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Je m’octroie un croissant et deux gorgées de café. Mathias et Pinuche me contemplent dans la grisaille du matin défaillant. Depuis sa chambre, Béru sollicite de Carmen-Bérénice qu’elle lui pratique une bonne manière. Elle objecte que dans son état ce serait imprudent. Le Gros se fâche. Si elle refuse, qu’on aille lui chercher sa vraie bonne femme, cré bongu ! Elle est pas prostipute professionnelle, Berthy, mais jamais elle a rechigné sur une propose de cette nature. C’est de la femme toujours partante, tu cries « sésame » : elle s’ouvre. Tu lui demandes si elle en a déjà vu des comme ça, qu’aussitôt elle te saute sur le micro pour te faire une déclaration aux gonades mâles, la bougresse !

Bérénice finit par céder. C’est à ses rixes et puérils, Alexandre-Benoît. Elle décline les conséquences, la gagneuse. Puisqu’elle assure un intérim conjugal, souate ! Mais faudra pas, ensuite, s’il tourne pâle, le Gros, qu’on vienne la chicaner sur sa responsabilité engagée dans l’affaire. Ah ! mais que non ! Elle veut bien tout ce qu’on veut : se déguiser en mégère, poireauter dans cet appartement qui fouette le zoo surpeuplé, coexister avec des flics et des truands enchaînés aux radiateurs, tailler des calumets sur demande, faire le ménage, seulement qu’on lui garantisse qu’elle participera pas aux retombées fatales. C’est la moindre des choses, non ?

Bérurier s’impatiente. Il grogne comme quoi, dis, la mère, si tu gueules que c’soye au moins la bouche pleine. Alors bon, elle va chipolater l’ancien ministre. Au bout d’un instant, un clapotis berceur évoquant un bruit de rames, le soir, sur les bords de Loire (Raboliot) nous avertit que Sa Majesté a eu gain de cause à effets. On l’entend même qui dit, la voix gentiment voilée :

— Poilala, mon petit, si tu voudrais profiter d’ce que maâme se tient à genouxe su’l’pucier pour lui pratiquer une petite calçade levrette, en camarade, gêne-toi pas quand t’est-ce y en a pour un, y en a pour deux !

— Vous croyez qu’j’ose, m’sieur l’ministre ?

Nous trois autres, dans notre cuisine, on s’efforce de ne pas se laisser distraire par les festivités du Parc aux Cerfs.

Alors je continue mon capitulatif :

— Je conseille à Béru de désarmorcer le coup en démissionnant d’urgence. Il le fait. Pendant ce temps, Bergens a fait embarquer la Vachasse sur un de ses nombreux barlus et l’a offerte en prime à l’équipage. L’exploit est filmé. Des copies sont expédiées aux principaux journaux de France. Pourquoi ?

— Vengeance ! assure Pinaud. Alexandre-Benoît leur a coupé l’herbe sous le pied en abandonnant son poste, donc en devenant incapable de souscrire à leurs exigences et ça ils le lui font payer.

J’émets une mimique de doute.

— C’est aussi ton avis, Rouillé ?

— Hypothèse valable, commissaire, admet l’Incendié.

— En attendant, c’est pas ton avis qui va faire avancer le schmilblick, hargné-je, car on est injuste dans l’impuissance.

Il ne rougit pas, à l’impossible nul n’étant tenu, par contre, ses narines se pincent sous l’effet de la vexance.

Moi, monstrueux d’indifférence, de poursuivre :

— Krül fait revenir Béru à Amsterdam, l’utilise comme bouc émissaire dans la liquidation de son associé ; mais le fameux commissaire Sang en Tonneaux se pointe et fout la merde. Il bouleverse le jeu, s’empare de plusieurs personnages de la bande et parvient à les amener à Paris. Son chef désavoue odieusement cette action et le pauvre cher valeureux San-Antonio, que le Seigneur ne protégera jamais suffisamment, est obligé de séquestrer les forbans chez Béru avec la complicité d’une poignée de fidèles, en se demandant bien ce qu’il va en foutre. Fin de l’histoire.

Mathias réagit :

— Il reste un épisode en devenir qui, sans doute, apportera une explication à vos questions sans réponse, commissaire.

— Tu veux parier de l’inauguration de cet après-midi à laquelle est conviée Carmen-Bérénice ?

Mathias hoche le chef.

— Ce n’est pas Bérénice qui est invitée mais Mme Alexandre-Benoît Bérurier, ne l’oublions pas !

— Qu’est-ce que ça change ?

— Tout ! répond le Surdoué.

— Je jouis ! annonce le brigadier Poilala depuis l’alcôve.

Grand bien lui fasse !

Elle est ineffable, Bérénécide en grande tenue d’inaugurance. Comme ineffable se traduit par « ne peut être exprimé avec des mots » ou quelque chose comme ça, je renonce. Sache seulement qu’elle a abondamment puisé dans la garde-robe de la Bérurière (rénovée depuis que son gros peigne été promu minisse). Elle y a dégauchi une robe imprimée fort discrète, que ça représente des nénuphars blancs et leurs feuilles vertes sur fond bleu de nuit. Un boléro qui n’est pas de Ravel mais de Révillon, fait de deux malheureux renards occis parce qu’ils avaient le malheur d’être argentés, complète sa mise. Sac d’Hermès, plize ! Frisures exécutées par Alfred, le coiffeur attitré de Berthe. Elle en jette, la radeuse de la rue Saint-Martin (priez pour elle). La pimpante pompeuse se présente devant l’enceinte faite de palissades entremêlées de ruban tricolore. Des hôtesses à jabot accueillent des notables à bajoues. Gardes républicains. La presse, la tévé, les radios. On attend le Monarque. Mais les invités sont priés de gagner le second laitage où une décollation sera servie ainsi qu’un devin d’honneur. L’ascenseur ne chôme pas.

Mathias m’adresse un petit cygne et engouffre à son tour après avoir produit le laissez-passer en bonnet difforme que je lui ai obtenu grâce à la parfaite coopération de l’Elysée. Notre commando se scinde en trois éléments : Mathias qui grimpe avec les officiels pour « couvrir » la fausse Bérurière, Pinuche qui attend au volant d’une tire stationnée en bordure du Champ-de-Mars (en Carême) et moi, au pied de la tour, qui observe et centralise. L’astucieux Rouquin nous a dotés tous trois d’un système de liaison radio parfaitement camouflé dans le nœud de notre cravate. Chacun peut chuchoter bas et être sûr d’être reçu par les deux autres, grâce au récepteur logé dans les branches de nos lunettes. J’ai hésité avant de renoncer à grimper. Ce qui a déterminé mon choix, c’est que je finis par être un peu trop connu de la bande à Hieronymus Krül et que si certains de ses membres manigancent un coup fourré, là-haut, ils risqueraient de me retapisser d’emblée.

Mais ce que je me sens nerveux ! Je vais, viens, m’éloigne du pôle d’attraction pour m’y rabattre au bout d’un moment ; le cœur au ralenti, l’œil partout, les nerfs aiguisés comme des rasoirs de justiciers arabes, je me dis qu’il va se passer quelque chose. Je le prévois, le sens et, qui sait, le veux !

Les voitures officielles affluent. Des gardes gantés de blanc les font se ranger sur un parking improvisé au pied du tas de ferraille le plus célèbre du monde. Et puis v’là des motards qui précèdent la calèche présidentielle. L’auguste véhicule stoppe devant l’entrée. Napoléon V en descend, nu-tête, ivoirin, élégant avec son pardingue poil de camel et son cache-nez tricoté par sa grande-tante des Landes. Il a le sourire coagulé, le rictus bien égoutté, l’œil de verre, l’avant-bras droit à 45 degrés pour les effusions d’arrivée. Son chef du protocole lui présente les responsables de la septième chaîne : M. Césario Tuticanti, M. Paolo Torticoli, etc. L’Empereur serre des louches, ça ne mange pas de main. Il conserve un coin de lèvres débloqué pour laisser filtrer les brefs compliments inoubliables qui donnent aux heureux bénéficiaires l’envie de courir se masturber dans les chiottes après pareille distinction.