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Il ramène l’album à soi, l’ouvre à une page révélatrice et contemple.

— N’a-t-elle jamais été tentée de s’épiler ? demande cet homme courtois.

— Il n’eusse pas fallu qu’elle s’y risquâte, m’sieur le président, riposte Béru. Je l’ai mariée biscotte sa toison noire, ’maginez-vous. Le poil me porte aux sens, c’est bestialiste. Si j’vous disais, la seule unique fois qu’j’ai pas pu m’embourber une polka, c’est parce qu’étant jobastre et s’étant rasé le tablier. Moi, une moule chauve, ça m’la coupe ! V’s’allez pas m’dire, président, qu’une chaglatte comme celle à Berthe ça vous manigance pas l’sensoriel ! V’s’avez noté c’te p’louse ? Ell’ lu part d’puis le nombril du ventre jusqu’à plus bas qu’les jambons ! Vous parlez d’un régal ! Quand v’s’y faites minette, v’s’avez l’impression d’embrasser notre pauv’ cher Hernu su’ la bouche ! Si jamais on peut récupérer c’te mignonne, j’vous montrerai son frifri ent’ quat’ z’yeux, là vous vous rendrez vraiment compte, car une photo, c’t’une photo, on peut pas toucher, ça reste lisse. Ma Berthe, lorsque vous baladez vot’pogne dans sa fourragère, vous vous prenez pour Rambo dans la jungle chez les Niacouets : ça s’referme su’ vot’ passage. Y a des poils, quand l’temps veut changer et qui frisent féroce, j’sus t’obligé d’ m’effrayer le chemin av’c des ciseaux pour qu’m’sieur Bigbraque pusse aller folâtrer dans ses marigots, qu’autrement sinon, mon copain Zidor s’rait tout meurtri. C’est pas à vous qu’ j’vais apprendre la chose, mais un poil d’cul, c’est traître, m’sieur l’président. Déjà, quand v’s’en avez un dans la bouche vous v’là salement handicapé. V’s’avez-t-il déjà prononcé un d’vos discours av’c un poil ent’ les dents, président ? Vous qu’avez les chailles écartées, ça d’vait vous arriver plus souvent qu’à vot’ tour. Une p’tit’ broutance, vous, denté d’la sorte, c’est kif d’râteler les foins. Dites-moi pas l’contraire, je vous croirerais pas. T’nez, j’me rappelle d’une fois, vous causiez à la téloche. C’tait avant qu’vous fussiez président, président, en causant, j’remarquai qu’vous vous suciez les ratiches. J’m’ai dit : « C’t’homme-là, il a un poil d’cul qui l’taquine et y n’arrive point à l’recracher. »

Le président sourit nostalgiquement.

— Vous m’amusez, Bérurier ; je crois que je vous regretterai, et cependant je ne regrette jamais grand monde.

Il presse un timbre. Un secrétaire surgit.

— Demandez à Bajazet de venir me voir ! fait le Monarque.

Presque tout de suite, son conseiller à la Cour des Cons se présente. Je te l’ai déjà évoqué dans mon précédent, j’y reviens pas, t’as qu’à tous me les lire ; je les écris bien, moi !

Je te rappelle simplement que ce mec, c’est un intellectuel pur fruit. L’esprit en marche. Un cerveau dans un corps humain. Tu dis rien : il pense pour toi.

Il nous sourit chétif, trouvant superflue cette dépense d’énergie. Ce gonzier, les choses matérielles l’encombrent. La bouffe, la baise, la dorme sont autant de contraintes qui le perturbent. Avant de devenir oracle d’Etat, il s’emmerdait dans des activités collectives. A présent, et pour une durée supposée septénaire, il est assis dans un bureau et il pense tout son soûl. Libre penseur, quoi. De temps à autre, le président l’appelle pour lui demander un coup de méninges. Bajazet le donne et retourne penser. A midi, on lui monte une assiette garnie qu’il ne pense pas toujours à consommer, car il pense trop pour penser à s’alimenter. Absent par surméditation ! Il n’est pas parce qu’il pense, lui, tu comprends ? Le contraire de nous autres qui faisons avec la matière grise du bord.

Bon, alors voilà Bajazet.

Le président se tourne vers moi.

— Résumez brièvement la situation sans indiquer toutefois vos conclusions personnelles, commissaire.

Etant de nature suicidaire, je m’exécute.

Grande éconocroque de mots. Je raconte à la corde.

Rien de plus duraille que d’aller à l’essentiel et d’y rester.

Bon : le voyage du Gros à Interpol Amsterdam. Sa rombière qui insiste pour l’accompagner. Quelqu’un la drague, probablement, l’embarque en partouze, puis elle est kidnappée. Et voici le message et l’album qui en consécutent.

Bajazet a reniflé deux fois pour m’indiquer qu’il suivait. Un regard à la bafouille. Il feuillette rapidement l’album sans s’y attarder, indifférent au cul velu de Berthe et au membre gulliverien d’un des deux protagonistes mâles.

De l’index, il plaque ses lunettes rondes au sommet de l’arête de son nez. Ses yeux sont vagues derrière les gros verres. Tu dirais deux poissons des mers chaudes intrigués par les hublots d’un bathyscaphe.

— Quelle tactique adopter devant une telle situation, Bajazet ? demande le président en se tapotant les dents du bout des ongles.

— Révocation immédiate de M. le ministre, déclare Bajazet de sa voix douce et calme. Ensuite, M. l’ex-ministre entre dans une maison de repos pour quelques jours, de manière à être inatteignable. Vous, monsieur le président, vous faites une déclaration aux médias pour dire que votre ministre n’a commis aucune faute professionnelle, mais que certaine personne de son entourage a un comportement incompatible avec ses fonctions. C’est tout. Du très sec et très bref ! On sent votre courroux ! Vous êtes horrifié !

Le silence revient.

— Mais, et mon honneur ? balbutie le Mammouth.

Impitoyable, Bajazet pose la main sur l’album, comme sur une bible pour prêter serment.

— Il est enterré là, monsieur le ministre ! fait-il doucement.

Je me risque :

— J’avais pensé que la démission de Bérurier…

— Insuffisante, trop cool, mon cher commissaire. Une démission, c’est une compromission, du bricolage. Seule la destitution sera efficace.

Le président lisse ses cheveux sur ses tempes inestimables. Bajazet réfléchit déjà à autre chose. J’aime bien ce type, je devine en lui un univers que je souhaiterais visiter.

— Merci, Bajazet, murmure le Tout Grand.

L’autre nous moule après une inclination du chef.

— Si vous me permettez, monsieur le président, attaqué-je, je vous fais observer que Bérurier est venu vous révéler spontanément l’affaire. Il aurait pu attendre, louvoyer avec ces gens, essayer de se tirer sans trop de casse de ce guet-apens.

— J’apprécie, déclare l’Empereur. Cela prouve que je sais m’entourer de gens courageux et entièrement dévoués.

— Son attitude vaut bien que vous lui accordiez de démissionner, monsieur le président. Le point de vue de M. Bajazet me paraît par trop clinique et ne tient pas compte du facteur humain.

Il opine.

— Peut-être, mais la raison d’Etat, commissaire ? Hmm ? La raison d’Etat, qu’en faites-vous ?

Lors, j’assiste à une scène très belle, qui mériterait d’être enregistrée pour la postérité, sans vouloir faire l’apologie de l’éphémère.

Bérurier, enfin pâle (c’est la première fois), se dresse.

— Mon président, fait-il, j’vous remercille d’la confiance dont vous m’avez accordée en me nommant miniss. J’aurai fait mon boulot du mieux qu’j’ai pu. Y s’produit un couac de par ma chère femme, souate, je lui subis les conséquences ; mais faut pas pousser Berthe dans les orties. J’ai venu ici v’s’apporter ma démission, pointe à la ligne. Qu’vous m’débarquiez après n’rime plus à rien. J’ai déjà démissionné. Y a un témoin : l’v’là. Commissaire Santantonio, siouplaît. Officier de police assermenté dont auquel la réputation n’est pas à r’faire. Sana, j’doute pas d’ton intégralité, mon grand. T’es bel et bien témoin, raison d’Etat ou pas, que j’ai donné ma démission ?