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Au début des années soixante-dix, sous mon impulsion et celle du maire socialiste de la commune, Ernest Coutaud, un premier centre d’accueil voit le jour à Peyrelevade. Six autres ouvriront leurs portes dans les années suivantes, dont celui de Sornac pour les jeunes polyhandicapés de 12 à 21 ans et celui d’Eygurande pour les enfants en difficulté d’adaptation sociale et scolaire, soutenus par l’Association des centres éducatifs de haute Corrèze, créée en octobre 1971 et qui regroupe, sous ma présidence, les maires des communes concernées.

Chaque visite effectuée dans ces centres me prouve à quel point les pensionnaires qui s’y trouvent sont des êtres extrêmement attachants. Ces enfants, dont la vue est souvent difficile à supporter pour qui n’en a pas pris l’habitude, ont parfois des instants d’émotion, de sensibilité, bouleversants. Un regard, le contact d’une main suffisent à exprimer toute l’intensité de leurs sentiments et de la vie qu’ils portent en eux. Les jeunes femmes qui les suivent témoignent de facultés de patience et de tendresse extraordinaires. Une relation réelle finit par se nouer entre elles et les malades. Elles guettent leurs progrès, fussent-ils infinitésimaux, et sont émerveillées par chaque signe d’amélioration, quasi miraculeux, qu’elles réussissent à obtenir. Le contact avec l’autre est toujours difficile à établir dans le cas des handicaps les plus profonds. Parfois même l’échange paraît impossible, jusqu’au jour où peut survenir un signe, un geste qu’on n’espérait plus. Il suffit alors qu’un enfant se redresse dans son lit, au lieu d’y demeurer allongé, pour que ce soit une fête.

Cette expérience corrézienne est à l’origine, en grande partie, du projet de loi adopté par le Parlement en juin 1975, qui fait, selon ses termes, de « l’éducation et de la formation de l’adulte et du mineur handicapés physiques, sensoriels ou mentaux, une obligation nationale ». Si beaucoup reste à accomplir dans ce domaine, les mesures prises, dès ce moment-là, en faveur des établissements spécialisés et de la réinsertion des malades dans la vie active, offrent un cadre solide pour assurer durablement la poursuite des efforts engagés.

Parmi les réformes entreprises au début du septennat de Valéry Giscard d’Estaing, la loi sur l’avortement est une de celles sur lesquelles je me suis le plus engagé. J’y ai été favorable dès le départ, à la différence, je dois le dire, de bon nombre de mes amis politiques et de la majorité de notre électorat. Il s’agissait moins, à mes yeux, d’une affaire de convictions que d’une nécessité. L’hypocrisie qui entourait alors cette question était devenue intolérable. Les avortements clandestins se réalisaient dans des conditions insupportables et souvent dangereuses pour la santé des femmes qui les subissaient. Une légalisation de l’interruption de grossesse soulevait, certes, des questions d’éthique. Mais elle avait au moins le mérite d’en finir avec une situation qui ne pouvait plus durer.

Face à une majorité souvent injurieuse et vociférante à son égard, Simone Veil défend son projet de loi avec un courage admirable. Lorsque, désemparée, au bord des larmes, elle m’appelle à l’aide dans la nuit du 29 au 30 novembre 1974, après avoir réclamé une suspension de séance à l’Assemblée tant les débats prenaient mauvaise tournure, j’accours aussitôt pour la soutenir et faire entendre raison, sans trop les ménager, aux députés UDR les plus récalcitrants. C’est ainsi qu’une partie d’entre eux finira, bon gré mal gré, par voter cette loi approuvée, dès l’origine, par l’ensemble de la gauche. Certains observateurs noteront le silence de l’Élysée, cette nuit-là, en dépit du soutien officiel affiché par le Président.

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Bien que la politique étrangère fasse partie, sous la Ve République, du domaine réservé du président de la République, le rôle du Premier ministre n’est pas circonscrit aux seules affaires intérieures. Me référant à la tradition gaulliste dans mon discours de politique générale, le 5 juin 1974, je me suis attaché à souligner la nécessité de préserver notre indépendance nationale et de renforcer, par là même, nos potentiels de dissuasion nucléaire. Si le devoir de la France est d’accompagner le processus de détente entre l’Est et l’Ouest, il est aussi, ai-je rappelé, d’aider à l’accélération de la construction européenne, à travers l’union monétaire, d’intensifier ses relations avec la Chine et de poursuivre sa coopération avec les pays du Tiers-Monde, notamment en Afrique.

De 1974 à 1976, mes voyages à l’étranger en tant que chef du gouvernement sont en grande partie consacrés à faire mieux connaître les industries et les technologies françaises hors de nos frontières, dans le cadre d’une politique commerciale plus offensive. Ces déplacements, qui visent à promouvoir notre savoir-faire national, me permettent de nouer des relations personnelles avec quelques chefs d’État étrangers, du moins d’approcher certains d’entre eux à un moment décisif de leur propre histoire.

Il en va ainsi du Shah d’Iran, dont je fais la connaissance lors de sa venue à Paris, en juin 1974, première visite officielle d’un dirigeant étranger depuis l’élection de Valéry Giscard d’Estaing. Les rapports entre la France et l’Iran s’étaient un peu refroidis après le refus de Georges Pompidou d’assister, en octobre 1971, aux grandioses fêtes de Persépolis commémorant le deux mille cinq centième anniversaire de l’Empire perse. Mais l’accueil chaleureux que le Shah reçoit à Paris, trois ans plus tard, permettra de resserrer les liens entre les deux gouvernements, comme on dit en langage diplomatique.

Le Shah souhaite s’appuyer sur la technologie française pour moderniser son pays. À cette occasion sont signés d’importants contrats d’armement, l’achat par l’Iran de cinq centrales nucléaires, ainsi que des accords confiant aux entreprises françaises la construction du métro de Téhéran et l’électrification des chemins de fer. En décembre 1974, je me rends en Iran pour y négocier, entre autres, l’adoption par Téhéran de notre procédé de télévision en couleurs SECAM.

Le souverain m’y réserve un accueil conforme à l’image puissante et majestueuse qu’il veut donner de son pays comme de sa propre personne. Sous le faste et le prestige qu’il déploie, la réalité qu’on perçoit est celle d’un peuple de plus en plus révolté par le décalage entre ses conditions de vie et les dépenses extravagantes d’une monarchie d’un autre âge. Je ne serai pas surpris par les événements dramatiques qui suivront, tant un bouleversement aussi radical paraissait, de longue date, inéluctable.

Simultanément, la France négocie avec l’Irak, par mon intermédiaire, des accords de coopération énergétique et militaire. Ce qui me conduit à rencontrer le maître du pays, Saddam Hussein, à trois reprises : en octobre 1974, lors d’un premier voyage que j’effectue à Bagdad, puis en septembre 1975 à Paris, à l’occasion de la visite officielle du dirigeant irakien, enfin en janvier 1976, à Bagdad de nouveau, où je fais escale avec le ministre du Commerce extérieur, Raymond Barre, au retour d’un déplacement en Inde.