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Dans les mois qui suivent l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, je n’ai pourtant de cesse que de reprendre en main un mouvement gaulliste affaibli et désemparé afin, non seulement de le sauver de la dislocation et lui restituer toute sa place dans la vie politique, mais aussi de m’assurer du soutien qu’il apporterait à l’action du président de la République et de son gouvernement. Cette tâche est d’autant moins aisée qu’en dehors même des griefs et des rancœurs qui se manifestent contre moi au sein de l’UDR, les gaullistes ne sont pas enclins à accorder leur confiance à un chef d’État qui, de son côté, ne fait rien pour les séduire ou les ménager.

C’est en vain que je tente de convaincre Giscard, au début de son septennat, de faire un geste à l’égard des élus UDR de l’Assemblée et du Sénat. Après en avoir accepté le principe, il décide, un jour, de les inviter tous à déjeuner à l’Élysée. Je m’en réjouis et me permets, dès qu’il m’en fait part, de lui donner quelques conseils pour les amadouer : « C’est très simple. Il faut savoir leur parler au cœur. À la fin du déjeuner, vous vous levez et vous leur dites trois mots du genre : “Nous sommes ensemble pour gagner, je compte sur vous !” C’est tout. Les gaullistes sont toujours sensibles à ce qu’on leur dise qu’on compte sur eux. » Arrive le jour dit. Giscard fait exactement le contraire de ce que je lui ai recommandé. Au lieu des quelques mots que je lui conseillais de prononcer, le voici qui se lance, à la fin du repas, dans un cours de droit constitutionnel long de trois quarts d’heure. Un véritable désastre : alors que ses invités n’aspiraient qu’à se sentir aimés, Giscard n’avait pu résister au plaisir de leur faire comprendre qu’il était plus intelligent qu’eux ! Les gaullistes repartirent furieux. Dès lors, l’incompréhension entre eux et lui ne pouvait qu’empirer…

La conquête de l’UDR s’annonce pour moi difficile. La plupart des « barons » me sont hostiles et bien résolus à me barrer la route. Peu après ma prise de fonctions à Matignon, le secrétaire général de l’UDR, Alexandre Sanguinetti, m’a indiqué que je ne serai plus, comme mes prédécesseurs, membre de droit du bureau exécutif. Mais c’est pourtant grâce à lui, et avec l’appui déjà déterminant du délégué à l’organisation, Charles Pasqua, encouragé et piloté dans l’ombre par Marie-France Garaud, que je parviendrai, fin 1974, à m’imposer à la tête du mouvement gaulliste.

Le 27 septembre, lors des journées parlementaires qui se tiennent à Cagnes-sur-Mer, j’assure que je ne serai pas « le Premier ministre qui aura constaté avec indifférence et sans réaction la disparition du gaullisme ». J’ajoute qu’il ne s’agit plus de « nous abriter derrière un chef d’État qui pensait pour nous » et que nous devons apprendre « à penser par nous-mêmes ». Message aussitôt reçu comme un appel à l’autonomie vis-à-vis de Giscard. Mais, dans mon esprit, il signifie avant tout que l’UDR, pour peu qu’elle fasse cause commune avec un Premier ministre issu de ses rangs, continuera de jouer un rôle majeur au sein de la majorité. Encore faut-il éviter que le mouvement gaulliste ne se marginalise et s’en remette aux figures du passé…

Le 12 décembre, en l’absence du chef de l’État parti pour les Antilles, je décide de « prendre une initiative », comme il me l’a lui-même suggéré avant son départ. À la veille du Conseil national de l’UDR qui doit se tenir durant le week-end et procéder, semble-t-il, à l’éviction d’Alexandre Sanguinetti au profit d’Olivier Guichard ou d’une direction collégiale, je décide de m’inviter à la table des « barons », qui ont prévu, comme souvent, de se retrouver entre eux, pour dîner, au Conseil constitutionnel. Autour de Roger Frey, qui les reçoit, sont présents, outre Jacques Chaban-Delmas, Michel Debré, Olivier Guichard et Jacques Foccart, trois hommes qui ne font pas directement partie de leur clan : Pierre Messmer, Alain Peyrefitte et Maurice Couve de Murville.

Là, il me faut battre des records de vitesse et mon empressement ne sera guère apprécié. Dans un premier temps, je fais savoir aux autres convives que je m’oppose à l’accession d’Olivier Guichard à la tête de l’UDR, laquelle provoquerait selon moi une dualité inacceptable avec Matignon. Un certain flottement s’ensuit parmi les « barons », décontenancés par mon intervention au point de ne plus s’entendre sur rien. Le recours à une direction collégiale étant finalement évoqué, je déclare, un peu provocateur, que « le plus simple serait que j’assure moi-même la direction du mouvement ». Enfin d’accord sur quelque chose, les barons éclatent de rire. Ils ne croient pas une seconde que je serais capable de faire ce que j’ai dit. Je repars sans qu’aucune décision n’ait été prise. C’est pour moi un crève-cœur de voir ce mouvement essentiel à la vie nationale, héritier d’une si grande histoire, manquer à ce point de foi et de cohérence, et se laisser aller à une telle fuite en avant.

Au même moment, Pierre Juillet et Marie-France Garaud réussissent, avec le concours officieux de Charles Pasqua, à convaincre Alexandre Sanguinetti de se retirer du secrétariat général de l’UDR. Homme des coups durs et des décisions promptes et qui sait, mieux que tout autre, sacrifier son intérêt immédiat à celui de sa famille politique, Sanguinetti accepte de se rallier à ma démarche.

Le lendemain, je dois affronter un Comité central plutôt houleux. À l’annonce de ma candidature, j’essuie huées, sifflets et injures. On m’accuse sur tous les tons de faire le jeu de Giscard, de vouloir confisquer le parti à mon profit. On me dénonce comme l’éternel diviseur… Outre la détermination de ceux qui me soutiennent — Pasqua en tête, qui connaît à la perfection les milieux gaullistes —, ma chance tient au fait que, sauf pour m’accabler, aucun des membres du Comité central ne partage tout à fait les arguments de son voisin. C’est ainsi que je finis par l’emporter avec 60 % des voix contre mon seul adversaire, le député du Nord, Jacques Legendre.

À son retour des Antilles, je précise à Valéry Giscard d’Estaing, qui n’en espérait pas tant, le sens, la portée et la limite de l’opération que je viens de mener avec succès : « Monsieur le Président, je vous apporte l’UDR sur un plateau. Naturellement, ce n’est pas pour que vous lui coupiez la tête. Je vous l’apporte pour que l’UDR occupe toute sa place, avec ses droits et ses devoirs, au sein de votre majorité. » Giscard paraît comblé au point de me décorer, en fin d’année, de l’ordre national du Mérite. Tout le destine, désormais, à devenir le chef de cette majorité qui ne lui était pas acquise jusqu’alors dans son entier.

C’est une chance inespérée. Reste à savoir l’usage qu’il en fera.

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DANS L’ACTION

« Trop souvent ceux qui parlent de crise y voient, pour s’en épouvanter ou s’en réjouir, une sorte de cataclysme qui détruirait à jamais l’ordre économique mondial et précipiterait les sociétés occidentales dans les convulsions. C’est absurde. La crise n’est pas un effondrement. Elle est un réajustement. Elle peut aboutir à une redistribution nouvelle des ressources, sur le plan mondial, et donc à de nouvelles relations entre les divers pays des divers continents. Elle n’est pas la fin de notre monde. Mais l’origine d’un système international nouveau. »

Ces lignes sont extraites d’un article que j’ai publié en janvier 1976, voici plus d’une trentaine d’années. Elles expriment la vision volontariste que j’ai toujours eue de l’économie, comme de la vie en général. La conviction que l’homme n’a rien à craindre des évolutions du monde, dès lors qu’il se donne les moyens de les comprendre et de les dominer.