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La dame en rose était excitée comme une folle. Cet intérieur douillet lui portait aux sens, directo. En grande baiseuse experte, elle y retrouvait, condensée, l’odeur forte et étourdissante de la fornication.

La personne d’accueil était métissée et portait un ample vêtement de soie tenant du kimono et du boubou. Ses lèvres abondamment fardées avaient quelque chose de presque surréaliste, tant elles étaient larges et épaisses.

Elles ressemblaient à un dessin de Man Ray. Le blanc de ses yeux était jaune ; une cicatrice en forme de fermeture Eclair courait sur sa joue gauche.

Elle ne salua personne et ne se départit pas de son expression indifférente, aux limites de l’hostilité. Elle baignait dans une rêverie à base de « H » ou de trucs peut-être plus durs.

— Teddy est ici ? demanda l’homme au crâne rasé.

Elle opina (étant là pour ça, non ?) et appuya sur un timbre électrique. Une porte percée dans le fond du studio s’écarta. La dame du ministre, qui venait de prendre place sur un fauteuil, regarda mais ne vit rien car le canapé s’interposait entre elle et la porte. Elle crut qu’un chien venait de la pousser et eut un sursaut en voyant apparaître un nain. Elle n’en avait jamais vu d’aussi petit. Comme la plupart des hommes frappés de nanisme, l’être en question était nanti d’une tête de dimension courante sur un petit corps compact. Il avait les jambes torses et des bras de poupée. Il n’était vêtu que d’un peignoir de soie jaune à col bleu, aux couleurs d’une maison fameuse d’apéritif anisé.

Cet homme possédait un visage de notaire, aux cheveux grisonnants, au nez chaussé d’élégantes lunettes à monture noire.

Il fit « Hello », avec un geste d’effaceur de tableau.

Le grand garçon rasé vint s’asseoir sur l’accoudoir du fauteuil où s’était abattue sa conquête.

— Vous allez voir comme c’est fascinant, promit-il.

Tout en parlant, il avait coulé sa main par le décolleté de la dame en rose et se mettait à lui palper les seins avec une insistance minutieuse quasi clinique.

L’hôtesse défit son kimono. Elle avait un corps superbe, luisant, nerveux.

Une toison noire et crêpée, luxuriante, recouvrait entièrement son bas-ventre. Elle s’approcha du couple et posa un pied sur l’accoudoir demeuré libre. Un moment passa. L’homme au crâne rasé continuait de prodiguer des caresses lascives à la femme en rose. Celle-ci respirait de plus en plus fort, donnant l’impression qu’une machine haut le pied s’aventurait dans le studio. La pute laissa admirer son intimité à loisir, et au bout d’un temps interminable, elle fit signe au nain qui se précipita et se coula entre ses jambes. Il exhiba une langue de caméléon, follement active. La métisse parut sortir quelque peu de sa léthargie maussade et sa figure se crispa. Le nain l’abandonna pour sauter sur les genoux de l’épouse du ministre. Il s’y blottit comme un enfant peureux, puis écarta les pans de son peignoir. La dame poussa alors une exclamation qui dut s’entendre jusqu’à La Haye.

— Oh ! c’est-il possiblement possible ! balbutia-t-elle.

Elle avait sur ses cuissots (ou même cuisseaux) un être hyper-phallique en comparaison duquel la statue du dieu Priape aurait ressemblé à un tire-bouchon.

La dame en rose ne se remettait pas de sa stupeur.

— Pis qu’mon homme ! confia-t-elle à Crâne-Rasé. Pis qu’mon homme ! Et pourtant…

Teddy, le nabot, s’amusait de sa surprise. Il lui prit la main et la porta sur son monument encore non classé mais ça n’allait pas tarder. La dame en rose ne parvenait pas à opposer son pouce à son médius de l’autre côté de sa prise, et il s’en fallait même de beaucoup.

— Il serait peut-être temps de s’amuser sérieusement, vous ne croyez pas ? lui souffla à l’oreille l’homme aux lunettes noires.

Il ajouta :

— Allons, chérie, déshabillez-vous ; vous allez voir comme c’est beau, la Hollande. Ici, il n’y a pas que des tulipes et des moulins à vent.

La dame s’abandonna en ahanant de plus en plus bruyamment. Elle créait autant de tapage qu’une gare régulatrice en effervescence.

Galant, son mentor l’aida à se dévêtir.

II

LE CALVAIRE D’UN MINISTRE ET L’ANGOISSE DU RÉGIME QU’IL SERT AVEC DÉVOUEMENT. APPEL PATHÉTIQUE AU TRÈS ILLUSTRE ET TRÈS BANDANT COMMISSAIRE SAN-ANTONIO

Son Excellence m’avait donné rendez-vous chez Finfin, un petit troquet des Gobelins, coincé dans une ruelle qui sentait le charbon mouillé et la peinture fraîche. Nous le fréquentions, jadis, en nos débuts professionnels. C’était un petit restau de six tables et un comptoir, encore recouvert de véritable zinc ouvragé. Les murs marronnasses fonçaient d’année en année et les quelques trophées d’obscures sociétés gymniques qui le décoraient se confondaient maintenant avec la tapisserie couleur de merde dure. Un fanion tricolore portant un sigle doré en son milieu dénaturait le drapeau français. A l’en croire, au lieu d’être bleu, blanc, rouge, nos couleurs étaient violet, jaune, marron. Le coquet établissement était géré par le père Finfin qui allait cahin-caha sur ses soixante-quinze balais.

Le bonhomme rouge de peau et blanc de poil ne se montrait que vêtu en bleu d’ouvrier. Son futal, sa limace, son tablier de caviste et les grosses veines de son nez étaient d’un même bleu intense, ainsi que le dessous de sa moustache gauloise qu’il mettait perpétuellement à macérer dans le vin rouge. Derrière le comptoir où il régnait, se trouvait une cuisine grande comme celle d’un F4, isolée de la salle par une vitre enfumée, à travers laquelle on voyait s’affairer Rirette, l’égérie du vieux, une gaillarde obèse boiteuse, affligée de la plus énorme poitrine du treizième arrondissement.

Cette personne, d’origine savoyarde, cuisinait des petits plats de grand-mère riches en cholestérol, mais agréables à déguster lorsqu’on était porté sur les abats, le gratin dauphinois à la crème et les salades frisées truffées de croûtons, d’œufs mollets et de lardons.

Une espèce de Cosette souffreteuse jouait la serveuse dans cette pièce à trois personnages. Elle devait aborder la quarantaine, mais en paraissait vingt tant elle était rachitique. Les clients la surnommaient « Fleur de Misère » parce qu’on avait beau chercher, il n’y avait vraiment pas moyen de lui dénicher un autre sobriquet. Elle assurait le service du restaurant furtivement. Chaque fois qu’elle traversait le comptoir les bras chargés, Finfin lui foutait la main au cul en grommelant :

— Va falloir me remplumer ça, Moustique.

Aussitôt, la grosse Rirette qui avait l’œil mugissait depuis son fourneau :

— Hé ! doucement les basses, patron ! Endormez-vous pas sur le rôti !

Seule, Fleur de Misère se taisait, étant passive, résignée et asexuée au-delà de tout.

Dix minutes que je poireaute devant un Byrrh cassis, l’apéro obligatoire chez Finfin. Le vieux a tellement changé depuis l’époque où nous fréquentions sa taule qu’il a eu du mal à me reconnaître. Quand il m’a « remis », un grand sourire jaune et noir lui a remonté les bacchantes.

— Salut, p’tit gars, qu’est-ce tu deviens, toujours chez les draupers ?

Faut dire qu’il ne lit que Le Cantal à Paris, Finfin. Les grands mouvements de société, les gloires, les exploits, il s’en torche.

Sa voix brisée par le côtes-du-Rhône, son élixir favori, est devenue plus graillonnante. Dès qu’il attaque une phrase, ça fait comme lorsque la mère Rirette plonge les pommes paillettes dans son bac à friture.