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Si aucune manifestation hostile au chef de l’État n’est sortie, ce jour-là, de nos rangs, tel n’a pas été le cas, malheureusement, de l’entourage présidentiel à notre égard. La décision prise au même moment par le ministre de l’Intérieur, Michel Poniatowski, de faire évacuer par la police les locaux du Parisien libéré, en grève depuis plusieurs semaines — décision qui ne peut que conduire le reste de la presse à s’abstenir, en signe de solidarité, de paraître le lendemain, et, par là, de rendre compte de notre congrès — a toutes les allures d’un coup monté. À ma demande, Yves Guéna monte aussitôt à la tribune pour dénoncer cette manœuvre, tandis que j’adresserai moi-même une lettre de protestation au Premier ministre, Raymond Barre, sans obtenir de lui le moindre démenti crédible.

Bien plus que cette tentative de manipulation assez mesquine, et sans grand effet au bout du compte, ce sont les mises en cause incessantes, par mon successeur, de ma propre action à Matignon, et de l’héritage, selon lui catastrophique, que je lui aurais légué, qui contribuent à envenimer les relations entre le gouvernement et la principale composante de sa majorité. Il n’est pas de jour où Raymond Barre ne laisse entendre, quand il ne l’affirme pas ouvertement, qu’il a trouvé « les caisses vides » à son arrivée — ce qui, si tel était le cas, n’aurait pu se faire sans l’assentiment du chef de l’État, et revient donc à incriminer ce dernier directement. Pas de jour, non plus, où Raymond Barre ne se pose en sauveur d’une économie prétendument naufragée par son prédécesseur…

Ces attaques me surprennent, d’autant que je n’ai jamais entretenu, jusqu’ici, de mauvaises relations avec Raymond Barre, le connaissant fort peu, au demeurant, sur le plan personnel. Précédé d’une réputation flatteuse de grand économiste, il occupait des fonctions européennes éminentes lorsque Valéry Giscard d’Estaing, avec mon approbation, lui a confié le ministère du Commerce extérieur, en janvier 1976. Sept mois plus tard, le choix de le nommer Premier ministre me paraîtra tout aussi judicieux, bien que Raymond Barre n’ait aucune expérience d’un monde politique qu’il se flatte de mépriser. Compte tenu du contexte, notre passation de pouvoirs s’effectuera en quelques minutes et sans chaleur particulière. Mais je n’éprouve à l’égard de mon successeur ni hostilité ni acrimonie, espérant au contraire qu’il s’attachera à apaiser les tensions au sein de la majorité.

C’est l’attitude inverse qu’adopte très vite Raymond Barre en dressant de ma gestion le tableau le plus accablant, jusqu’à me conduire, en septembre 1977, un peu plus d’un an après mon départ de Matignon, à faire paraître dans la presse la mise au point suivante quant à nos bilans respectifs et aux critiques qui m’étaient adressées :

La situation économique, il y a un an, n’était pas si mauvaise que certains le disent aujourd’hui. Elle était même plutôt meilleure que la situation actuelle.

C’est le cas du commerce extérieur. Sur les sept premiers mois de 1977, le déficit cumulé est de 9 milliards contre moins de 5 pour la période correspondante de 1976.

C’est le cas de la production industrielle. Elle croissait à l’époque (de juin 1975 à juin 1976) de plus de 10 % par an. Elle croît aujourd’hui (de juin 1976 à juin 1977) de 3,2 %.

C’est le cas de l’emploi. Il y avait 808000 demandeurs d’emploi contre plus d’un million aujourd’hui.

Première critique : Quand M. Barre arrive à Matignon, l’inflation est en train de s’emballer.

Les faits ne confirment pas cette appréciation. La hausse des prix avait été alors de 9,5 % sur les douze derniers mois. Sur les six derniers mois, elle avait été de 4,8 %, soit 9,4 % en rythme annuel, et sur les trois derniers mois de 2,1 %, soit 8,7 % en rythme annuel.

Ces chiffres montrent de façon irréfutable que la tendance n’était pas à l’« emballement » mais au contraire à la réduction de la hausse des prix.

Deuxième critique : La tendance des prix était à la fin de l’été 1976 de 13 %.

On vient de voir qu’aucun des résultats constatés pendant que Jacques Chirac était Premier ministre n’approche, même de loin, ce chiffre. En fait, celui-ci ne peut correspondre qu’à la multiplication par douze des mauvais résultats de septembre et d’octobre 1976. Mais il est un peu risqué de faire de telles extrapolations. (À ce compte, en effet, la « tendance des prix » aurait dépassé 17 % en avril dernier quand l’indice mensuel a crû de 1,3 %.) Et, surtout, Jacques Chirac n’avait plus, ni en septembre, ni en octobre, la responsabilité de l’économie !

Troisième critique : Sans le gel des prix, on aurait eu 13 % d’inflation en 1976. Grâce à cette mesure, elle n’a été que de 9,9 %.

Le plan Barre, et notamment le gel des prix, s’est appliqué en fait à la fin de septembre 1976. À cette date, la hausse des prix cumulée depuis le 1er janvier 1976 était de 7,7 %. Il aurait donc fallu, pour arriver à 13 % d’inflation sur l’année, que la hausse des prix atteigne 5 % sur les trois derniers mois de 1976. Un tel chiffre est invraisemblable. Même au pire moment de l’inflation galopante, au début de 1974, on n’avait pas dépassé 4,2 % de hausse par trimestre. Et depuis, le rythme de la hausse avait été progressivement ralenti. Rappelons que pour le dernier trimestre de Jacques Chirac à Matignon, la hausse des prix avait été de 2,1 %.

Quatrième critique : « Les indices élevés du premier semestre de 1977 sont la conséquence du passé. »

Certes, la situation actuelle s’explique pour partie par les habitudes inflationnistes acquises par les Français au cours des trente dernières années, par le goût de l’expansion économique facile qui a dominé le monde jusqu’à la crise de l’énergie de 1973 ou par les décisions économiques des gouvernements précédents. Il est évident que toute période est influencée par la précédente. Mais ceci n’interdit pas au gouvernement d’améliorer la situation. Ainsi Jacques Chirac, dans sa première année de gouvernement, avait-il pu ramener le taux d’inflation trimestriel de 4 % à 2,4 %, et finalement laisser à Raymond Barre une situation dans laquelle la hausse trimestrielle était de 2,1 %. Ce dernier n’a pas eu la chance de pouvoir, au cours de sa première année à Matignon, réduire la hausse des prix, qui reste pour les trois derniers mois connus (mai-juin-juillet) de 2,6 % contre 2,1 % il y a un an.

Cinquième critique : Le taux d’inflation en 1977 sera, malgré la hausse des prix alimentaires en début d’année, inférieur à celui de 1976.

La hausse des prix depuis le 1er janvier est au 1er août 1977 de 5,9 %. Si l’inflation revient, sur les cinq derniers mois de l’année, à 0,7 % par mois, on peut encore limiter l’inflation à 9,7 % sur l’année, donc moins que les 9,9 % officiels de 1976. Il faut souhaiter que ce résultat, qui reste possible, soit atteint. C’est l’intérêt évident du pays. Mais on notera cependant, par souci de vérité, que ce ne serait alors que par un jeu comptable, à cheval sur deux exercices, que l’inflation pourrait apparaître inférieure en 1977 à celle de 1976.