Выбрать главу

La démocratie que nous devons inventer doit permettre l’exercice continu de la responsabilité individuelle, ce qui suppose une transformation profonde de l’Administration, de ses méthodes, de ses structures.

C’est le cas de la participation. Vous savez combien cette idée nous est chère. Pour être effective, la participation suppose non seulement un droit à l’information, l’accès aux responsabilités, mais également une meilleure diffusion de la propriété par l’association de tous au capital. Voilà les bases de la véritable et nécessaire réforme de l’entreprise.

J’annonce la naissance d’« un vaste mouvement populaire » fondé sur les valeurs essentielles du gaullisme, tout en appelant les gaullistes eux-mêmes à s’ouvrir et se rénover, à renoncer au confort de se retrouver entre eux pour « parler du passé ». Même s’« il sera un peu pénible, un peu déroutant, d’accueillir de nouveaux venus, parfois d’anciens adversaires, le bien de la France est à ce prix », leur dis-je en conclusion, sachant qu’ils sont faits, plus que tout autre, pour comprendre ce langage.

Mal ressentie par la plupart des « barons », dont l’hostilité à mon égard reste vive et tenace, la création du RPR suscite un grand enthousiasme parmi les cadres et les militants de l’UDR, lesquels devront se prononcer sur l’avenir du mouvement à l’occasion d’Assises nationales extraordinaires convoquées à ma demande par le secrétaire général, Yves Guéna. Gaulliste depuis qu’il a rejoint la France Libre, à l’âge de dix-huit ans, et passionnément dévoué à la défense de son idéal, Yves Guéna soutient ma démarche, la jugeant salutaire pour notre cause commune. Organisateur d’une redoutable efficacité, Charles Pasqua multiplie de son côté les réunions dans les fédérations, où se pressent des militants galvanisés à l’idée de repartir au combat sous les ordres d’un nouveau chef. La régénération que beaucoup appelaient de leurs vœux est en marche.

Réélu député de Corrèze le 14 novembre, dès le premier tour, je consacre beaucoup de temps, réfugié avec Jérôme Monod, Alain Juppé et quelques autres dans un appartement discret de la capitale, à rédiger les statuts du mouvement, à peaufiner les grandes lignes de notre programme, à susciter l’adhésion d’hommes et de femmes en quête, eux aussi, d’un nouvel espoir pour notre pays et qui ne se reconnaissent ni dans les concepts esthétiques de la « société libérale avancée », ni dans ceux, selon nous plus inquiétants, du Programme commun. C’est bien une autre ambition française qu’il s’agit de proposer à l’heure où le pays s’enlise dans la crise économique, où l’Europe ne parvient plus à s’extirper de ses blocages et le monde à se donner d’autres perspectives que celles de la Guerre froide.

Le 5 décembre 1976, une foule immense, comme on n’en avait plus vu depuis les grands rassemblements du RPF, se masse dans le grand hall de la porte de Versailles, accourue par cars et par trains entiers, de toutes les régions de France. Plus de cinquante mille personnes unies par une même ferveur, en dépit de la température glaciale qui règne sur la capitale. L’UDR laisse place au Rassemblement pour la République, dont je suis élu président avec 96,52 % des voix. C’est, pour chacun d’entre nous, un de ces moments de communion et d’exaltation où l’on sent vibrer l’âme de la famille gaulliste, renaître une ardeur, une volonté, qui n’appartiennent qu’à elle.

Mon discours du 5 décembre fixe les grands objectifs du Rassemblement, tels que je les ai esquissés, deux mois auparavant, dans celui d’Égletons : rendre espoir et confiance à une nation qui s’interroge plus que jamais sur son avenir ; conforter notre indépendance nationale en se donnant les moyens d’une économie forte et équilibrée et d’un système de défense efficace ; promouvoir une démocratie de responsabilité et d’initiative ; redéfinir les véritables missions de l’État en termes de régulation et de planification ; bâtir une France plus largement ouverte sur le monde…

Tout en précisant que le Rassemblement se doit d’être « un lieu de réflexion, de suggestion et, si besoin, de critique à l’égard de l’action gouvernementale », je veille à dissiper toute équivoque quant à son positionnement politique. Celui-ci a fait l’objet d’un débat assez vif à l’intérieur du mouvement entre partisans d’une action en dehors ou à l’écart de la majorité et ceux qui pensent, comme moi, que nous devons occuper toute notre place en son sein afin de poursuivre, le mieux possible, l’œuvre de la Ve République. C’est cette ligne politique que je réussis à faire prévaloir, nonobstant les avantages certains qu’aurait eus pour le RPR une clarification plus immédiate de ses relations avec le chef de l’État.

Le renouveau de la famille gaulliste s’exprime en premier lieu dans le choix des hommes qui m’entourent à la direction du mouvement. Non sans peine, je suis parvenu à convaincre Jérôme Monod de prendre en charge le secrétariat général jusqu’aux élections législatives du printemps 1978, date à laquelle il m’a fait promettre de lui rendre sa liberté. Se jugeant peu qualifié pour la politique, dont, à quelques exceptions près, il n’estime guère le personnel, Jérôme Monod préfère, et ne s’en cache pas, l’atmosphère des cabinets ministériels à celle des officines électorales et les rites de la fonction publique à ceux des milieux parlementaires. Il n’est pas homme, de surcroît, à se laisser dicter un comportement, ni imposer une opinion contraire à ses vues et plus encore à ses principes. D’une grande exigence morale, le verbe volontiers tranchant, le jugement net et sans détour, Jérôme Monod a le goût de l’action et le sens de la décision. Il s’est affirmé, au cours des neuf années passées à la direction de la DATAR, comme un organisateur hors pair, ayant acquis une connaissance du territoire national, de ses particularités, de ses évolutions, aussi riche et précise que l’est son expérience du monde. Avoir Jérôme Monod auprès de soi, c’est se prémunir contre l’influence de ceux, toujours plus nombreux, qui ont, de toute chose, une vision plus étroite.

À la présidence du RPR, comme naguère à Matignon, j’ai besoin d’un second avec qui je puisse travailler en harmonie et dont la parole sera reçue comme la mienne. Complices de longue date, peu de mots nous sont nécessaires pour nous comprendre, sentir les transformations à opérer et les hommes à promouvoir pour faire du Rassemblement une organisation politique moderne et tournée vers l’avenir.

C’est Jérôme Monod qui m’a présenté, alors que j’étais encore Premier ministre, un jeune inspecteur des Finances et normalien, déjà repéré par Jacques Friedmann. Quelques minutes d’entretien m’ont suffi pour déceler à mon tour, en Alain Juppé, un homme d’une culture et d’une intelligence hors du commun. Je lui propose aussitôt d’entrer dans mon équipe. Apte à traiter rapidement du moindre dossier, à émettre un jugement sûr tant à propos des questions sociales et économiques que des problèmes politiques les plus complexes, Alain Juppé possède, entre autres dons, celui de l’écriture, qualité plutôt rare chez les énarques.

Après mon départ de Matignon, Alain Juppé, manifestant une loyauté qui ne cessera de se vérifier, acceptera tout naturellement de poursuivre son engagement à mes côtés. Il prend une part active, avec Jérôme Monod, à la rédaction du discours d’Égletons, puis à la préparation du programme que je présenterai lors du congrès du 5 décembre. Promu délégué aux études du RPR, avant d’intégrer le comité exécutif du mouvement en janvier 1977, il me paraît déjà promis à un grand destin politique.

Dans mon esprit, la fondation du RPR ne peut qu’être utile à la majorité en prévision des élections législatives de 1978, que celle-ci n’est pas sûre, loin de là, de remporter. Le 5 décembre, m’adressant à la foule rassemblée porte de Versailles, j’ai clairement fait connaître ma position à ce sujet. En dépit des réticences d’une grande partie de mes auditeurs, j’ai insisté sur notre appartenance à la majorité, désignant l’union de la gauche comme notre seul et unique adversaire. Objectif qui supposait naturellement que cette majorité se ressaisisse et fasse taire ses divisions.