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— Alors que faites-vous ici ?

— J’y viens.

— Vous devriez déjà aborder votre péroraison, riposte Tête-de-poire-renversée, de sa voix en coup de frein de tramway.

Sale type ! Un Foccard de la pire engeance ! Dingue et teigneux !

— Une réunion des ministres de l’Intérieur européens s’est tenue à Amsterdam voici trois jours. L’épouse de notre représentant a été kidnappée pendant qu’elle visitait les rues chaudes de la ville. L’opération s’est déroulée alors qu’elle participait à une partie fine ; car c’est une personne très portée sur le sexe et, par conséquence, imprudente.

— J’appelle ce genre de femelles des truies, déclare le bigloche.

— Moi aussi, monsieur Bergens, ce qui prouve que nous avons une certaine similitude de jugement. Ce rapt avait pour objet de permettre d’exercer un chantage sur le ministre français.

— Quel chantage ? interroge le faux derche.

— Le ministre l’ignore car il a pris les devants et démissionné après avoir franchement exposé la situation à l’Elysée.

— Dangereux pour sa femme, murmure le bigleux.

— Il en prend le risque étant homme de devoir avant tout.

Voilà : les dés sont jetés, comme dit mon tailleur.

Hans Bergens se lève, fait quelque pas dans l’étable et se met à pisser sur le fumier. C’est un petit homme un peu bosco et déclaveté. Pudiquement, je m’approche de la lucarne. Elle donne sur le port. (Elle devrait plutôt donner sur le porc étant lucarne d’écurie.) Je consulte ma tocante. Va falloir usiner rapidos car l’heure « H » approche. J’espère qu’il n’a pas la prostate, l’armateur ?

Il refourre son bistougnet verseur dans ses hardes, se reboutonne (il en est resté à la braguette à boutons) et revient s’asseoir non sans avoir flatté la croupe du bœuf au passage.

— Vous disiez, commissaire ?

— Notre ministre, et c’est là que nous entrons dans le secteur confidentiel, appartient à une organisation occulte très puissante en France, l’équivalent de la Mafia italienne pour vous la situer, qui s’appelle « le Groupe Beaujolpif ».

— Jamais entendu parler.

— Ce qui vous prouve combien elle est secrète.

— Passons, ensuite ?

— Ensuite, le Groupe Beaujolpif a décidé d’assumer le problème de l’ex-ministre et de récupérer l’épouse dévergondée de celui-ci.

— En quoi cela me concerne-t-il ?

— Ces gens ont choisi une personnalité importante d’Amsterdam, en l’occurrence vous, l’armateur numéro un de ce pays et entendent la rendre responsable de la vie de la dame que nous évoquons.

— Qu’est-ce que c’est que cette fable ?

— Une histoire vraie, monsieur Bergens.

— Mais c’est de la pure folie !

— J’en suis convaincu.

— Qu’ai-je à voir dans cette histoire stupide ? Tout cela ne me concerne pas ! s’écrie le bigleux.

— Pas plus que la femme enlevée n’est concernée par les mauvaises intentions de ses ravisseurs. C’est une salope, certes, mais innocente. Vous êtes également innocent, bien sûr, mais choisi, monsieur Bergens. Il leur fallait un bouc émissaire et c’est dans cette étable qu’ils le prennent.

L’autre se crispe. Il me fixe avec une si vive intensité qu’un bref instant ses lampions se refoutent droit.

— Et vous êtes le porte-parole de ces gredins ?

— Ne m’insultez pas, monsieur Bergens. Je suis un magistrat français. J’ai été mis au courant de ce qui se tramait par des indicateurs et je vous préviens officieusement.

— Vous me prévenez de quoi ? espèce de gros malin, s’emporte le vilain.

— Du danger que vous courez et que court votre vaste entreprise. Le Groupe Beaujolpif ne recule devant rien. S’il arrivait malheur à vos bateaux d’abord, à votre famille ensuite, ce serait cher payer la vie d’une grosse truie désormais inutile.

— Mais qu’y puis-je, moi ?

Je hausse les épaules.

— Le Groupe Beaujolpif a pensé, en portant son choix sur vous, que vous possédiez d’immenses relations qui seraient à même d’intervenir…

— Sortez !

Je n’ai pas besoin de me lever puisque je suis debout. Le vieillard frappe un timbre du plat de la main. Les gorilles reviennent. Il leur crie en néerlandais de me virer. Comme ils n’attendent que ça et faisaient brûler des cierges dans le couloir pour que le ciel leur accorde ce bonheur, ils se précipitent afin de m’alpaguer.

A cet instant, un bruit néolithique retentit. Je louche sur ma tocante. Mathias et Béru ont deux minutes de retard sur l’horaire. Pas grand-chose, mais je commençais à me cailler la laitance.

Le petit bonhomme Bergens se met à glapir comme un rat qui s’est coincé la queue dans un moulin à légumes. Il se lève, trépigne, va et vient dans tous les sens.

L’un de ses scouts se porte à la lucarne pour visionner le port.

Il annonce, en hollandais, mais je pige sans l’aide de sous-titres puisque je sais de quoi il retourne :

— C’est le Carolina !

Que je te préviens-je : le Carolina est un petit cargo de la Compagnie Hans Bergens S.A. En ce moment, il est en cale sèche pour réfection, sur les chantiers navals situés face à l’immeuble. L’armateur se précipite. Il regarde. Se retourne.

— Vous ! C’est vous ! hurle-t-il.

Alors là, l’Antonio prend son air le plus angélique, celui qu’il adopte pour faire traverser la rue aux vieilles dames impotentes et pour offrir des bonbons aux petites filles sans qu’elles eussent peur d’être violées.

— Prenez garde à ce que vous dites, monsieur Bergens. Je suis venu loyalement vous prévenir qu’un grand danger pesait sur vous et votre environnement. La chose commence à se manifester, ce qui vous prouve que je ne plaisantais pas. Vous devriez me marquer de la reconnaissance au lieu d’écumer. Je vous l’avais dit : le Groupe Beaujolpif est très puissant. Si Mme Bérurier n’est pas remise en liberté dans les meilleurs délais, vous risquez d’avoir des surprises avec tous vos bateaux qui sillonnent les océans ! Cela dit, à vous de juger. Mais ne comptez plus sur moi pour vous aider, j’ai fait ce que me dictait ma conscience, à la vôtre de prendre le relais.

Les sbires veulent me sauter sur le poil. Mais comme je suis en colère, l’un a droit à un terrible coup de pied dans les roustons et l’autre à un monstre coup de boule dans les badigoinsses.

Je sors la tête haute, sans saluer davantage l’assistance.

L’âne pète au moment où je referme la porte. J’y décèle comme une approbation. Bérurier aussi donne de ces marques d’estime.

V

LES AFFRES DE L’ATTENTE. Ô COMBIEN DE MARINS, COMBIEN DE CAPITAINES… LA DAMNATION D’ACHILLE

Baudelaire a écrit un texte fameux sur la griserie. Un texte à la con, selon moi qui n’engage personne. Un texte comme quoi la vie est si tant tellement brève et merdique, inhospitalière affreusement qu’on doit passer son temps terrestre à se griser : de vin, de poésie, de tout ce qu’on voudra, mais se shooter coûte que coûte pour ne plus voir ça et filer dare-dare au trépas sans regarder les gens du voyage, ni le compartiment fumeur, non plus que le paysage du long de la voie. Il fleurdumalait à tout-va, le pauvre Charly ! Mort à 46 piges, faut dire. Donc : pressentiment d’une fin précoce, ça tu peux y compter. Il le sentait qu’il allait paumer le meilleur, ne jamais connaître le bel âge du renoncement ; la griserie d’acceptation. Cette « démarche »-là lui est passée au-dessus de la tronche.

Toujours est-il qu’il a fait des adeptes. Alexandre-Benoît Bérurier entre z’autres. Depuis trois jours que nous sommes rentrés de Hollande, notre coup fourré perpétré, il ne dessoûle pas.