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Elle hausse les sourcils, accroche son manteau et elle demande : « Paul a emmené Mila à l’école ?

— Oui, ils viennent de partir. Louise, vous avez vu ? C’est une trace de morsure, non ?

— Oui, je sais. J’ai mis un peu de crème dessus pour la cicatrisation. C’est Mila qui l’a mordu.

— Vous en êtes sûre ? Vous étiez là ? Vous l’avez vue ?

— Bien sûr que j’étais là. Ils jouaient tous les deux dans le salon pendant que je préparais à dîner. Et là, j’ai entendu Adam hurler. Il sanglotait, le pauvre, et au début, je n’ai pas compris pourquoi. Mila l’avait mordu à travers ses vêtements, c’est pour cela que je n’ai pas tout de suite su.

— Je ne comprends pas, répète Myriam, en embrassant le crâne glabre d’Adam. Je lui ai demandé plusieurs fois si c’était elle. Je lui ai même dit que je ne la punirais pas. Elle m’a juré qu’elle ne savait pas d’où venait la morsure. »

Louise soupire. Elle baisse la tête. Elle a l’air d’hésiter.

« J’avais promis de ne rien dire et l’idée de briser une promesse que j’ai faite à un enfant m’embête beaucoup. »

Elle ôte son gilet noir, déboutonne sa robe chemisier et dévoile son épaule. Myriam se penche et ne peut retenir une exclamation, de surprise et de dégoût. Elle fixe la trace brune qui couvre l’épaule de Louise. La cicatrice est ancienne mais on voit nettement la trace des petites dents qui se sont plantées dans la chair, qui l’ont lacérée.

« C’est Mila qui vous a fait ça ?

— Écoutez, j’ai promis à Mila de ne rien dire. Je vous demande de ne pas lui en parler. Si le lien de confiance entre nous était brisé, je crois qu’elle en serait encore plus perturbée, vous ne pensez pas ?

— Ah.

— Elle est un peu jalouse de son frère, c’est tout à fait normal. Laissez-moi m’en occuper, d’accord ? Vous verrez, tout ira bien.

— Oui. Peut-être. Mais vraiment, je ne comprends pas.

— Vous ne devriez pas chercher à tout comprendre. Les enfants, c’est comme les adultes. Il n’y a rien à comprendre. »

Comme elle avait l’air sombre, Louise, quand Myriam lui a annoncé qu’ils allaient pour une semaine à la montagne chez les parents de Paul ! Myriam y repense et elle en a des frissons. Le regard noir de Louise était traversé par un orage. Ce soir-là, la nounou est partie sans dire au revoir aux enfants. Comme un fantôme, monstrueusement discrète, elle a claqué la porte et Mila et Adam ont dit : « Maman, Louise a disparu. »

Quelques jours plus tard, à l’heure du départ, Sylvie est venue les chercher. C’était une surprise à laquelle Louise n’avait pas été préparée. La grand-mère, joyeuse, fantasque, est entrée dans l’appartement en criant. Elle a jeté son sac par terre et s’est roulée dans le lit avec les petits, en leur promettant une semaine de fêtes, de jeux et de gloutonnerie. Myriam riait des pitreries de sa belle-mère quand elle a tourné la tête. Là, debout dans la cuisine, Louise les regardait. La nounou était d’une pâleur de morte, ses yeux cerclés de cernes semblaient s’être enfoncés. Elle avait l’air de marmonner quelque chose. Myriam s’est avancée vers elle mais Louise déjà s’était accroupie pour fermer une valise. Plus tard Myriam s’est dit qu’elle s’était sans doute trompée.

Myriam essaie de se raisonner. Elle n’a aucune raison de se sentir coupable. Elle ne doit rien à sa nounou. Pourtant, sans qu’elle se l’explique, elle a l’impression d’arracher à Louise ses enfants, de lui refuser quelque chose. De la punir.

Louise a peut-être mal pris d’être informée si tard et de n’avoir pas pu organiser ses vacances. Ou elle est tout simplement contrariée que les enfants passent du temps avec Sylvie, pour qui elle a une profonde inimitié. Quand Myriam se plaint de sa belle-mère, la nounou a tendance à s’emporter. Elle prend le parti de Myriam avec une fougue excessive, accusant Sylvie d’être folle, hystérique, d’avoir une mauvaise influence sur les enfants. Elle incite sa patronne à ne pas se laisser faire, pire, à éloigner la grand-mère des pauvres petits. Dans ces moments-là, Myriam se sent à la fois soutenue et un peu mal à l’aise.

Dans la voiture, alors qu’il s’apprête à démarrer, Paul enlève la montre qu’il porte au poignet gauche.

« Tu peux la ranger dans ton sac, s’il te plaît ? » demande-t-il à Myriam.

Il s’est payé cette montre il y a deux mois, grâce au contrat signé avec son chanteur célèbre. C’est une Rolex d’occasion qu’un ami lui a obtenue pour une somme très raisonnable. Paul a beaucoup hésité avant de se l’offrir. Il en avait très envie, il la trouvait parfaite mais il avait un peu honte de ce fétichisme, de ce désir futile. La première fois qu’il l’a portée, elle lui a semblé à la fois magnifique et énorme. Il la trouvait lourde, clinquante. Il n’arrêtait pas de tirer sur la manche de sa veste pour la cacher. Mais très vite, il s’est habitué à ce poids au bout de son bras gauche. Au fond, ce bijou, l’unique qu’il ait jamais possédé, était plutôt discret. Et puis, il avait bien le droit de se faire plaisir. Il ne l’avait volé à personne.

« Pourquoi tu enlèves ta montre ? lui demande Myriam, qui sait combien il y tient. Elle ne marche plus ?

— Si, elle marche très bien. Mais tu connais ma mère. Elle ne comprendrait pas. Et je n’ai pas envie de passer la soirée à m’engueuler pour ça. »

Ils arrivent en début de soirée dans la maison glaciale, dont la moitié des pièces sont encore en travaux. Le plafond de la cuisine menace de s’écrouler et dans la salle de bains des fils électriques pendent à nu. Myriam déteste cet endroit. Elle a peur pour ses enfants. Elle les suit dans chaque recoin de la maison, les yeux paniqués, les mains en avant, prête à les retenir dans leur chute. Elle rôde. Elle interrompt les jeux. « Mila, viens mettre un autre pull. » « Adam respire mal, vous ne trouvez pas ? »

Un matin, elle se réveille transie. Elle souffle sur les mains glacées d’Adam. Elle s’inquiète de la pâleur de Mila et lui impose de garder son bonnet à l’intérieur. Sylvie préfère se taire. Elle voudrait rendre aux enfants la sauvagerie et la fantaisie qui leur sont interdites. Pas de règles avec elle. Elle ne les couvre pas de cadeaux frivoles, comme les parents qui essaient de compenser leurs absences. Elle ne fait pas attention aux mots qu’elle prononce et sans cesse elle s’attire les réprimandes de Paul et de Myriam.

Pour faire râler sa belle-fille, elle les appelle « mes petits oiseaux tombés du nid ». Elle aime les plaindre de vivre en ville, de subir l’incivilité et la pollution. Elle voudrait élargir l’horizon de ces enfants voués à devenir des gens corrects, à la fois serviles et autoritaires. Des froussards.

Sylvie prend sur elle. Elle se retient, autant qu’elle le peut, d’aborder le sujet de l’éducation des enfants. Quelques mois auparavant, une violente dispute a opposé les deux femmes. Le genre de disputes que le temps ne suffit pas à faire oublier et dont les mots, très longtemps après, continuent de résonner en elles chaque fois qu’elles se voient. Tout le monde avait bu. Beaucoup trop. Myriam, sentimentale, a cherché en Sylvie une oreille compatissante. Elle s’est plainte de ne jamais voir ses enfants, de souffrir de cette existence effrénée où personne ne lui faisait de cadeau. Mais Sylvie ne l’a pas consolée. Elle n’a pas posé sa main sur l’épaule de Myriam. Au contraire, elle s’est lancée dans une attaque en règle contre sa belle-fille. Ses armes, apparemment, étaient bien affûtées, prêtes à être utilisées quand l’occasion se présenterait. Sylvie lui a reproché de consacrer trop de temps à son métier, elle qui pourtant a travaillé pendant toute l’enfance de Paul et s’est toujours vantée de son indépendance. Elle l’a traitée d’irresponsable, d’égoïste. Elle a compté sur ses doigts le nombre de voyages professionnels que Myriam avait faits alors même qu’Adam était malade et que Paul terminait l’enregistrement d’un album. C’était sa faute, disait-elle, si ses enfants étaient insupportables, tyranniques, capricieux. Sa faute et celle de Louise, cette nounou de pacotille, cet ersatz de mère sur qui Myriam se reposait par complaisance, par lâcheté. Myriam s’était mise à pleurer. Paul, stupéfait, ne disait rien et Sylvie levait les bras en répétant : « Et elle pleure maintenant ! Regardez-la. Elle pleure et il faudrait la plaindre parce qu’elle n’est pas capable d’entendre la vérité. »