— Pardonnez-moi, je ne lis pas encore le néerlandais, trouvé-je la force de répondre, je me promets de l’apprendre incessamment, de même que le braille et le sanscrit, mais pour l’instant il reste pour moi lettre morte.
Un homme de fer, Hieronymus Krül, qu’en comparaison, la mère Tate-chair est ramollie comme un vieux Tampax venant de faire sa période militaire. Il coiffe toutes les situasses et tous les mectons avec un brio hallucinant, le big boss. Pour l’empailler, faut être sorti de la faculté d’Enrire. Mais que s’est-il passé après que la mère Elsi m’eut signé confession ? Elle a pigé que, dorénavant, après un tel coup d’arnaque à ses potes, le monde deviendrait trop petit pour garantir sa santé. Alors, elle a essayé de faire face en allant s’affaler auprès d’eux comme quoi je l’avais martyrisée pour lui arracher des confidences. Les deux julots que j’ai envapés dans leur tire ont dû la décider à porter le pet. Une fois prévenu, Krül leur a fait signer une plainte pour voies de fait. Soyons objectifs : il me tient.
M’ayant repris le papier, il me le traduit brièvement. Incontestable, je l’ai dans le baigneur ! Peaufiné tout plein, le papelard. Avec un document pareil dans les pattoches, je pige mal qu’il ne m’enchriste pas illico, le gnard aux cheveux d’or. S’il renonce, c’est uniquement pour pas que soit livré au gros public mon papelard à moi ; car tu connais le vieil adage (pas confondre avec l’Adige cher aux amants de Vérone) ? Quand t’es traîné dans la merde, même si tu te disculpes, il en reste toujours quelque chose, ne serait-ce que l’odeur !
Hieronymus me laisse sonder la fosse septique d’un air sceptique.
— Compte tenu des bonnes relations que nous avons toujours entretenues avec la police française, reprend-il, je vais me contenter de vous faire expulser séance tenante.
Il décroche son biniou et néerlande deux trois trucs.
Le capitaine Fracasse revient, avec sa barrique de bière dans son pantalon et sa trogne de lèche-cul qui ne se rince jamais la bouche.
Nouvel échange dans ce bas patois pour pays situé au-dessous du niveau de la mer. Le capitaine opine, servile ganache ventrue.
— Venez ! m’enjoint-de-culasse-t-il.
Je le suis dévotement, sans prendre congé de l’horrible blondinet.
Dans ma boîte à rêves ça fermente tant si fortement que de la fumaga me sort des narines et p’t’être bien des oreilles aussi, sans parler de l’anus que je peux moins contrôler de par sa position.
Expulsé comme un malpropre ! Et Béru ? Et le mystère ? Je dois tout laisser quimper ?
Le capitaine Van Dhäl remue lourdement ses compas en direction de la sortie. On marche vers le parking de l’hôtel de police où des tires rutilantes sont alignées, bien fourbies par des pandores désœuvrés.
L’officier interpelle un chauffeur inactif. L’homme s’empresse.
— Montez ! m’ordonne le gros.
Je prends place dans une Saab (d’abordage) bleu marine. Le gros sac me rejoint et le malheureux véhicule se met à donner de la gîte.
On décarre aussi sec.
Les rues d’Amsterdam défilent. Des vitrines pimpantes, des quais romantiques, des façades du dix-septième cercle, tout ça. Et puis alors : vélos, bicyclettes, bécanes, vélos, vélos, à en prendre une indigestion de rayons.
Moi, je mate les roues noires en action.
Je pense :
« On m’expulse ! Je l’ai dans l’oigne. C’est fini pour le Gros, fini pour la vraie vérité ! Echec et tarte, l’Antonio ! Fabriqué guignol ! Pomme à l’huile rance ! Noix vomique ! La Hollande le pond comme un colombin. C’est un piteux, un chou paumé, un furoncle incisé ! Il appartient à la race des sous-merdes ! Finito, le bel Antoine ! Crêpe suzette, le langoureux.
J’éternue. Porte la main à ma fouille pour y chercher un mouchoir. Y découvre ma tabatière ancienne dans laquelle je trimbale toujours du poivre moulu. Faut pas croire, mais c’est pas fastoche de filer un nuage de poivre dans les prunelles de son voisin de bagnole. Si tu n’es pas ultra-paré pour la manœuvre, t’en écopes autant que ta victime. Reusement, j’ai potassé l’exercice à tête reposée, comme disait Louis XVI.
Tout va très vite. J’ouvre le couvercle de la tabatière dans ma fouille et dégage la petite boîte de mes profondeurs. Qu’en même temps, mon autre main se pose sur la poignée de la portière. On atteint un carrefour populeux. Notre chauffeur ralentit. Moi : tzouc ! tzouc ! Le poivre emplit les yeux couleur de rubis de mon mentor et la porte brusquement ouverte bée. Je me jette à l’extérieur sans refermer. Un cycliste m’emplâtre et choit. Je le dévélote d’une bourrade, acalifourchonne sa monture et m’attaque au record de l’heure, toujours détenu par Moser, je crois ?
En deux minutes je me trouve hors d’atteinte. La tire de police crée un bouchon spontané. M’en soucie peu.
Et même pas du tout.
La tête en avant, les épaules enveloppant mon buste, j’actionne le pédalier comme un enragé.
X
JE FAIS DU VÉLO, DU RODÉO, DES DÉCOUVERTES
Tout en fonçant à travers la circulation, je m’enrogne. « Tu viens de faire du joli, l’artiste ! Cette fois, te voilà homme traqué à ton tour. Après Béru, disparu de l’hosto, c’est à ta pomme de chiquer les outlaws. »
Voies de fait sur un capitaine de police, vol de bicyclette… Plus, bien sûr, le « dossier » explosif que brandit Hieronymus Krül, ce Machiavel aux cheveux d’or, s’il me repique, je suis assuré d’aller moisir dans les geôles néderlandaises.
Où vais-je ainsi, dressé sur mes pédales, comme le cher Roger Peyrefitte quand il fait la tournée des papotes ou la fouinée des tapettes ?
Je fuis.
L’homme en fuite est celui qui vit le plus parfaitement son présent puisqu’il conjugue toutes les forces vives de son individu à l’accomplissement de la seule chose désormais importante pour lui qui est « d’aller ailleurs ».
Donc, je vais ailleurs, le plus rapidement possible, compte tenu de mon mode de locomotion.
Et voici brusquement que ma vélocité vélocipédique est stoppée par un obstacle d’autant plus redoutable (de ping-pong) qu’il est mobile également et contondant : une bagnole. Pas le temps de piger, je suis à terre, à me ramoner la gueule sur le pavé d’Amsterdam. Sonné !
Ma perception est altérée par l’impact comme un ivrogne par de la morue mal dessalée. Je remue avec une gaucherie de crabe à la renverse. Quelqu’un me saisit la pince et me hale. J’ébroue, regarde. J’avise beaucoup de choses simultanément : une Volkswagen décapotable blanche dont je viens de défoncer l’aile avant gauche. Une femme blonde vêtue d’un pantalon gris et d’un blouson de daim noir. C’est elle qui tire sur ma main.
— Vous me faites mal ! geins-je.
— Vous êtes français ? demande-t-elle en français.
Elle a un accent délicieux. Charmante bonne femme : pas fardée, aux manières brusques, au regard décidé, presque insolent, à la voix autoritaire.
— Quelque chose de cassé ?
Je visionne le vélo qui ressemble à un sac de « 8 » majuscules qu’on viendrait de vider sur la chaussée.
— La bicyclette, ça oui, je crois.
Je me lève et essaie de remuer.
— Pour le reste, parlons seulement de meurtrissures.
— Vous avez la figure en sang. Je vais appeler un policier pour dresser un constat.
— Non, laissez, ça n’en vaut pas la peine, m’empressé-je.