Ainsi les chiffres et les faits font-ils justice de cette campagne insidieuse de critiques, qui cherchent à faire de Jacques Chirac un fauteur d’inflation. La seule vérité incontestable est qu’il a trouvé l’inflation à 4 % par trimestre et qu’il l’a laissée à M. Barre à 2,1 % par trimestre.
Ajoutons enfin que la conduite de la politique économique du pays, pour sortir la France de la crise, est une tâche difficile. Elle l’a été pour Jacques Chirac. Elle l’est pour Raymond Barre. Mais ce n’est pas en peignant en noir l’action de son prédécesseur qu’on grandira l’action de l’actuel Premier ministre.
Comment s’étonner, dans ces conditions, du climat de fronde et de défiance qui s’est très vite installé au sein du groupe RPR vis-à-vis du nouveau Premier ministre ? J’aurai le plus grand mal, certains jours, à ramener à la raison des députés gaullistes déchaînés contre le gouvernement au point d’être prêts à s’abstenir lors du vote de confiance. Mais il m’est d’autant moins facile de calmer les esprits qu’aux maladresses de Raymond Barre à notre égard s’ajoutent les provocations délibérées du chef de l’État, le peu de considération qu’il nous témoigne, l’arrogance avec laquelle il traite tous ceux qui ne se soumettent pas à ses oukases. Attitude qui va le conduire à se lancer dans une aventure aussi hasardeuse que celle de la mairie de Paris…
Promulgué par la loi du 31 décembre 1975, le nouveau statut de la capitale, administrée directement par l’État depuis plus d’un siècle, prévoit l’élection d’un maire doté des mêmes pouvoirs que ceux des maires des autres communes. Réduit jusque-là à un rôle en grande partie honorifique, le conseil municipal retrouve sa capacité d’initiative et de décision. Un accord a été conclu au sein de la majorité pour le choix de la future tête de liste. À mon instigation, et en plein accord avec l’Élysée, c’est le sénateur Pierre-Christian Taittinger qui a été désigné. Bien que giscardien, celui-ci entretient les meilleures relations avec les élus gaullistes de la capitale, majoritaires dans le conseil sortant. L’union paraît donc acquise, lorsque, en novembre 1976, passant outre au pacte que nous avions conclu, Giscard décrète, comme à son habitude sans consulter quiconque, la mise à l’écart de Pierre-Christian Taittinger, qu’il juge trop consensuel, au profit d’un de ses hommes-liges, Michel d’Ornano, ministre de l’Industrie et maire de Deauville, réputé plus antigaulliste.
Le 12 novembre, ce dernier annonce sa candidature sur le perron de l’Élysée. À juste titre, cette annonce est aussitôt ressentie comme une agression par les gaullistes parisiens, et en particulier leurs deux chefs de file, Christian de La Malène et Pierre Bas, qui envisagent à leur tour de se porter candidats. Face à une telle cacophonie, dont la gauche a toute chance de bénéficier, il m’apparaît de plus en plus évident, au fil des semaines, que je n’aurai pas d’autre choix que de me présenter. Mon entourage m’y incite d’ailleurs fortement, qui perçoit tout l’intérêt de disposer, pour l’avenir, d’une telle plate-forme politique. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ma seule ambition municipale, à cette époque, est de prendre la succession de mon ami Charles Spinasse à la mairie d’Égletons. J’y vois un bon moyen de consolider mon implantation en Corrèze, dont les habitants me sont, depuis toujours, plus familiers que les Parisiens. En me présentant à Paris, je crains, en outre, de paraître ajouter à une division déjà bien engagée. Jusqu’à l’intervention de Giscard, le 17 janvier 1977…
Ce jour-là, le président de la République, préoccupé de « décrispation », tient une conférence de presse décisive. Il y indique que, dorénavant, la majorité ne doit plus être uniforme, mais « pluraliste », et que, par voie de conséquence, chacune des formations politiques qui soutient son action doit libérer ses forces de proposition. En bref, ceci implique la pluralité des candidatures aux élections. Le surlendemain, 19 janvier, au nom du principe énoncé l’avant-veille, j’annonce à la télévision que je suis candidat à Paris pour les élections municipales. Tout au plus en ai-je prévenu Raymond Barre, lors d’une entrevue où le Premier ministre, qui ne croit guère lui-même aux chances de Michel d’Ornano, s’efforce en vain de me dissuader d’entrer en lice…
Et me voici en campagne ! C’est-à-dire arpentant chaque rue, visitant une à une chaque maison, chaque boutique, saluant chaque passant et serrant toutes les mains sans distinction. Qu’il s’agisse de Paris ou de la Corrèze, quelle meilleure façon de rencontrer les gens, de se faire connaître d’eux et, en retour, de pouvoir les apprécier ? Et tout cela en prenant soin de ne jamais évoquer le nom de mon principal concurrent, ni même de paraître au courant de son existence. Une des règles d’or, selon moi, de toute campagne électorale. Quand on me parle de Michel d’Ornano, je réponds invariablement : « Qui est-ce ? » Des années plus tard, à l’issue d’une réunion publique en Corrèze où il n’a cessé de citer mon nom, c’est le conseil amical que je donnerai à François Hollande : « Ne prononcez jamais le nom de votre adversaire. Il est inutile de lui faire de la publicité ! »
Un temps favori des sondages, le candidat du pouvoir paraît bientôt en si mauvaise posture que Giscard envisage momentanément de le retirer de la course au profit d’Edgar Faure, alors président de l’Assemblée nationale. J’en suis prévenu à temps. Un soir, je reçois vers minuit un coup de téléphone de Lucie Faure, à laquelle m’unit une grande amitié : « Jacques, pouvez-vous venir tout de suite à l’hôtel de Lassay ? C’est important ! » À mon arrivée, je trouve Lucie dans tous ses états, tandis qu’Edgar se tient silencieux dans son fauteuil, l’air un peu fautif. Elle m’annonce que Giscard vient de demander à son mari de se porter candidat à la mairie de Paris. « Vous connaissez Edgar, ajoute-t-elle devant lui. Il ne sait pas résister aux tentations de ce genre. Par conséquent, je tiens à lui faire promettre devant vous qu’il ne sera pas candidat et refusera la proposition de Giscard. » Puis, s’adressant à son mari : « Edgar, voulez-vous dire à Jacques que vous ne serez pas candidat… » Et Edgar, l’oreille un peu basse, de s’y engager malgré lui : « Bien, je ne me présenterai donc pas. » Affaire réglée : la candidature de Michel d’Ornano pourra suivre son cours…
Fortes des réseaux gaullistes solidement implantés dans la plupart des arrondissements parisiens et pourvues d’un état-major de choc, composé entre autres de Christian de La Malène, Roger Romani, Nicole de Hauteclocque et Jean Tiberi, tête de liste dans le Vearrondissement où je me présente en position de second, nos équipes remportent la victoire le 20 mars, au deuxième tour : cinquante-quatre sièges contre quinze à celles de Michel d’Ornano et quarante-quatre à celles de la gauche qui, dans l’ensemble, ont réalisé un très bon score.
Cinq jours plus tard, je suis élu maire de Paris par soixante-sept voix contre quarante au communiste Henri Fizbin. Le lendemain, les habitants de la capitale accourent en nombre à l’Arc de Triomphe où je les ai invités à nous rejoindre. C’est un premier succès pour le RPR. Et une défaite humiliante pour Giscard, qui en fera payer le prix à son vieux complice, Michel Poniatowski, chassé sans un mot d’éloge ou de regret du gouvernement Barre remanié au lendemain des élections municipales.
Quand je franchirai le seuil de l’Hôtel de Ville en tant que maire, me heurtant, sous la voûte, à la statue équestre noire et glacée, que j’ai prise tout d’abord pour celle d’Étienne Marcel, je me ferai la réflexion, avec soulagement, que, pour la première fois de ma vie, je ne suis le second de personne.