Le 19 mars 1978, la majorité compte 290 députés, la gauche 201. Le RPR, avec 153 sièges contre 137 à l’UDF, conserve sa prédominance sur le parti du Président, bien que celui-ci sorte renforcé en nombre de représentants. Ce qui aurait pu être l’occasion d’un nouveau départ est pris pour une offense par l’Élysée. Et plutôt que de faire un geste en direction du RPR, Giscard préfère exprimer à l’opposition son espoir de réussir à organiser… « une cohabitation raisonnable ». Manière de dire, sans doute, qu’il envisage déjà de se passer de ses alliés naturels.
Dès lors, plus rien ne peut retenir notre mouvement d’exister pour lui-même.
D’autres échéances électorales se profilent — et le temps me paraît venu d’une réflexion d’ensemble sur les engagements qui devront être les miens, leurs raisons profondes, leur finalité immédiate ou à plus long terme. En novembre 1978, je publie un livre, La Lueur de l’espérance, dont le titre m’a été inspiré par une formule du général de Gaulle, dans la dernière phrase de ses Mémoires de guerre.
À l’instigation de Marcel Jullian, et sous l’impulsion de mes amis Denis Baudouin et Roland Laudenbach, j’avais entrepris, quelques mois auparavant, d’évoquer mon parcours à partir de souvenirs enregistrés sur un magnétophone, avant d’être retranscris et mis en forme. J’y racontais ma jeunesse, mon escapade américaine, mes débuts d’énarque, mon expérience de soldat en Algérie, mes premières années de collaboration avec Georges Pompidou. L’ouvrage devait s’appeler Les Mille Sources, par fidélité à mes origines corréziennes.
Je sacrifiai à cet exercice avec sérieux, mais sans réel enthousiasme, répugnant de plus en plus, au fil des jours, à parler de moi, à revenir sur un passé qui n’a rien d’exceptionnel à mes yeux, à livrer mes états d’âme au risque de me donner en spectacle. Après une centaine de feuillets, je décidai d’y renoncer. Un récit trop personnel me paraissait sans intérêt, en tout cas prématuré.
La Lueur de l’espérance n’a rien d’une autobiographie. C’est un livre de combat qui propose quelques principes d’action et définit les grandes lignes de mon projet politique pour la France. Récusant les modèles socialiste et libéral, je m’y réfère plus que jamais à l’idéal gaulliste, comme expression d’une permanence historique toujours actuelle et toujours dérangeante :
La référence à Charles de Gaulle incorpore à la fois le vieil orgueil de la patrie, l’irréductible combat de la liberté, les transformations requises pour la continuité d’un grand passé dans un avenir maîtrisé et voulu. Elle évoque parfaitement la politique telle que nous la concevons, qui se moque de la politique telle que d’autres la conçoivent, et qui transcende toutes les divisions artificiellement entretenues entre les Français. Elle implique la stabilité d’institutions soustraites au jeu des partis, l’orientation d’une politique étrangère rebelle aux hégémonies, la préoccupation constante du progrès social.
Nous ne sommes donc pas faciles à manœuvrer et, sur tout ce qui touche à l’essentiel, nous ne voyons aucune raison de nous sentir dans l’embarras. Il en est ainsi, en particulier, de notre situation dans une majorité à laquelle nous appartenons sans en approuver toutes les tendances.
Nous sommes attachés aux institutions de la Ve République, qui ont soustrait le pouvoir aux combinaisons des partis, et donc attachés aux prérogatives du président de la République. Et si le président de la République inspire au gouvernement une politique que nous désapprouvons ? Eh bien, il exerce ses prérogatives et, de notre côté, nous faisons notre devoir en critiquant ou en votant selon notre conscience. La Constitution n’a pas créé une monarchie absolue d’attribution élective. Elle vise à renforcer la démocratie, non à dessaisir celle-ci au profit d’un homme, comme la IVe République le faisait en faveur d’une oligarchie élective. L’interprétation contraire serait aujourd’hui saugrenue. Elle est démentie par le comportement du général de Gaulle. Celui-ci a voulu recréer entre lui et le peuple l’antique alliance dont la vocation est de mater les féodalités ; il a toujours demandé au corps électoral, à chaque étape importante de son action politique, une nouvelle confirmation, quitte à s’effacer en cas de désaveu, ainsi qu’il le fit.
Face à une situation économique marquée par la stagnation et le chômage, et à l’impuissance avérée des politiques mises en place, je préconise, dans La Lueur de l’espérance, le retour à une planification continue. C’est le seul instrument de la volonté nationale, s’il se fonde sur la concertation, qui me paraisse susceptible de contenir à la fois les excès du libéralisme et les méfaits du dirigisme bureaucratique. J’insiste ici, de nouveau, sur le rôle primordial de l’État, en accord avec les catégories sociales et professionnelles concernées, dans la définition des grandes orientations d’une économie renouvelée. Les priorités doivent être, notamment, le développement des énergies nouvelles, le soutien aux secteurs à très haute technologie, la réorganisation des grands secteurs en crise, tels que la sidérurgie, l’industrie textile ou la construction navale, la mise sur pied d’une industrie agro-alimentaire à vocation exportatrice…
Indissociable à mes yeux des problèmes économiques, la question sociale justifie plus encore la recherche d’une troisième voie entre socialisme et capitalisme. Troisième voie qui passe inévitablement par une mise en œuvre plus conséquente de la participation. Dans mon livre, je soutiens l’idée que celle-ci doit, non seulement s’appliquer aux conditions de travail dans l’entreprise et s’étendre à l’actionnariat des salariés, mais aussi permettre, à terme, d’associer le personnel à la propriété des moyens de production — réforme ultime et fondamentale qui bouleverserait durablement notre système économique.
Si La Lueur de l’espérance souligne le rôle essentiel de l’État dans tous les domaines de la vie nationale, il n’en reconnaît pas moins le discrédit dont celui-ci pâtit auprès de l’opinion, à force d’incertitude et de dérèglement. La montée de la technocratie ne suffit pas à expliquer les carences de l’État, celle-ci n’étant jamais que la conséquence d’une volonté politique défaillante. C’est donc à la racine du mal qu’il s’agit de s’attaquer, l’abdication même du pouvoir politique, à laquelle ne peut remédier qu’un nouvel engagement citoyen, seul garant d’une réaffirmation de la souveraineté démocratique.
Ma conviction est que jamais un ordre intelligible, clair et rationnel, ne sera rétabli face à une administration devenue aussi tentaculaire que paralysante sans une prise de conscience émanant de la nation tout entière. La solution libérale, consistant à réduire les attributions de l’État, me paraît largement illusoire à cet égard, étant donné les compétences que conserve nécessairement l’État en matière de fiscalité, de crédit, d’énergie ou de réglementation sociale. Même si la liberté proprement économique était posée comme un absolu, elle ne couvrirait en fait qu’un champ assez réduit, car la réglementation administrative s’étend, et ne cesse de se développer. Il n’est pas de jour où l’on ne signale que telle ou telle activité, en raison d’un abus constaté, d’un incident quelconque, n’est pas assez réglementée, et chaque jour des projets s’élaborent dans les bureaux pour combler ce vide de la législation. L’opinion publique elle-même se scandalise, parfois à bon droit, de l’impunité dont bénéficient tels ou tels agissements. Partout au monde, il apparaît inévitable de renforcer encore la réglementation, en matière de protection de l’environnement ou de prévention contre les dangers de certaines activités industrielles. Ce serait donc se payer de mots que d’envisager une déflation administrative massive résultant d’une philosophie libérale installée au sommet de l’État.