Ils repartirent en silence pendant quinze minutes ; Harry avait ouvert la bouche pour demander s’ils étaient encore loin quand Hagrid leva son bras droit pour leur signaler de s’arrêter.
« Très bien, » dit il doucement, « soyez très silencieux à présent… »
Ils avancèrent en se faufilant et Harry vit qu’ils se tenaient face à un grand monticule de terre lisse au moins aussi grand que Hagrid qui, à ce qu’il devinait avec un frisson d’appréhension, était sûrement le repaire d’un énorme animal. Les arbres avaient été arrachés à leur base tout autours de la butte, qui se dressait du coup au milieu d’une parcelle de sol nue entourée par des amoncellements de troncs et de branches qui formaient une sorte de clôture ou de barricade devant laquelle se tenaient Harry, Hermione et Hagrid.
« Il dort, » souffla Hagrid.
Sans doute possible, Harry pouvait entendre un grondement lointain et rythmé qui ressemblait à une paire d’énormes poumons au travail. Il lança un regard oblique à Hermione, qui fixait le monticule avec la bouche entrouverte. Elle avait l’air complètement terrifiée. « Hagrid », dit elle dans un murmure à peine audible par dessus le bruit que faisait la créature endormie, « qui est-il ? »
Harry trouva la question bizarre… « Qu’est ce que c’est » était la question qu’il avait prévu de poser.
« Hagrid, vous nous aviez dit… » dit Hermione, sa baguette tremblant à présent dans sa main, « Vous nous aviez dit qu’aucun d’entre eux n’avait voulu venir ! »
Le regard de Harry alla de l’un à l’autre et, comprenant soudain, il se retourna vers le monticule avec un souffle d’horreur.
Le grand tas de terre, sur lequel lui, Hermione et Hagrid auraient facilement pu se tenir debout, bougeait lentement de haut en bas en cadence avec le souffle profond et grondant. Ce n’était pas un monticule du tout. C’état le derrière recourbé de ce qui était clairement…
« Euh… non… il ne voulait pas venir, »expliqua Hagrid, qui avait l’air désespéré. « Mais je devais le ramener, Hermione, je le devais ! »
« Mais pourquoi ? » demanda encore Hermione, qui semblait prête à fondre en larmes. «
Pourquoi… quel… Oh, Hagrid… »
« Je savais que si je le ramenais seulement… » dit Hagrid, qui semblait sur le point de se déchirer en deux, « et…Et que je lui apprenais quelques manières… Je serai capable de le sortir d’ici et de montrer à tout le monde comme il est inoffensif. »
« Inoffensif ! » fit Hermione d’un ton strident, et Hagrid lui fit désespérément signe de se taire avec ses mains tandis que l’énorme créature en face d’eux grognait bruyamment et remuait dans son sommeil. « Il vous a blessé tout le temps , pas vrai ? c’est pour ça que vous aviez toutes ces contusions !»
« Il n’a pas conscience de sa force ! » répondit Hagrid avec sincérité. « Et il fait des progrès, il ne se bat plus tant que ça et de plus… »
« Alors, c’est pour ça que vous avez mit deux mois à rentrer ! » dit Hermione avec perplexité. « Oh, Hagrid, pourquoi l’avez vous ramené s ‘il ne voulait pas venir ? Est ce qu’il n’aurait pas été plus heureux parmi les siens ? »
« Ils le brutalisaient tous, Hermione, parce qu’il est trop petit !» se justifia Hagrid.
« Petit ? » Dit Hermione ; « Petit ? »
« Hermione, je ne pouvais pas le laisser, » répondit Hagrid, des larmes coulant à présent sur son visage contusionné jusque dans sa barbe. « C’est mon frère ! »
Hermione se contenta d’ouvrir de grands yeux, la bouche ouverte.
« Hagrid, quand vous dites ‘frère’, » dit lentement Harry, « est ce que vous voulez dire…
»
« Demi-frère en fait, » corrigea Hagrid. « Fils de ma mère et d’un autre géant quand elle a eu quitté mon père, et elle est partie et a laissé Grawp là… »
« Grawp ? » interrogea Harry.
“Oui, enfin c’est à ça que ça ressemble quand il dit son nom, » expliqua nerveusement Hagrid. « Il ne parle pas beaucoup d’anglais… J’essaye de lui apprendre… En tout cas, elle n’a pas l’air de l’avoir aimé plus qu’elle m’a aimé moi. Vous voyez, pour les géantes, ce qui compte, c’est de produire de beaux grands enfants, et il a toujours été un peu en dessous de la taille standard des géants –seulement 16 pieds… »
« Oh, oui, ridicule ! » dit Hermione dans une sorte de sarcasme hystérique. « Minuscule !
»
« Il était frappé par tous les autres… Je ne pouvais pas le laisser… »
« Est ce que Madame Maxime voulait le ramener ? » Demanda Harry.
« Elle… Eh bien, elle comprenait combien c’était important pour moi, » répondit Hagrid en tordant ses énormes mains. M…Mais… elle était un peu fatiguée de lui au bout d’un moment, je dois l’admettre. Alors nous nous sommes séparés sur le chemin du retour…Elle a promis de ne rien dire à personne… »
« Comment diable avez vous réussi à le ramener ici sans que personne ne le remarque ?
» dit Harry.
« C’est pour ça que ça a pris tant de temps, en fait, » expliqua Hagrid. « Je pouvais seulement voyager de nuit et à travers des contrées désertes. Bien sûr, il avançait vite quand il le voulait bien, mais il continuait à vouloir revenir en arrière."
« Oh, Hagrid, mais pourquoi diable ne l’avez vous pas laissé repartir ! » dit Hermione en se laissant tomber sur un arbre déraciné avant de se prendre le visage entre les mains. «
Qu’est ce vous pensez que nous allons faire avec un géant violent qui ne veut même pas être ici ! »
« Violent, c’est un peu exagéré, » dit Hagrid, en continuant à se tordre nerveusement les mains. « C’est vrai qu’il lui arrive de m’envoyer une paire de claques quand il est de mauvaise humeur, mais il fait des progrès, de gros progrès, il s’est beaucoup amélioré. »
« A quoi servent ces vêtements, alors ? » demanda Harry.
Il venait juste de remarquer des vêtements aussi grands que de jeunes arbres tendus entre les troncs des arbres les plus proches de l’endroit où Grawp était roulé en boule sur le sol, son dos sous eux.
« Vous devez le garder attaché ? » dit Hermione faiblement.
« Euh… Oui, » dit Hagrid, l’air anxieux. « C’est ce que je disais… Il n’est pas vraiment conscient de… ‘sa propre force’… »
« Harry comprenait à présent le pourquoi de l’absence étrange de n’importe quelle autre créature vivante dans cette partie de la Forêt.
« Et donc, qu’est ce que vous voulez que Harry, Ron et moi fassions ? » demanda Hermione avec appréhension.
« Que vous veillez sur lui, » répondit Hagrid d’une voix rauque. « Après mon départ. »
Harry et Hermione échangèrent un regard malheureux. Harry était peu confortablement conscient qu’il avait déjà promis à Hagrid qu’ils feraient ce qu’il leur demanderait.
« Qu’est ce que… Qu’est ce que ça implique, exactement ? » questionna Hermione.
« Pas de nourriture ou autre chose de ce genre ! » dit Hagrid avec passion. « Il peut trouver sa nourriture tout seul, pas de problème. Des oiseaux, des gazelles, tout ça…
Non, c’est de compagnie dont il a besoin. Si je savais juste que quelqu’un s’occupait de l’aider un peu… Lui apprendre, vous voyez. »
Harry ne répondit rien, mais se tourna pour regarder à nouveau la gigantesque forme étendue et endormie sur le sol en face d’eux. Contrairement à Hagrid, qui ressemblait seulement à un humain sur dimensionné, Grawp paraissait étrangement difforme. Ce que Harry avait d’abord pris pour un vaste rocher couvert de mousse à la gauche du grand monticule de terre était en fait la tête de Grawp. Elle était plus grande, proportionnellement au corps, qu’une tête humaine, et était également parfaitement ronde et couverte de poils bouclés de la même couleur que les fougères. Le bord d’une grande oreille grasse était visible au somment de la tête, qui semblait, exactement comme pour l’oncle Vernon, directement posée sur les épaules, avec un cou minuscule voire inexistant. Le dos, sous ce qui ressemblait à un vêtement sale et brunâtre formé de peaux d’animaux cousues grossièrement ensembles, était très allongé ; et comme Grawp dormait, les cicatrices de sa peau semblaient se tendre. Harry pouvait voir la plante d’énormes pieds nus sales, aussi grands que des luges, l’un appuyé sur l’autre sur la terre de la forêt.