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Je lui ai sobrement résumé ma vie professionnelle. Il n’a pas attendu la fin (provisoire) pour demander :

— Et ton copain, le gros lourdingue ?

— Vous allez le voir, j’ai rendez-vous avec lui.

— L’est devenu commissaire aussi ?

— Non : ministre.

— Tu m’en diras tant !

Ça l’épatait pas, Finfin. Rien ne pouvait l’émouvoir vraiment, hormis une mise en bouteilles ratée ou un contrôle fiscal. Il sortait jamais et je me demandais s’il lui était arrivé de franchir le seuil de son estanco depuis l’armistice.

Je le regarde se servir un ballon de rouge et se le téléphoner en priorité-presse, le coude remonté plus haut que l’oreille, le petit doigt pointé, le regard verrouillé pour cause d’extase. Sa lèvre inférieure parvient à emprisonner sa moustache pour l’essorer. Il clape de la menteuse et lave son glass dans le bac à plonge. Dans le fond, Gaston, ce ne serait-il pas cela, le bonheur ? Une vie close, réduite à l’excès ? Un petit job immobile, une ébriété endémique, le cul à portée de main… La vie vient à lui sous forme d’habitués et de fournisseurs. Il règne sur ses quarante mètres carrés d’empire, en potentat sûr de lui et dominateur. Troussées à la mère Rirette dont il aime l’opulence des formes, quelques caresses osées à Fleur de Misère, pour se mettre à jour les perversités ; du matin au soir, il picole son vin, la nuit il recompte sa recette et demain est un même jour ; surtout pas un autre, comme les cons se figurent. Un tout pareil, programmé à la minute, avec les mêmes sensations, les mêmes sons, les mêmes odeurs. Il se fout du temps, Finfin. Les saisons, c’est l’affaire des autres. Chez lui, y a pas de printemps et pas d’hiver non plus.

Ce qui me turlubite, c’est la raison qui a poussé M. le ministre à me filer le ranque dans un lieu si humble.

Nostalgie du passé ? Souci de discrétion ? Tôt, le matin, J’ai été réveillé par le brigadier Poilala, son factotum au ministère.

« — Commissaire, escusez si je vous demande pardon pour l’heure induse, c’est rapport à Bér… à môssieur le miniss qui vous demande de le retrouver à midi chez Finfin, aux Gobelins, pour une urgerie de la plus grande importance. Môssieur le miniss vient de m’appeler d’Amsterdam où qu’y l’a été pour la conférence internationale d’Interpoule. Y compte rigoureusement sur vot’ présence. »

J’attends. Ma tocante raconte midi vingt. J’attaque mon second Byrrh cassis. Une grosse vilaine mouche gavée arrive de la cuistance et vient me draguer. Je lui fais signe que je ne suis pas libre. Elle se rabat sur un peintre en bâtiment en train de claper la frigousse à Rirette, à la table du fond. A cet instant, pétarade dans la strasse. Deux motards gantés de blanc. Une CX noire… M. le ministre en descend. Il passe la tête dans le troquet, m’avise.

— Mouais, il est laguche, fait-il à son chauffeur ; faut reviendre me prendre dans une heure pile, compris ?

Et il s’apporte, le ventre pointé, soucieux, le front en accordéon, le regard déjanté, la lèvre lippeuse.

Le père Finfin veut se la ramener pour les gratulations d’usage, mais d’un geste l’Excellence le bloque à son rade.

— Pas d’infusions, Finfin, j’sus t’ici en coquelicot.

Il me presse la louche et prend place en face de moi. Son expression m’alarme. Je crois déceler des larmes au bord de ses cils et son menton tremble.

Je pose ma main sur la sienne.

— Ben, que t’arrive-t-il, Gros ? T’as l’air en pleine Berezina ?

— J’y suis, confirme-t-il.

Et il se prend le mufle dans ses grosses pattounes pour chialer en plein, sans retenue.

Jamais je ne l’ai vu pleurer de la sorte, mon gros patapouf ! Un chagrin d’enfant. Il hoquette.

Le père Finfin se rabat d’urgence avec un double Byrrh cassis.

— Allez, buvez-moi vite ça, m’sieur Bérurier.

Sa Majesté écarte les doigts, aperçoit le verre et le gloupe à travers son rideau de pleurs.

— Je vas vous en apporter un autre, décide Finfin, manière de vous remonter la pendule. Fleur de Misère ! Bon Dieu de bois, donne la carte à ces messieurs pour qu’ils vont pouvoir choisir entre l’andouillette panée et le boudin aux pommes.

Il emballe bien, Finfin. Ça crée la belle diversion souhaitable. Alexandre-Benoît s’ébroue et reprend du poil de la bête. Puisque Finfin est à dispose, on remplit notre bon de commande. Après la salade aux lardons, j’opte pour le boudin. Béru décide d’intercaler l’andouillette entre les deux. Après ce sera du saint-marcellin bien coulant et la poire au vin. Du beaujol-pif pour arroser le tout.

Finfin s’affaire. Fleur de Misère apporte des tranches de sauciflard. Elle sent un peu le rance et a une gueule de Toussaint, la pauvrette.

— Bon, tu racontes, Gros ?

M. le ministre ne s’offusque pas de ma familiarité.

— Tel que tu m’voyes, j’sus t’en pleine agonie ! dit-il.

Il rafle trois tranches de rosette qu’il enfourne manière de faciliter son élocution.

— J’sus été à la conférence…

— D’Interpol, je sais.

— Ma Berthe avait voulu viendre av’c moi en touriste, visiter la ville du temps qu’j’allais m’plumer à discutailler av’c c’paquet d’glandeurs. J’l’ai larguée en ville après y avoir noté l’adresse de l’hôtel dont auquel on logeait. La journée s’passe. Banquet, discours, jactances… Moi, je roupillais comme un bébé, vu qu’leurs techniques nouvelles, ces cons, c’que j’en ai à cirer, hein ? J’ai les miennes et tu les connais. Brèfle, l’soir je m’arrache enfin et m’v’là à l’hôtel. Pas de Berthy. A sa place, une bafouille et un album de photos. Voilà la lettre.

Il me déballe de sa fouille un rectangle de bristol chiffonné.

J’en prends connaissance.

Excellence,

N’attendez pas votre épouse, nous l’avons enlevée et elle ne se trouve déjà plus en territoire hollandais.

L’album ci-joint vous montrera qu’elle a du tempérament au cas où vous ne le sauriez pas.

Si vous n’acceptez pas de souscrire aux conditions que nous vous dicterons ultérieurement, un jeu de ces photos sera adressé à l’Élysée et à tous les grands quotidiens français et internationaux.

Ceci dans un premier temps.

Dans un second, votre charmante femme serait abattue.

Nous espérons ne pas être contraints d’en arriver là, c’est pourquoi nous comptons sur votre silence et votre coopération.

Nous prendrons contact avec vous sitôt que vous serez de retour en France.

Croyez, Excellence, à notre considération.

Mouvement Justice et Fraternité

Je tends le bristol à Bérurier, sans lui marquer mes sentiments.

— Tu t’rends compte ? murmure le Mastar. A quoi ça sert-il de parviendre aux places d’honneur si faut qu’on les paye si chérot ! Moi, veuf ! Tu juges ? Et pas veuf d’n’importe qui est-ce ! Veuf d’Berthe ! Une femme pareille ! Tiens ! Regarde comment t’est-ce qu’elle est belle !

Il puise dans un porte-documents de cuir noir un album de photos que je soupçonne être celui annoncé sur la missive.

Je l’ouvre et la sidérance me cloue.

Les photographies (en couleurs s’il vous plaît) constituent un rare documentaire sur la manière dont la Baleine s’envoie en l’air. La progression est savante. On part de son discret ensemble rose bonbon, puis en deux clichés on le lui voit ôté. La chose a dû aller bon train (si je puis dire) car nulle part on ne trouve trace de dessous : soutien-loloches, slip et encore moins combinaison. Voici Berthy à poil, pardon : à poils car Dieu sait (et moi maintenant) si elle en a ! Son académie est impressionnante. Imagine quatre sacs de farine, pour figurer seins et fesses, arrimés à un baril. Les pointes des loloches sont pareilles à des pommeaux de porte. La tripaille pendrait si elle n’était à ce point volumineuse mais sa surabondance donne l’illusion de la fermeté.