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— Tu l’as dans le cul, Tchang ? je tente d’ironiser.

Ce qui subsiste de mon intention de phrase ressemble à un gargarisme qu’on crache. Le Chinois rabat presto son couvercle et détale.

Je fais un effort surhumain pour brancher mon talkie.

— Pinaud ? râlé-je.

— Présent ! Qu’as-tu, Antoine, tu parles bizarrement ?

— Regarde sur le pont, un Chinois court en direction du Trocadéro, rattrape-le, neutralise-le par tous les moyens ! Vite ! Je te dis : tous les moyens !

Le reste, je sais pas. Je suis au bord de la fosse à pommes. L’esprit qui dodeline. Je glisse à genoux et me mets à gerber. Ma vue est rouge, ma poitrine en éruption.

— Vous êtes malade, monsieur ? demande une voix.

J’aperçois une petite vieillarde biscornue (tu parles d’une scoliose, Berlioz !) qui promène un loulou de paumé ravi.

En guise de réponse, je balance une nouvelle fusée à base de croissants mal assimilés.

— Voulez-vous que je prévienne la police ?

— Occupez-vous de votre clébard, madame Michu ! je lui riposte entre deux spasmes.

Elle s’éloigne en maugréant des maudissures.

DEUXIÈME PARTIE

AUTANT EN RAPPORTE

LE VENTRE

XIII

L’ATTENTAT DU SIÈCLE

La radeuse est fringuée d’un péplum taillé dans un filet de pêche à grosses mailles. Juste un slip noir en dessous, moins grand qu’une carte de vœux. L’air acide de la rue Saint-Martin lui mord les meules, les bleuissant vilainement.

Elle me regarde survenir, intriguée par ma démarche en chasse-neige, pieds écartés because mes testicules endoloris. Me prend pour un micheton et, se référant à mon costard bien coupé, s’apprête à m’engourdir un max.

— Salut, ma mignonne, lui balancé-je, t’as pas aperçu la grosse qui remplace Carmen ?

— Elle est en passe, grommelle l’aimable femme. J’sais pas ce qu’elle a pour dérouiller de la sorte, mais ça fait la queue devant sa boutique.

Elle me désigne deux pèlerins faussement innocents qui regardent la devanture d’une épicerie orientale.

— Ces deux pommes, c’est pour elle ; elle est en train d’essorer un veuf d’au moins soixante-dix balais !

— Je vais l’attendre, soupiré-je.

— Tu sais qu’avec moi, mon loup, tu perdrais pas au change, je peux te pratiquer tout le catalogue, même l’œil de bronze si ça te chante ; je suis pour la franche régalade du clille, moi !

J’ai dans l’idée que Berthy crée un drôle de manque à gagner chez ces dames de la rue ; elles envisagent de baisser leurs prix pour lutter contre la concurrence, de consentir des « passes en promotion », d’établir des tarifs réduits, d’instituer des tickets-primes.

— Tu es très aimable, ma chérie, mais c’est pas pour la brosser que je viens rambiner la Grosse ; on a des affaires ensemble…

— T’aimerais pas une petite feuille de rose en l’attendant ?

— J’aurais peur de la rater, et puis, pour l’instant je ne suis pas opérationnel ayant morflé un coup de saton dans les bas morcifs.

Résignée, elle renonce. On se met à jacter de ceci cela : la politique, l’insécurité, la vie chère, ces cons de la mairie qui voudraient faire déménager les putes du quartier. Qu’au bout d’un temps de parlotes, voilà Berthe qui sort enfin de son immeuble, toujours salace dans sa jupette de cuir noir, son soutien-loloches froufrouneux, ses bottes montantes, son fouet de postillon et son immense peigne scintillant dans les cheveux, tout pareil au phare de Guénolé, la nuit. O combien de marins…

— Antoine ! exclame la nouvelle reine de la rue Saint-Martin en m’apercevant. Comment est-ce que vous allez-t-il ?

Le petit veuf annoncé à l’extérieur prend la fuite en rasant gratuitement les murs.

— Votre temps de pénitence est terminé, chère Berthe, vous allez pouvoir rentrer au bercail, je lui annonce gaiement.

Elle rembrunit chouchouïe.

— Dommage, je m’y f’sais. J’sus t’une personne de grand contact, moi, comprenez-vous-t-il, Antoine ? On voit des têtes nouvelles sans arrêt, c’t’intéressant.

— Des têtes de nœud ? souris-je.

Elle m’aboie un grand rire dépeceur.

— Vous avez toujours l’humour à portée, Antoine !

— Allons-y, ma tendre amie, invité-je en lui désignant ma Maserati stoppée à quelques encablures.

Ma belle hétaïre hésite.

— Vous n’voudrez pas que j’épongeasse en vitesse ces deux messieurs dont j’aperçois, devant l’épicerie, avant de quitter ? Y viennent tous les jours pour moi, des gentlemants très bien, très portés.

— Prenez leur adresse, vous leur écrirez, mais nous sommes pressés.

La Baleine soupire à travers ses fanons, adresse une mimique de profond regret à ses deux clients potentiels et consent à me suivre.

La voici qui se détend une fois dans ma voiture.

— C’est un enlevage ! roucoule-t-elle. Vous m’emmenez où est-ce, Antoine, à la maison ?

— Auparavant, nous allons rendre visite à un gynéco de mes amis pour un petit contrôle, chère amie. Après ces quelques jours de remplacement, il est bon de prendre certaines précautions.

— Vous croilliez, Antoine ? J’ai toujours grimpé des gens bien, vous savez ; dont auxquels je f’sais prend’ des précautions. Ces choses du cul, quand elles s’passent ent’ gens du monde, y a jamais de problème.

On sonne.

Fort !

Beethoven sonnerait, il carillonnerait pas avec plus de vigueur. Y a de la véhémence dans ce cigognage du timbre. Une impatience forcenée, de la colère sous-jacente.

Poilala va délourder. Je m’attends à un bonjour, à n’importe quoi de poli, voire d’accueillant, mais fume : silence !

Je m’apprête à aller aux renseignements dans le vestibule lorsqu’on vient à nous.

Et tu sais quoi ? Tu sais qui ?

Tu insistes ? Il faut vraiment tout te dire ?

Le Vieux ! En personne ! Elégant et sombre ! Le regard plus transparent que du cristal d’auroch.

Pas seul. Un type patibulaire l’escorte en qui je reconnais le capitaine Van Dhäl, le collaborateur, et probablement le complice de Hieronymus Krül, celui-là même à qui j’ai faussé compagnie lorsqu’il « m’expulsait » de Hollande.

Oui, ils s’avancent, massifs, terribles. Le Dabe surtout. Les voici qui pénètrent dans la pièce où gisent, enchaînés, les quatre malfrats néerlandais. Ils regardent. Se regardent. Me regardent. Le Big est très pâle, comme le marbre d’une poissonnerie.

— Je le savais ! finit-il par articuler. Je le sentais ! J’en étais sûr.

Ceci n’est que le préambule, l’introduction au vrai discours qui va suivre.

Et que voilà :

— Vous n’êtes qu’un misérable, San-Antonio ! Un renégat. Me faire ça, vous ! A moi ! Enfreindre mes ordres à un tel point ! S’en gausser ! Prendre leur contre-pied ! Tout est consommé entre nous. Depuis deux minutes vous ne faites plus partie de la police ! Radié à vie. La geôle ! Je témoignerai aux assises contre vous ! Je choisirai un bon avocat pour me porter partie civile au nom du gouvernement français que vous aurez bafoué ignominieusement. Association de malfaiteurs. Où est le téléphone ? Vous êtes en état d’arrestation, tous. Association de malfaiteurs ! Vingt ans pour Pinaud qui arrive au bout du rouleau, et perpète pour les autres, j’y veillerai, j’ai le bras long. Et si perpète ne suffit pas, il y aura des rallonges !

« Pas de pardon, aucun, jamais ! Qu’est-ce que je voulais dire encore ? Oh ! oui : je vous maudis ! Vous ne saviez pas que je vous maudissais, commissaire ? Eh bien ! voilà qui est fait ! Vous êtes radié de ma vie. Je vous biffe de mon passé. Vous oublierai sitôt le verdict prononcé. Ferai désinfecter votre bureau. Ou plutôt abattre. Raser ! A la place on y fera une salle de projection. Ou autre chose, je verrai. Une chapelle, peut-être, car c’est vrai, ça, il n’y a pas de chapelle ici. Un flic veut se recueillir, prier un bout, il doit aller jusqu’à Notre-Dame qui est toujours emplie de Japonais ahuris ou de ministres hollandais. Je vous demande pardon, capitaine Van Dhäl. Allez donc vous recueillir dans une cathédrale où crépitent des flashes ! Je hais les touristes, les assimile à des prédateurs, tous les touristes, à l’exception des touristes hollandais, capitaine Van Dhäl, je vous le dis tel que je le pense.