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Le Monarque se dirige alors vers l’ascenseur au sein d’une grappe de gorilles. Il s’élève, pour le ravissement général, pareil aux chers frères Montgolfier, et l’on distingue, à travers l’entrecroisement de poutrelles sans cesse repeintes, la tache blême du beau visage. Féerique ! D’art !

« J’aurais dû monter, me dis-je, de plus en plus angoissé. Maintenant il est trop tard. Faudrait que je rameute la coterie pour qu’on me laisse grimper à mon tour. »

En bas, la foule s’écarte, n’ayant plus rien à voir. D’instinct, elle se recule pour tenter d’apercevoir l’arrivée du président, tout là-haut, sur la seconde plate-forme où ce vrai faucon va se percher et bénir les nouvelles antennes dispensatrices de guimauve et autres cataplasmes de connerie.

Instant solennel. Très vite, l’esplanade est dégagée. Ne subsistent autour de la barrière pavoisée que le service d’ordre et des chauffeurs de guimbardes officielles. Rien de plus con qu’une inauguration ; rien de plus vain, de plus triste : un cortège de gens « en place » et des pégreleux à la colonne vertébrale souple comme une cravache qui s’efforcent de le serrer du plus près.

La paix soit avec eux, chers nœuds volants toujours affamés de glorioles. Qu’ils mouillent plein leurs hardes, les gentils crevards ! Prier pour eux ? Marre à la fin. On s’y use l’âme et ce qui vous subsiste de foi. Alors, halte, pas de ça Louisette ! Je veux conserver pour moi ce qui me reste, vais en avoir besoin bientôt. Quoi de plus sinistre que le doute ? Et voilà qu’on acharne à implorer un doute. C’est cela, la foi, mon ami : prier un doute pour qu’il te protège des réalités.

A force de torticoler, je prends mal à la nuque, fatal. Me masse le bulbe et sa tige.

L’esplanade est très éclaircie. Et alors, mon bon monsieur, me choit le cadeau du ciel. Je l’aperçois, adossé un arbre. Un hasard ? Non. S’agit-il de qui je crois ? Ma conviction est formelle. L’instinct, tu connais, Firmin ?

Donc adossé à un platane ou un marronnier (le sais-je, j’ai pas le temps de lui ouvrir la braguette, à cet arbre, pour en déterminer l’essence) il y a un Asiatique, grand, bien mis, avec des lunettes cerclées d’or. Il tient un attaché-case de croco à la main.

S’agit-il du personnage qui a rendu visite à Bérénice pour lui remettre le carton d’invitation ?

Je suis prêt à en mettre ma main dans ta culotte, chérie, si toutefois il y a suffisamment de place pour l’héberger. L’homme concorde totalement avec la description que m’en a faite la fausse Bérurière. Il regarde vers les hauteurs. Il paraît attendre.

Je bitougne ma phonie :

— Allô, Mathias ?

Un léger graillonnement, puis l’organe du Rouquin :

— J’écoute.

— Comment ça se passe, là-haut ?

— On en est aux poignées de main.

— La mère Bourremiche ?

— Intimidée, elle regarde de tous ses yeux, comme un môme à Guignol.

— Quelqu’un semble-t-il s’occuper d’elle ?

— Non.

— Regarde de plus près…

Un temps… Je décèle une rumeur salonnarde dans mon récepteur avec, en surimpression, la respiration de Mathias :

— Non, commissaire, personne ne lui prête attention.

— O.K. ! Ouvre l’œil !

Là-bas, l’Asiatique se décolle de son arbre.

Il s’éloigne en direction de la Seine. Il marche avec souplesse, sans balancer sa mallette. Je le suis à distance. Je sens qu’il prépare quelque chose. Quoi ? Et d’abord, que peut-il préparer ? Les officiels simagréent à deux cents mètres de haut. Lui, il est sur le Champ-de-Mars, piéton inoffensif. Seul. Il s’arrête au feu, attend le vert, traverse sagement la large chaussée entre les clous pour gagner le quai. Parvenu sur celui-ci, il néglige le pont et marche le long du parapet. De temps à autre il se retourne histoire de regarder la tour, comme s’il formulait une évaluation. Quelques pas encore. Nouveau regard vers l’immense presse-papiers de fer. Il décide de s’arrêter et dépose son attaché-case sur le parapet ! Il l’ouvre et se penche dessus.

Je presse le pas. M’entendant survenir, l’Asiatique se redresse et rabat presto le couvercle de l’attaché-case. Je passe près de lui sans le regarder, et puis, quelque diable me poussant, je décris une foudroyante volte-face et flanque une bourrade à l’homme. Surpris par mon attaque, il choit. Je relève le couvercle de son machin chose et ce que j’aperçois me fait frissonner.

Des cadrans, des boutons moletés, des voyants lumineux. Cet attaché-case est un poste de déclenchement volant. L’homme allait-il faire sauter la tour Eiffel ?

Pas le temps de méditer plus avant car il réagit sec. Sans se relever, le Chinois vert ! Un saut de carpe et je prends ses deux talons dans les frangines !

Haeurrrrkkk ! Une formidable douleur accompagnée d’un incoercible besoin de dégobiller me dévaste instantanément. Le gars est déjà debout après une nouvelle cabriole. Il me balance une manchette sur la pomme d’Adam ! Ce qu’il y tâte, l’Annamite phalloïde ! J’asphyxie carrément. Ma poitrine enfle, se gonfle de flammes ardentes. J’ai mal partout, je suis naze, je suis out, plus bon à nibe. Je voudrais rentrer chez moi : retrouver maman, mon Dubonnet, apprendre la broderie et aussi à confectionner de la confiture de marrons dont je raffole. Je suis totalement anesthésié. Incapable de broncher ; tout mon être cherchant désespérément une goulée d’oxygène. Les couilles en feu ! Elles vont devenir bleues comme des figues mûres, les pauvrettes ! Et gonfler encore, je gage. Pour les transporter, me faudra une brouette.

L’Asiate, lui, c’est calme et précision. Il sait que je suis hors circuit pour un moment. Posément, il déploie une antenne télescopique logée dans le couvercle de son attaché-case, en braque la pointe en direction de la tour.

Je veux gueuler que non fais pas ça ! Ça râle feu de forge en moi. Mais aucun son articulé. Un projet de crachat tout au plus.

Sur le quai la circulation continue indifférente. C’est plein de tutures pressées qui s’entrombent à qui mieux mieux. Peu de passants, sauf de l’autre côté de la chaussée, par-delà la guirlande de bagnoles.

Le Chinois, je le regarde manipuler, ne puis m’empêcher d’admirer sa parfaite maîtrise. Un chirurgien opérant dans le délicat. Il fait comme s’il était seul dans un laboratoire. Vérifie des trucs, ou plus exactement des bidules (je cherchais le mot, pardonne-moi). Il semble sûr de lui. Et moi, un vrai naveton ! Me suis laissé estourbir recta, écrabouiller comme un cafard. A dégager, le bouillant commissaire ! Une loque ! Une lope !

L’homme procède à un ultime réglage. Ensuite il avance son index sur une grosse touche rouge qui éclabousse au milieu de toute cette grisaille technique d’acier sophistiqué.

Non ! Empêcher absolument ce geste fatal ! Oh ! oui, fatal, je le sens intensément. Ça y est, il a le doigt dessus. La touche s’enfonce. L’homme regarde en direction de la tour Eiffel. Lui aussi, lui surtout s’attend à un badaboum monstre. Mais rien ne se produit. Je le vois, à travers mon brouillard de souffrance, qui se crispe. Ha, ha ! y a un os ! Une couille ? Il fébrilise à présent. Bye-bye son impassibilité, sa froideur. Mister Lajaunisse tripatouille ses bitougnets pour une nouvelle mise au point, s’assure que l’antenne est bien connectée ; rappuie sur la touche ! C’est lui qui y reste, sur la touche ! C’est râpé !