose extravagante que tu sais… Avoue qu’elle a failli réussir…

— C’est lui qui a tout fait craquer, ai-je convenu. Ce qui te prouve qu’il n’est pas à la hauteur…

Mina s’est mise sur le dos, les bras allongés le long de son corps.

— Oui, c’est un gosse… C’est pourquoi je l’aime. Je hais les hommes fort et grossiers… Et ce sera toujours un gosse, alors Paul, vois-tu, je l’aimerai toujours…