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— Eh bien ? insisté-je.

— Je reconnais ce type, dit-elle.

L’intéressé vient de disparaître dans l’impasse. On bombe à présent dans la rampe qui quitte Abidjan pour grimper vers le magnifique Hôtel Ivoire. La pluie a cessé instantanément, et le temps de compter jusqu’à un virgule quatre, v’là le soleil qui reprend ses droits.

— Qui est-ce ?

Elle réfléchit.

M’adresse un signe impatient pour m’intimer de me taire, pas brouiller la combinaison de ses réflexions.

— Me souviens plus, finit-elle par s’avouer vaincue. Mais je trouverai.

* * *

Histoire de rendre son sourire au conducteur, je lui file un pourliche équivalent à deux fois le montant de sa course.

Mais si tu crois qu’il va me tailler une pipe pour me revaloir pareille largesse, tu te goures !

— T’as pas du dollar ou du franc suisse ? il demande, sourcils joints par le mécontentement.

— Non, mon grand, pardonne-moi.

— Tu devrais : le franc français, c’est juste de la merde.

M’ayant donné ce cours express d’économie, il ajoute en me désignant le palace :

— Chez mon copain, tu peux y aller avec des francs français, là, non !

EN CHASSE !

Nos chambres sont contiguës et donnent sur le même balcon. La ville s’étale, en éventail et en contrebas, car elle est à double position, et puis on a la mer, le port, une vision inattendue de Manhattan. Un Manhattan tout blanc, rutilant de lumière.

Ce qui est poilant, c’est qu’on s’y retrouve simultanément sur ce balcon, Marie-Marie et moi. Séparés par un brin de barrière chromée. En bas, la piscine se met à exister après l’orage. Une faune disparate l’investit, en maillot de bain, mais pourtant diversifiée. Mon regard se pose sur le cul de formule 1 d’une blonde fracassante qui polarise l’attention générale. Son maillot est réduit, pour sa partie pile, aux dimensions d’une ficelle-cadeau et, chaque fois qu’elle se penche, on a l’impression de jouer à cache-cache avec son trouduc, je préfère te le dire franchement plutôt que de tourner autour du pot !

— Intéressant ? grommelle la pie-borgne, de ce ton d’épouse acerbe qui fait tant pour la noble cause du divorce.

Je m’arrache à ma contemplation teintée de rêverie. Elle a des yeux furibards, la petite houri.

— Tu sais, Marie-Marie, murmuré-je, si un jour je t’épousais, il ne faudrait pas me faire farter avec des réflexions de ce genre.

Elle opine.

— Non, bien sûr, admet-elle avec un air de chaton qui vient de finir sa tasse de lait et qui en voudrait encore.

Elle ajoute :

— C’est bien, dans le fond, que je puisse me préparer. Tu te rends compte, Tonio, la chance que tu as de pouvoir former ta future épouse ?

Je lui souris. Dans le soleil, elle est vraiment formide, cette gamine. Son côté cuisse de mouche a disparu. Elle est bath de partout, bien bousculée, appétissante.

— Bon, il serait temps que je me foute à la tâche, que vas-tu faire en m’attendant ?

— Aller avec toi ?

— Non, je préfère usiner seul. Achète-toi un maillot de bain dans une boutique de l’hôtel et va te baigner.

— En compagnie de tous ces locdus ? T’es pas malade ? Dis, t’as maté un peu ce ramassis de rouleurs ? J’ai pas envie qu’ils viennent me baratiner, c’est un truc que je supporte pas. Les bonshommes, c’est des vrais clébards. Voilà pourquoi, quand je te vois tirer la langue devant le pétrus de cette blondasse, ça me navre. Je voudrais tant que tu ne sois pas comme les autres, Tonio.

L’univers est tout vert, blanc, bleu. Des couleurs crues, ardentes. C’est comme s’il n’y avait pas eu d’orage. Tout est déjà sec et brûlant.

— Alors, que décides-tu ?

— Je vais défaire ma valoche et puis aller musarder dans cette belle caserne. On se retrouve où ?

— Au bar, à midi. Et si tu te reposais un chouïa, tu n’as guère dormi dans l’avion ?

— Je verrai… Tu sais pas ? Je pense au bonhomme de tout à l’heure. C’est tout de même fort de rencontrer de but en blanc un visage déjà vu si loin de Paname…

— Plus tu avanceras en âge, plus tu t’apercevras que la vie est courte et le monde minuscule, ma poule.

Je rentre précipitamment dans ma carrée avant qu’elle ne furibonde sur ce « ma poule » qui chaque fois la vitriole.

* * *

Le préposé, un jeune homme noir, sapé comme un milord, m’écoute sans cesser d’écrire dans un immense registre.

C’est un garçon très bavard, mais je me demande dans quelles circonstances, très aimable, mais je ne sais pas avec qui, et particulièrement serviable avec des personnes que j’ignore. Bon, mais tu peux pas toujours espérer rencontrer des individus à tes pieds, hein ? Et puis, marcher sur des descentes de lit, ça fatigue, à force. A preuve, t’as des gus qui s’en remettent en escaladant l’Himalaya.

Enfin, quand il a fini de calligraphier son paragraphe à l’encre bleue des mers du Sud, le beau jeune homme, il relève la tête, remet droite sa cravate rose et noire qui l’était déjà, et m’adresse un « Monsieur ? » tellement sévère que je défie nonante pour cent des gens de se rappeler ce qu’ils s’apprêtaient à lui demander.

— Je devais retrouver des amis à Abidjan, fais-je, et je voudrais savoir s’ils sont descendus chez vous. Il s’agit de M. et Mme Chultenmayer et de Mme Mudas ?

Le beau Noir — Dieu qu’il est beau, et Dieu qu’il est noir ! — me considère avec cet œil que tu prends lorsqu’un mecton sonne à ta lourde, sollicitant un entretien de la plus haute importance, prétend-il, alors qu’il tient un aspirateur sous le bras.

Il hésite. Pourquoi ? Ça, c’est son problo. Chacun réagit comme il peut, et régit sa vie de même. J’essaie de le désamorcer par un sourire franc et massif, plus un petit air de m’excuser de ne pas être de pigmentation plus sombre ; mais ces efforts pourtant louables ne l’amadouent pas (je devrais dire amadou).

Je le laisse à son examen de conscience. Ma patience et mon self-control (l’une étant enfant de l’autre) sont récompensés. Le v’là qui cramponne un deuxième grand livre à carouble de toile noire.

— Quand ? il laconise.

— Hier, m’aligné-je.

Son doigt aux ongles couleur de topaze (aurait écrit Ponson du Térail qui s’en branlait encore pis que moi) prend le bas d’une colonne, la remonte. Et moi, je me dis qu’en arrivant, j’aurais pu, séance tenante, demander ce tuyau en nous faisant inscrire, mais, trempé comme j’étais, j’avais que le souci d’un bain chaud et de fringues sèches.

— Monsieur, fait-il.

— Comment ça, monsieur ?

— Nous avons effectivement enregistré un M. Chultenmayer hier soir.

— Sans madame ?

— Sans madame.

— Et pas de Mudas ?

— Non.

Il referme le booksif en le faisant claquer, ce qui me rappelle un pote enfant de chœur que j’avais autrefois, et qui, en fin de messe, paraissait tirer un coup de canon dans l’église tellement qu’il le claquait sec, le saint livre. Faut dire que notre curé était constipé des tympans.

Alors là…

Pas de mesdames ! Que sont-elles devenues, ces chéries ? Le père Chultenmayer les aurait-il larguées à la mer en franchissant le tropique du Cancer ? Dis, ça cotonne de plus en plus, ce bigntz.

Je tire un bifton C.F.A. de mes profondeurs, très jolie banknote, que ça représente des gens du pays qu’ont l’air tout plein content d’habiter ce coin du monde. Je la pousse dans la direction du gars qui la prend comme il s’agirait d’une épluchure de pomme et la jette sous sa banque, idem un clope dans un cendrier.