J’entre.
Le lendemain matin, c’est sa cafetière-radio qui me réveille. Elle est drôlement branchée sur le caoua, la mère. T’as des tas de frangines qui se survoltent les miches à la caféine. Mais ça lui réussit parce que pour ce qui est de s’envoyer dans les azurs, championne ! Pas frigide, Frida ! Avec elle c’est du boulot de première. L’ouvrage en force. Sans chichis ! Par ici la belle rapière ! Et vas-y, mon grand, montre-moi comment ça se passe dans l’Hexagone !
Qu’à la fin de ma prouesse je me suis endormi comme ton charcutier, le soir de fermeture, après s’être ajusté sa charcutière.
Donc son réveil-radio se met à débloquer dans ce putain de langage à la con qui s’appelle le néerlandertal, tant il est demeuré paléolithique.
Elle s’étire, glousse, s’éveille, puis se met à m’identifier les hémisphères du plat de la main.
Soudain, elle interrompt son mouvement giratoire.
— Qu’est-ce qu’il y a ? m’enquiers-je dans un bâillement organisé.
— Terroristes ! elle répond.
— Ah oui ? Ici ?
Elle écoute et branle tu sais quoi ? Son chef (mais je ne perds rien pour attendre), en faisant des « tsssit tsssit tsssit ! » de commisération.
— Mais qu’est-ce qui se passe ? insisté-je.
Frida, de la main, m’intime de patienter. Et puis, tout en continuant de prêter l’oreille à ce qui doit être des commentaires à propos de l’information, elle me raconte comme quoi deux terroristes ont flanqué une bombe incendiaire, tôt ce matin, dans la chambre 606 de l’hôtel Zuiderzé-Mejmezoigne. Un monstre incendie a pris presque immédiatement et les deux derniers étages de l’établissement ont cramé malgré une prompte intervention des pompiers. On estime que le sinistre a dû causer une dizaine de morts.
Là, elle m’intéresse, ma gentille hôtesse, vu que c’est à l’hôtel Zuiderzé-Mejmezoigne que je suis descendu (ou plutôt monté puisque ma chambre se trouvait justement au sixième étage) et que j’y occupais l’appartement 606 !
J’interroge Frida pour lui butiner ce qu’elle a esgourdé dans sa cafetière-informatrice. Elle me bonnit comme quoi deux hommes se sont pointés pour demander après un Français qu’elle a oublié le nom ; le concierge leur a répondu que le dividu en question piogeait au 606 mais qu’il devait dormir. Les gars ont répondu que « Merci bien, on repassera. » En loucedé, d’après un groom, ils ont grimpé en empruntant l’escadrin. Un touriste jap au nez les a vus enfoncer la porte de la piaule 606 d’un double coup d’épaule exécuté en duo et balancer un projectile dans la pièce, après quoi, ils se sont taillés à une allure dingue pendant qu’une fantastique déflagration déguisait la chambre en ruines.
Quelque chose me turluqueutant, je saute du lit de l’aviateur (où sa dame s’envoie en l’air) pour aller palper mes poches. J’y trouve la clé de ma chambre d’hôtel. Hier, lorsque Mathias m’a tubé de le rejoindre, je me suis tellement manié le train que j’ai omis de la déposer sur le rade du concierge et c’est cet oubli qui a donné à croire ce matin au préposé que je me trouvais dans mon plumzigue.
J’ai un élan de gratitude pour la Providence qui m’a donné une gueule et une bitounette de séducteur ; car si je n’avais pas séduit la mère Frida hier soir, à l’heure où je te raconte je ne serais plus qu’un petit tas de cendres mélangées à de la laine carbonisée.
Ma belle hôtesse me sert du café en chantonnant.
Les gerces bien vergées ont le cœur aussi en fête que le prose, j’ai toujours remarqué.
Je le lui caresse (pas le cœur, le prose) avec reconnaissance tandis qu’elle me sucre. Dans mon job et avec ma vocation de tendeur, je me fais des tas de maîtresses-Kleenex, j’entends par ce mot composé les femmes d’une troussée dont on prend à tout jamais congé d’un patin distrait. Celle-là, bon, je vais la mouler comme les autres, en lui réservant toutefois un petit coinceteau discret dans ma mémoire. Chevaline, un peu grenadière, mais comment elle te m’a ravaudé le destin, la mémé ! Je lui revaudrai ça à l’occasion, espère ! Tiens, si je lui accordais un petit coït d’honneur avant la séparade ? La troussée du matin, celle qu’arrête pas le pèlerin ? Gentille, pas alambiquée, presque amicale. Early morninge la baisade en camarades, au petit train, si tu vois. Qu’il est pas question d’interpréter Roméo et Juliette, Paul et Virginie, Roux et Combaluzier, Tristan et Yseut, Rivoire et Carret, que non ! Une simple tringlée de copains. Cousins, cousines. Une dégorgeance printanière, entube bien tour d’honneur. Une fredaine quasi matrimoniale, manière de la remettre dans le droit chemin, la préparer au retour de son pilote migrateur.
Ça se passe cordialement. On se marre presque, c’est te dire, alors que l’amour, merde, je la prends au sérieux, comme dit Béru. Aimable enfourchement en guise d’au revoir. Après ça, la douche s’impose. Elle confectionne des saucisses grillées, des œufs frits, des jus d’orange. Reconstituants. Bonnard ! Merci, Frida. Que la vie te soit légère. Encorne pas trop le pilote hors ligne. Garde-z’en pour lui. Il a droit au septième ciel, lui aussi.
Je me casse guilleret, après l’avoir déposée à son arrêt d’autobus.
Une gentille fumelle, peu compliquée.
A présent, ça va devenir délicat. J’ai bouffé mon cul blanc le premier, gars. Pour manœuvrer faudra garder les yeux rivés sur les instruments de bord.
Escale dans un bureau de poste. J’obtiens le Dabe rapidos.
— Mathias m’a remis la confession de cette bonne femme, commissaire, on va essayer de négocier avec ça, mais vous savez : ce n’est en fait qu’un témoignage écrit. Si votre témoin n’est pas à disposition pour confirmer, ou s’il se rétracte, on est Gros Jean comme devant.
— Pas tout à fait, le document contient des informations capitales ainsi que des noms importants.
Il ronchonne.
— Mouais, mais ça n’est pas de la tarte, vous le savez bien. Et ce qui complique les choses c’est que ce sac à vinasse de Bérurier s’est évadé de l’hôpital.
Je bondis.
— C’est sérieux, patron ?
— Comment ça, si c’est sérieux ! Vous m’avez déjà entendu plaisanter avec le travail, San-Antonio ?
— Racontez !
— Il a été opéré d’urgence. On lui a extrait la balle qui s’était logée sous son omoplate. Quatre heures après l’intervention, au beau milieu de la nuit, l’animal reprenait ses esprits, neutralisait l’infirmière ainsi que le policier chargé de surveiller le couloir et se débinait.
Le Dabe soupire et ajoute avec une pointe d’admiration au milieu de son mépris :
— Il faut le faire, hein ?
Un grand rayonnement de joie intérieure me transforme momentanément en ostensoir éclairé par un projecteur.
— Oui, il faut le faire ! reprends-je. Intervenez en sa faveur, monsieur le directeur, pour obtenir de nos confrères néerlandais qu’ils ne le flinguent pas comme un garenne s’ils l’aperçoivent.
— Vous en avez de bonnes, mon vieux ! Intervenir, intervenir, ils commencent à trouver que nous leur pompons l’air, les braves gens ! Nous allons faire les zouaves chez eux, et ensuite on leur demande de ne pas s’en formaliser !
Pour l’arracher à ses bougonnades, je lui raconte l’attentat auquel je viens d’échapper à l’hôtel.
— Dites, ils n’ont pas perdu de temps pour vous identifier et vous retrouver.
— Les sbires de feu Hans Bergens m’ont reconnu lorsque je les ai soporifiés.
— Prenez garde à vous, mon ami, vous devriez essayer de rentrer par la route, vous passeriez davantage inaperçu. Profitez de ce que l’on vous croit mort pour filer !