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Elle avait l’air heureuse et son homme se mit à pleurer.

Je présentai sans un mot l’image au nain.

— C’est cette dame qui nous a parlé de vous, lui dis-je.

Je le sondai à mort. Mes falots ? Deux lasers. De son expression allaient dépendre beaucoup de choses. Fallait le percer à jour en un flash. Il était loin du compte pour le moment, batifolant dans des rêves technicolor sur écran large.

Il prit la photo et regarda.

Top !

Ça y était. Une fraction de seconde. Le sursaut interne, si je puis dire ! Il venait de l’avoir. Instantanément, il avait cessé de rire. Il hocha la tête et eut une moue d’incompréhension.

— Je ne connais pas !

En guise de réponse, je tirai une autre image de ma vague. Celle qui le représentait en train d’emplâtrer la Berthe.

— Pourtant c’est bien vous, là !

Nouveau regard. Mais chargé de crainte et d’angoisse. Il tombait de haut, le petitou. Finie la superproduc. Il venait de se faire piéger comme un bleu.

— Vous plaisantez !

— Pas le moins du monde.

Je m’emparai de sa dextre et la comparai avec celle qui se cramponnait au monument des poilus d’Orient de Mme Bérurier.

— C’est l’évidence, mister Teddy ! Non ?

Je lui repris les deux photos.

Il restait indécis, craintif et tendu, comprenant mal où je voulais en venir, mais sachant déjà que ça n’était pas fameux pour sa quiétude bourgeoise.

Béru, surtout, alimentait son anxiété par les regards meurtriers qu’il ne cessait de lui décocher. De plus, le Gros dégageait une sale odeur de haine et le nabot (Léon) la percevait parfaitement.

Je pris plaisir à laisser se prolonger le silence. Rien ne prépare mieux un homme inquiet aux confessions que de le faire macérer dans une ambiance calamiteuse.

Pour tromper l’attente, je bus mon godet d’aquavit à petites gorgées de rouge-gorge.

Le nain ôta ses besicles pour les fourbir à l’aide de sa pochette de soie. Il tentait désespérément d’avoir l’air dégagé, mais n’y parvenait pas.

Il les reposa sur son tarin et murmura :

— Que désirez-vous, au juste ?

— Qu’est-ce y dit ? demanda Béru.

— Il demande ce que nous lui voulons.

— C’t’une bonne question à dix balles, ronchonna l’Immense. Déballe-z’y le topo, mec. Et ajoute-z’y qu’si y n’répond pas franco, j’sus prêt à exercer su’sa pomme des pressions psychologiques, comme on dit dans nos émanuels professionnels.

Je brandis la photo de Berthe déguisée en levrette devant la frite du nain.

— Qui prenait les photos pendant cette délicate manœuvre ?

— Ma nièce.

Je compulsais les images de la partouze que, pour la commodité de manœuvre j’avais ôtées de l’album et fourrées dans ma poche. Sur l’une d’elles on apercevait, en amorce, la hanche d’une seconde femme.

— Vous mentez, votre nièce participait aux réjouissances.

— Y t’chambre ? gronda Béru.

— Pas mal.

— C’est marre, laisse-moi l’usiner ! Quand j’m’aurai occupé d’lu, il aura grandi d’cinquante centimètres.

Et Bérurier quitta son fauteuil pour aller prendre un tabouret dans la kitchenette attenante. Il plaça celui-ci sous le lustre de perles pendu à un crochet scellé dans le plafond. D’une secousse, il arracha la chaînette de suspension. Le lustre tomba avec fracas et son abat-jour se brisa.

Sa Majesté tira alors de sa poche une paire de menottes dont il ne s’était jamais séparé durant son mandat ministériel. Il passa l’un des bracelets dans le crochet ; après quoi, il vint au nain, le décolla du plancher et lui emprisonna le poignet gauche avec l’autre boucle. Puis il le lâcha et le petit bonhomme resta suspendu à moins d’un mètre du plancher.

— Reste plus qu’à attendre qu’il va causer, décréta Alexandre-Benoît.

Il ôta son veston et le plaça sur un dossier de chaise, puis revint à son fauteuil après avoir raflé au passage la boutanche d’aquavit.

Le nain pendant au bout de son bras comme une chauve-souris au bout de sa patte, grimaçait de douleur. Cet être disgracié, ainsi suspendu, me donnait un sentiment de honte.

Je n’eus pas le temps de le subir car on gratta à la porte. J’allai ouvrir et vis, en face de moi, une fille de type asiatique plus ou moins vêtue d’un kimono noir à ramages jaunes. La nièce ! Le bruit du lustre brisé avait dû l’alerter. Elle ouvrit aussi grand qu’elle le put ses yeux bridés en m’apercevant. Elle avait eu ce double look cher aux comiques d’antan, mais à l’envers. C’est-à-dire qu’elle regardait au niveau de ma braguette, croyant planter son regard dans celui de son tonton. Puis l’avait brusquement hissé jusqu’au mien. Par-dessus mon épaule, elle apercevait pour le même prix l’onclet suspendu.

— Entrez, Marika ! fis-je en lui prenant le bras.

Et nous fûmes quatre dans la pièce.

Elle était farcie de came, la petite chérie, ce qui ne l’empêchait pas de réaliser l’importance de la situation.

Tonton geignait misérablement. De temps à autre, Béru lui envoyait une bourrade pour qu’il se balançât.

La môme avait ses réflexes engourdis par la drogue, aussi ne fut-ce qu’après un moment de flottement qu’elle se précipita vers la fenêtre en appelant au secours. Très vigilant, le Gros la stoppa avec l’un de ses souliers rudement lancé qui atteignit la pute au creux des reins, lui coupant le sifflet. Il la ceintura et l’entraîna dans la salle de bains. Je laissai faire ce mari douloureux soucieux de retrouver sa chère moitié (laquelle aurait pu constituer deux entiers sans fournir d’efforts excessifs).

— Délivrez-moi ! supplia le nain, j’étouffe.

— Je le ferai volontiers dès que vous m’aurez dit ce qu’il est advenu de cette grosse dame, cher Teddy.

Cette photo implacablement placée sous son nez devait lui flanquer la gerbe.

Il gémit :

— Je ne sais pas : ils l’ont emmenée.

— Qui, « ils » ?

— Des gens du Syndicat.

— Leurs noms ?

— Je l’ignore !

— Attendons que ça vous revienne.

Histoire de lui filer le moral à zéro, je le laissai et allai voir comment Béru vivait sa nouvelle idylle avec Marika.

Ça ne se passait pas trop mal. Il l’avait ligotée au moyen de son kimono, déchiré en lanières et à présent la couchait dans la baignoire, n’ayant plus de place sur son testament.

Imperturbable, sûr, précis, d’un calme quasi effrayant, il ouvrit les deux robinets en grand.

— Questionne, questionne, mon pote ! m’invita-t-il. Sur les deux, y en aura bien un ou une qui crach’ra le morcif s’il veut pas crever !

La haine le rendait cruel.

Mais elle porta ses fruits.

Ils parlèrent l’un et l’autre, coup sur coup, à haute et intelligible voix.

Ce qu’ils me dirent séparément concordait.

Nous les laissâmes après les avoir délivrés et leur avoir fait avaler à chacun une bouteille d’aquavit, manière de les mettre sur la touche pendant quelques heures.

IV

JE POURSUIS D’INTÉRESSANTES VISITES. AVIS AUX ARMATEURS !

La secrétaire était du genre revêche à moustache, avec un gros cul carré comme un coffre de bateau. Jaunasse de peau, ses cheveux noirs torsadés et plaqués sur la tronche en un chignon du genre nid d’hirondelle, elle appartenait à cette catégorie de femmes dont le haut protège le bas.

Je lui demandis si M. Hans Bergens pouvait m’accorder un bref entretien ; et ce fut comme si j’émettais la prétention de convier le Président Reagan à passer ses vacances avec moi (ce qu’à Dieu ne plaise). Elle eut l’air tellement horrifiée par ma prétention que je crus un instant avoir déclenché sa ménopause. Son visage se convulsa, son regard, par contre, se révulsa et ses dents lui sortirent de la bouche tel un dentier expulsé par une quinte de toux ; cependant c’étaient bien les siennes : dents de piano jaunies par la nicotine.