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— Telle n’est pas mon intention, patron. Je n’ai pas encore rempli ma mission. Vous m’avez demandé de revenir ici pour découvrir ce qu’ils attendaient de Bérurier, or cela nous l’ignorons toujours.

— Ce que vous avez appris est déjà important, déclare le Dabuche.

— Mais ne répond pas à votre question initiale, monsieur le directeur. Or je ne suis jamais rentré bredouille des safaris où vous m’avez envoyé.

Il soupire.

— Laissez tomber. J’annule cette mission : je ne la sens pas.

— Alors je vais la sentir pour vous, patron.

— Vous avez un plan d’action ?

— Parfaitement.

— Dites un peu.

— La fille dont j’ai obtenu la confession met en cause un haut personnage de l’Etat hollandais ; je vais rendre visite à cette personnalité.

— C’est se loger dans la gueule du loup, San-Antonio ! se récrie le boss.

— Elle constitue parfois un refuge, patron. Auparavant, je vais prendre mes précautions.

— A savoir ?

— Ce rendez-vous, c’est vous qui allez le solliciter pour moi.

Il en est soufflé, Pépère.

— En somme, vous me donnez des ordres ? résume-t-il.

— Non, monsieur le directeur, j’implore votre caution.

Il y a un nouveau silence.

— Vous êtes un drôle de corps, San-Antonio ; Mlle Zouzou me le faisait remarquer hier au soir et c’est une fille qui a de la jugeote, vous savez ! On ne la lui fait pas, à elle !

« Non, certes, me dis-je : on ne la lui fait pas ; par contre on le lui fait. »

— Alors c’est dit, vous faites le nécessaire tout de suite, n’est-ce pas ? Je me présenterai chez le personnage dans une heure. En attendant, je vais tenter de retrouver Bérurier.

Et je raccroche.

Avant de quitter ma cabine, je me mets à siffler Roses de Picardie. J’ai toujours un même air dans la tronche, des années durant. J’ai « fait » toute mon adolescence avec O sole mio. Ensuite, beaucoup plus tard, je me suis filé dans le cigare un succès de Sinatra dont j’ai oublié le titre, mais ça fait « Ti lali tala tala lalère », tu vois ce que je veux dire ? Depuis quelques mois, c’est Roses de Picardie. Me rappelle plus où je l’ai contracté. Le générique de l’Eté meurtrier, me semble-t-il. Ou bien une cassette de Montand… Mais à tout bout de champ ça serine en moi : « Souviens-toi, ça parlait de la Picardie et des roses qui naissent là-bas ».

Marrant, non ? A Amsterdam, plongé dans le chaudron d’huile bouillante d’une dangereuse affaire je siffle Roses de Picardie. Sans quitter la cabine alors qu’une vieille morue néerlandaise, poudrée blanc comme un verger de printemps, avec des mistifrisettes et un regard courroucé attend que je dégage pour appeler sa vieille amie Margret.

Béru en fuite ! Son Excellence en décapilotade jouant les outlaws dans une ville où, quelques jours auparavant, le chef du protocole venait l’accueillir à sa descente d’avion ! La vie est cocasse, moi je dis. Bourrée d’imprévus jusqu’à l’oigne.

Il ne sera pas retourné cette fois-ci chez la pute franchouillarde où il s’est fait ramasser. Alors ? L’ambassade de France ? Pas son genre d’aller quémander asile, l’artiste. Péquenot, donc fier.

Attends, je gamberge… Alexandre-Benoît, vous êtes avec moué ? Je me biche les tempes à deux mains, ferme les yeux. J’en sais pas suffisamment sur sa fuite, le Gros. On venait de l’opérer, il devait être en tenue d’hosto, et ses fringues civiles ne se trouvaient plus à sa portée. Alors…

La vieille dame aux frisures toque à ma vitre et me fait « Grrohoum gringggzzz », sa face pierrotte collée à la vitre. Un vrai fantôme, Milady ! Roncharde, la douairière. Je porte mes deux mains à ma braguette et souligne le renflement des bontés divines dont j’ai bénéficié. Offusquée, elle ouvre grand sa gueule sur un cri muet. Elle a la langue chargée comme un boat people.

Je chope l’annuaire du bigophone pour dénicher le numéro du consulat général de France. Au diable la varice, comme disait un spécialiste du système circulatoire, c’est le consul en personne que je demande. Ma qualité et mon grade font qu’il me « prend » immédiatement. Un homme très bien, dynamique, la voix jeune. Je lui expose mon problème. Ne quittez pas, commissaire. J’attends. Dehors, la vieillarde a rameuté des gens disponibles et me désigne à la vindicte publique. Peut-être que Je vais me faire lyncher en sortant, non ?

Le consul m’annonce que le « meurtrier » de l’armateur Bergens se trouvait à l’hôpital Schodpiz, bâtiment « C », second étage, salle des soins intensifs « Y L ».

Merci du renseignement.

Plus que trente minutes avant de me rendre chez l’homme en place que m’a balancé Elsi Van Tauzensher. Tant pis si je suis à la bourre. Béru d’abord !

Je franchis la porte peinte en un beau vert épinards dégueulés. Toujours avoir l’air déterminé quand on s’introduit dans ces lieux surveillés. Je vais d’un pas pressé à l’ascenseur, m’offre un billet pour le second étage. Le couloir, lui, est d’un vert cadavre plus velouté que celui de l’entrée, très large, avec un personnel affairé. On pousse des épaves sur des chariots. De mignonnes infirmières seulement vêtues de leur blouse (pas toujours boutonnée entièrement) trottinent silencieusement. Des toubibs compassés compassent, avec des assistants frétillants à leurs chausses. Je retapisse bien les lieux. Les chambres, le bureau des infirmières, la pharmacie, la tisanerie… La pièce des soins intensifs, marqué « Y L ». Il est parti de là, le Mammouth.

Je crois le voir, le torse bandé, cul nul, avec sa toison naturelle pour tout vêtement. Y a fallu qu’il s’arrache les aiguilles des veines, le gueux ! Increvable, pis que Raspoutine, mon pote ! La créature du cher docteur Frankenstein, né de la matière inerte et qui part en déambulance. Il a « neutralisé » l’infirmière dans un premier temps. C’est quoi « neutraliser » ? Ensuite, il s’est « occupé » du flic en faction dans le couloir. Il n’y avait donc personne en circulation à ce moment-là. Et après, il a comporté comment, mon gros larduche ? Toujours à poil, pansé, trébuchant sous l’effet de la douleur et des médicaments en vadrouille dans ses tuyaux. Tu l’imagines, longeant tout le couloir, descendant les deux étages, traversant le hall des entrées et passant devant le box d’accueil ? Impossible ! Alors il y a autre chose. Et moi, je devine d’un seul coup d’un seul la vraie vérité. « On l’a enlevé, Pépère. » Il a beau être un roc, voire un auroch, il ne lui était pas possible, quatre heures après une grosse intervention, d’accomplir tout ce circus.

Drogué à bloc, mal sorti des vapes, affaibli par une forte hémorragie, il n’a pu avoir raison du poulet chargé de le surveiller. King Kong, je veux bien, mais avec des limites. Et puis tu conçois qu’il ait pu se casser avec les pouces dans le prose, à défaut de poches ?

Ce que je regrette de ne pouvoir interroger le personnel ! Encore que ça ne m’avancerait pas à grand-chose, celui du jour n’ayant rien à voir avec celui de la nuit. Machination ! On a profité des effectifs réduits pour venir le ramasser, mon Jumbo, On l’aura évacué à l’aide d’un chariot par les sous-sols. Il suffisait d’avoir les témoignages d’une infirmière et d’un poulet. Fausse infirmière ? Faux poulet ? Probablement.

Rageur, je m’esbigne.

Je suis impuissant. Le morceau est trop gros pour mes quenottes françouaises. Ici, je suis paralysé.

Je fonce jusqu’à la file de bahuts stationnés devant l’hôpital. Jette l’adresse du personnage compromis par le témoignage de mam’zelle Elsi Van Tauzensher. Elle est brève : « Hôtel de Police ! » La Volvo s’effraye un passage à travers un flot dense de cyclistes. Ce qu’ils locomotionnent à deux-roues, les Pays-Bassistes ! Je veux bien que leur bled est nivelé comme un plat d’offrandes, ça n’empêche qu’ils chialent pas l’huile de genoux, les blondasses, souquant des cannes comme des galériens pour faire avancer leurs grosses bécanes noires sur les pavetons. Guidon à guidon, roue dans roue, ils constituent un immense et sombre peloton qui rappelle un peu le départ du Tour, au petit morninge des étapes peinardes.