— Le Seigneur a mis plus de quarante ans pour fabriquer ces deux pots de merde, laissez-moi au moins quatre heures pour les modifier !
Il se plante à nez portant devant Berthe.
— Il va falloir raser cette vacherie, si elle avait pas ce machin de jument entre les jambons, on la prendrait pour un grenadier ! Par contre, je devrai poser des postiches à l’autre morue.
Le plus surprenant : il insulte les deux viragos, mais aucune des deux ne proteste. On accepte tout de Giuseppe. C’est un mystère. Il est comme ça. Ses insultes ne tirent pas à conséquence. Ça vient de ce qu’il est tout mignard, tu crois ?
Il sort de sa fouille des gants de caoutchouc, les enfile à la saint-cyrien (avant d’aller se faire crever la paillasse au Chemin des Dames), mais au lieu de faire la vaisselle, il tripatouille les nichons des deux vachasses.
— Y a au moins dix kilos d’écart, estime-t-il ; ceux de la vraie pute sont plus légers, par contre ils s’affalent ; ça me flanque la gerbe ces tas d’immondices, quand je pense qu’il y a des gros dégueulasses qui s’enfouissent le nez là-dedans pour prendre leur pied !
Et à moi :
— Moi, le glandulaire, j’y peux pas grand-chose, je suis maquilleur, pas chirurgien. On renforcera le soutien-loloches de la rouquine pour donner meilleure manière à ses bas morceaux.
— Carte blanche, Giuseppe, réponds-je.
Mathias tire le portrait des donzelles. Le climat est bizarre ; ça fait un peu antre de faiseuse d’anges. Les dames sont silencieuses, intimidées. Elles ressemblent à deux cétacés rejetés sur la grève.
Il a les larmes aux yeux, Béru.
Depuis la bagnole, il considère sa rombiasse en action, rue Saint-Denis ; changée sans doute, mais égale à elle-même malgré le maquillage vermillon, la bouche cyclamen, le short de cuir noir, les bas noirs, les jarretelles noires et le corsage blanc dans lequel on a découpé deux hublots pour laisser sortir les seins. Berthe tient une cravache à la main et en fouette ses santiagues armoriées tout en toisant hardiment les mâles de passage.
Au moment où je vais décarrer, il s’écrie :
— Non, attends, faut que j’y dise encore quèqu’chose, mec !
Il sort sa tête pensante de la tire et interpelle sa moitié.
— J’ai peur qu’tu vas prend’ froid, Berthy, lui lance-t-il, d’t’voir dépoitraillée pareill’ment. Y fait pas un’ noye à se balader la laitance à l’air.
— Fais-toi pas d’souci, j’sus pas frileuse, rassure l’Héroïque.
Le brave époux masque son scepticisme et ajoute :
— Et gaffe-toi de la vérole, ma grande : si tu grimpes des troncs, mates-y bien la rapière, pas m’ram’ner un’ch’touille de gala ensute.
— Pour qui est-ce tu m’prends, Sandre ? J’sais r’connaît’un paf contaminé d’un joufflu bien portant, Dieu mercille. C’est pas d’hier qu’j’aye faite ma première communion, quoi, merde !
Estimant que ces époux infernaux n’ont plus rien d’essentiel à se bonnir, j’embraye. Berthe hurle pour que sa voix nous rattrape :
— Et técolle, gaffe-toi d’pas prend’goût à Carmen ! J’tolérerais pas qu’é s’implantasse chez moi.
Sa Majesté passe le bras à l’extérieur pour rassurer sa femme d’un geste.
Ayant agi, il remonte la vitre, se tourne vers moi et murmure :
— C’te Carmen, à propos, j’espère qu’elle’m’f ra une intérimerie convenab’. D’ordinaire, les radeuses de trottoir ont tendance à bâcler, ça, j’supporterais pas : une partie d’fion, si j’ai pas mes aises, je préfère bouffer une choucroute garnie à la place.
On filoche dans la circulanche. Bérurier rumine des arrière-pensées qui ne sont pas seulement d’ordre sexuel puisqu’il demande, le ton ronchon :
— Tu croyes qu’ça va servir à quèqu’chose, c’t’esmascarade, grand ?
— C’est une grille pare-feu, bonhomme. Comme ces fumiers ont arrosé la presse de cassettes, fatalement t’auras des journaleux pourris qui sauteront dessus comme des mouches sur une charogne. Il faut avoir la parade, clamer à la machination. J’espère que ces deux dames ont bien assimilé leurs rôles et qu’elles ne se couperont pas, le cas échéant. Carmen est devenue Berthe, Berthe est devenue Carmen. Le mac de celle-ci m’a pas l’air con et restera sur la brèche. Il est prêt à dire que des gens sont venus rôder rue Saint-Denis avec des photos de ta femme, lui cherchant un sosie, et qu’ils ont engagé son brancard pour une expédition de grand style. Berthe qui joue Carmen « avouera » et, ayant vécu la chose, en parlera en connaissance de cause.
— Et si des petits futés ostinent et découv’ent le super-refuge ?
— N’importe : on battra à niort ; ce qui importe c’est d’avoir, au moment de l’impact, quelque chose à opposer. Que cette chose soit controversée par la suite n’est pas grave. L’actualité, c’est tout de suite. Dès le lendemain elle est défraîchie, au bout de huit jours elle est périmée, ensuite elle fait chier tout le monde. D’autres événements se bousculent au portillon, gars.
Il opine.
— Dans le fond, j’m’ai un peu précipité d’démissionner, non ? Av’c ta combine, j’pouvais voir viendre.
— Ne crois pas cela. Le fait que tu ne sois plus ministre désamorce déjà l’intérêt des médias. Tu redeviens un anonyme, Gros. Les prouesses bandantes de la femme d’un anonyme n’excitent plus les masses.
Le Mammouth admet la logique de ma démonstration et la ferme. Il est triste et regrette son époque glorieuse.
L’ayant confié aux soins attentionnés de Carmen, je retourne à la Grande Maison malgré l’heure tardive. Un message gigantesque s’étale sur mon bureau : Contracter Môssieur le Direqueur drugence.
Je reconnais le style et l’orthographe de l’honorable brigadier Poilala. Que me veut encore le père Achille ? Il va pas commencer à me les briser pour assurer sa souveraineté durement reconquise !
Je l’appelle et il décroche.
— Ah ! tout de même ! Quelle idée d’avoir foutu votre camp comme un malpropre pendant que je m’employais à remercier ces messieurs de la presse pour leur geste magnifique, unanime et édifiant ?
— Vous parlez tellement bien, monsieur le directeur, que je n’aurais rien eu de valable à ajouter ; par contre il était urgent que j’agisse.
— Montez !
J’escalade à pincebroque les deux étages de pierre glissante. Poilala est debout devant la double porte capitonnée, solennel et égrillard dans le fond de l’œil.
« Il » n’est pas seul, me confie-t-il.
— Qui est là ?
— Une beauté qu’il appelle « Zouzou ».
— C’est le surnom qu’il donne à toutes les femmes qu’il carambole.
— Vous allez en prendre plein les vasistas, monsieur le commissaire, je vous préviens : attention les yeux !
Et il m’annonce.
Il est resté nettement en dessous de la vérité, Poilala. La miss Zouzou, oh ! pardon ; tu parles d’un lot d’exception. Ce châssis, madame ! L’équivalent d’une levrette primée ! Grande, mince, élancée, des jambes fabuleuses, un visage de madone salope, des prunelles bleues, exaltées. Cette gonzesse doit te déménager le kangourou en moins de jouge !
Pour l’instant elle est vachetement boudeuse, l’exquise ; je suis la cause de cette humeur car son vieux julot la contraint à poireauter au lieu de la driver jusqu’à sa gamelle de caviar.
Dans ce burlingue administratif, mal éclairé et qui pue le dossier rance, elle se sent pousser des champignons, la Zouzou !
Présentations, je salue. Souris. Toute la gomme dans mes incisives. Lèvres bellement retroussées. L’œillade racoleuse. Des promesses à ne pouvoir les tenir, style « Bouge pas, ma grande : que je te trouve entre quatre murs et je t’opérerai la féerie cosaque. »