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Nous sommes partis aussitôt. Deux heures plus tard, nous arrivions à l’appartement. La porte n’en était pas fermée à clé et il y avait un billet épinglé sur le chambranle. « Entrez sans sonner. » Ce que nous avons fait.

Dominique était bel et bien seul. Vêtu d’une robe de chambre, il dessinait sur une chaise longue. Il avait la cheville gauche fortement bandée et son pied reposait sur un pouf.

Il a laissé tomber son esquisse en nous apercevant.

— Tiens ! a-t-il murmuré, v’là les amoureux !

Mina s’est jetée sur lui en pleurant. Moi, j’étais très ennuyé. J’en voulais au jeune homme de gâcher notre lune de miel. Pourtant je devais lui faire bon visage.

— Alors, mon vieux, que vous est-il arrivé ?

— Ne m’en parlez pas… C’est en descendant du train : un claquage, quoi ! J’en ai pour une quinzaine à ne pas pouvoir marcher…

Je l’aurais tué. Et pourtant, il était sympathique… Il me regardait avec de bons yeux un peu tristes.

— Ça marche, vous deux ?

J’ai rougi. Il devait souffrir du mariage de sa mère, mais il mettait un point d’honneur à jouer les désinvoltes.

— Tu souffres ? s’est inquiétée Mina en voyant qu’il ne pouvait réprimer une grimace.

— Ben, c’est assez sensible, oui…

Elle s’est tournée vers moi.

— Je vais rester ici, Paul, jusqu’à ce qu’il soit rétabli… J’espère que, que… vous ne m’en voudrez pas…

Tout de suite, je n’ai pas su que dire. Il y avait dans toute ma chair une intense navrance… J’avais mal à la pensée d’être privé d’elle… ne fût-ce que quelques jours. Il me la fallait. D’autre part, je comprenais sa réaction. Elle ne pouvait abandonner son garçon blessé dans cet appartement triste.

— Vous allez venir chez nous, Dominique… La campagne vous fera du bien…

Il m’a regardé, une petite lueur bizarre dans le regard.

— Vous parlez sérieusement ?

Mina m’a pris la main et l’a pressée avec force. Cette brutale caresse est entrée en moi comme un aiguillon de feu.

— Vous êtes très chic, Paul…

— Mais non… Il faut tout de même comprendre que nous sommes une même famille désormais.

Ç’a été vite fait… Mina a préparé sa valise tandis que je l’aidais à se vêtir… Et puis, je l’ai chargé sur mes épaules pour le mener jusqu’à la voiture.

*

Dominique n’a pas tari d’éloges sur le pays et la maison. Il était enthousiaste comme un gosse, trouvait tout beau, me complimentait sur mon bon goût et me répétait que j’étais un type inouï. Nous l’avons installé dans la salle de séjour, près de la grande fenêtre qui donnait sur les bois. Avec son carton à dessins à portée de la main, il était le plus heureux des hommes.

Ce qu’il peignait n’était pas très fameux. Je ne sais plus bien de quelle école il se recommandait, en tout cas il était un piètre élève… Enfin, il trouvait du plaisir à barbouiller du blanc et c’était une occupation très recommandable après tout.

Sa venue chez moi, à Ronchieu, a rompu notre vie extravagante. Nous nous sommes organisés et il y a eu brusquement un rythme dans la maison. Nous nous sommes levés tôt et avons pris nos repas à des heures régulières. Maintenant, Mina ne se laissait plus toucher par moi. La présence de son fils semblait la paralyser. Elle était pleine de réserves et sans réactions. Lorsqu’il m’arrivait de lui saisir la taille en présence du jeune homme, elle se dégageait avec brusquerie.

De plus, elle avait voulu faire chambre à part. Je n’avais pas trop protesté, mais du coup mon bonheur s’effritait. Je retrouvais mes nuits inquiètes et je me remettais à penser à Mme Blanchin, me demandant toujours dans quelle pièce elle était morte et si son mari l’avait ou non empoisonnée.

Mais, plus que tout le reste, ce qui me rongeait, c’était la tendre sollicitude de Mina envers son fils. Ils ne se quittaient plus. Lorsque j’entrais à l’improviste dans la pièce où il se prélassait, je les trouvais toujours dans les bras l’un de l’autre et j’avais envie de hurler. Leur complicité m’affectait car, me semblait-il, elle se tournait contre moi. Pour la première fois depuis le soir où Mina avait pris possession de la demeure, je la regardais comme une intruse. Ces deux-là faisaient l’occupation de ma propriété… Ils m’en évinçaient… C’était presque moi l’étranger. Ils se parlaient à mi-voix et se taisaient lorsque je m’approchais d’eux…

Un jour, je n’ai pu y tenir.

— Si je vous gêne, dites-le ! me suis-je écrié.

Ils ont paru sincèrement stupéfaits.

Mina est venue me rejoindre dans ma chambre où je m’étais enfermé pour bouder.

— Paul, a-t-elle murmuré, je ne comprends pas votre attitude…

Son vouvoiement m’a serré la gorge comme un collet d’acier.

— Vraiment ?

— Non. J’ai l’impression que vous nous haïssez, Dominique et moi…

Son regard était plus mauve que d’ordinaire. Plus nostalgique aussi. Il ne contenait aucun reproche, mais plutôt une sorte de stupeur peinée.

— Mina, vous êtes-vous jamais demandé si je vous aimais vraiment ?

Ça l’a déconcertée.

— Mais, Paul…

— Non, taisez-vous, c’est à moi de parler.

Je n’ai pu me retenir de la prendre contre moi. Son cœur battait un peu plus vite que de coutume. Elle a eu un léger fléchissement en arrière et j’ai senti son ventre contre le mien. Une intense chaleur s’est communiquée à tout mon être.

— Mina, je t’ai dit que j’étais tombé amoureux de toi, amoureux fou… Je te veux pour moi. J’ai besoin d’être seul avec toi… J’ai besoin de nos nuits…

Elle s’est dégagée fermement.

— Paul, il y a une chose que vous ignorerez toujours…

— Je sais, l’amour maternel… D’accord, vous êtes mère, mais, sacrebleu, Dominique n’a pas deux ans ! C’est un homme… Vous êtes sans cesse à le chouchouter, à lui mordre l’oreille, à mâcher ses cheveux… Franchement, je trouve ça indécent !

— Oh !

— Tant pis si je vous choque, Mina, mais c’est la vérité… Votre conduite me peine. Et puis j’ai l’impression de vous gêner. Au lieu que ce soit lui l’intrus, il me semble que c’est moi…

— C’est bien, Paul… Nous partons. Je vous demanderai simplement de nous conduire à la gare…

Cette réaction m’a fait l’effet d’une gifle.

— Quoi ?

— Je pense qu’après de telles paroles nous n’avons plus grand-chose à nous dire…

Je devais être rouge comme un homard. Mon visage brûlait et mes yeux me paraissaient être deux charbons ardents.

Je me suis jeté littéralement sur elle. Elle a essayé de regimber, mais elle a eu vite compris que rien ne pourrait m’empêcher de la prendre. Elle a fini par céder. Et je pense que cette étreinte silencieuse et sauvage, dans ma chambre, a été la plus frénétique de toutes celles que nous avons connues.

*

Après cet incident, il y a eu plus de liant dans nos relations. Mina s’est surveillée en ma présence. Elle a un peu moins bichonné son barbouilleur de toile, et tout en continuant de faire chambre à part, ne m’a plus condamné sa porte. Trois jours se sont écoulés de la sorte. Je souhaitais ardemment la guérison de Dominique, pourtant celle-ci tardait. Sa cheville lui faisait très mal et il ne pouvait poser le pied par terre. Je voulais le conduire chez un spécialiste, mais il refusait, alléguant que leur médecin lui avait recommandé de ne pas ôter son bandage avant complet rétablissement.

L’après-midi du quatrième jour, j’ai remarqué des cernes sous les yeux de Mina. Elle était pâle et semblait mal en point.