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— Je sais, dit Conway qui se demandait pour quelle raison O’Mara, habituellement si taciturne, était devenu à ce point prolixe.

Essayait-il de simplifier le problème en l’incitant à s’exprimer en termes autres que médicaux?

« Mais ainsi que vous le savez, un des effets des traitements de rajeunissement répétés est que la personne ainsi traitée éprouve une peur de plus en plus grande de mourir. En dépit de l’ennui, de la solitude et d’une existence contre nature, cette peur croît régulièrement au fur et à mesure que le temps s’écoule. C’est la raison pour laquelle cette créature se déplaçait toujours avec son médecin personnel, elle éprouvait une véritable terreur d’être victime d’une maladie ou d’un accident entre deux cures de rajeunissement, et c’est pourquoi je peux comprendre dans une certaine mesure ce qu’elle a dû éprouver lorsque le médecin qui était censé la maintenir en bonne santé l’a laissée tomber malade, bien que le fait qu’elle l’ait ensuite dévoré me …

— Alors, vous la soutenez, déclara sèchement O’Mara.

— Cela pourrait constituer une base sur laquelle plaider la légitime défense, rétorqua Conway. Mais je disais que cet être éprouve une véritable panique à l’idée de mourir et que c’est la raison pour laquelle il a constamment essayé de trouver un médecin personnel plus valable … Oh !

— Oh, quoi? demanda O’Mara.

Ce fut Prilicla, qui avait capté les émotions de Conway, qui répondit à sa place.

— Le professeur Conway vient d’avoir une idée.

— Quelle idée, espèce de petit garnement? Le secret est inutile !..

La voix de O’Mara avait perdu son timbre affable et paternel, et ses yeux luisaient d’une façon indiquant clairement qu’il était heureux que la gentillesse ne fût plus nécessaire.

« Qu’est-ce qui cloche, au sujet de votre fichu patient?

Conway, soulagé et excité tout en se sentant à la fois pas très sûr de lui, se rendit d’un pas hésitant jusqu’à l’interphone. Il demanda qu’on lui fît parvenir un matériel peu orthodoxe, puis il alla s’assurer que le patient était toujours solidement sanglé et qu’il ne pouvait mouvoir un seul muscle.

— Mon idée, déclara-t-il, c’est que notre malade est parfaitement sain d’esprit et que nous nous sommes laissés entraîner sur des fausses pistes psychologiques. À la base, ses problèmes viennent de ce qu’il a mangé.

— J’aurais parié que vous diriez une chose comme ça, déclara O’Mara.

Il semblait sur le point de vomir.

Le matériel arriva … un mince pieu de bois pointu et un appareil qui permettrait de le diriger vers le bas selon un angle voulu tout en contrôlant sa descente. Aidé par le Tralthien, Conway redressa le pieu et le mit en position. Il choisit une partie du corps du patient où se trouvaient plusieurs organes vitaux qui étaient, de toute façon, protégés par près de quinze centimètres de muscles et de graisse, puis il mit en marche le mécanisme. La pointe du pieu toucha la peau et se mit à descendre à une vitesse d’environ cinq centimètres à l’heure.

— Que diable faites-vous? rugit O’Mara. Est-ce que vous croyez que votre patient est un vampire?

— Bien sûr que non, répondit Conway. Si j’utilise un pieu de bois, c’est pour lui donner de meilleures chances de se défendre. On ne pourrait s’attendre à ce qu’il arrête une pointe d’acier, n’est-ce pas?

Il fit signe au Tralthien de s’avancer et, ensemble, ils étudièrent la zone où le pieu pénétrait dans le corps du EPLH. Toutes les deux ou trois minutes, Prilicla faisait un rapport sur les radiations émotionnelles qu’il captait. O’Mara, quant à lui, faisait les cents pas et marmonnait parfois quelques paroles qu’il était le seul à entendre.

La pointe avait pénétré dans le corps de près de six millimètres lorsque Conway nota un épaississement et un durcissement de l’épiderme. Ce phénomène se produisait dans une zone vaguement circulaire d’environ dix centimètres de diamètre et dont le centre était la blessure provoquée par le pieu. Le scanner de Conway révéla une excroissance spongieuse et fibreuse qui se formait à un centimètre et demi sous l’épiderme. Ils pouvaient voir cette excroissance croître et s’opacifier sur le scanner et, en dix minutes, elle devint une plaque osseuse extrêmement dure : le pieu qui s’était mis à ployer menaçait de se rompre.

— J’estime que toutes ses défenses sont à présent concentrées sur ce point, déclara Conway qui tentait de conserver une voix assurée. Nous ferions mieux de l’exciser sans plus attendre.

Conway et le Tralthien incisèrent la chair autour et au-dessous de la plaque osseuse nouvellement formée. Ils l’enlevèrent et la placèrent immédiatement dans un récipient stérile et hermétiquement fermé. Conway prépara rapidement une seringue avec une dose de produit légèrement moins forte que la veille, et pratiqua l’injection. Puis il prêta main forte au Tralthien qui refermait la blessure. C’était un travail de routine qui ne leur prit qu’un quart d’heure. Lorsqu’ils eurent terminé, ils purent constater que le patient réagissait favorablement au traitement.

Tandis que le Tralthien félicitait Conway et que O’Mara lui adressait d’horribles menaces (le psychologue en chef voulait obtenir des réponses à ses questions, et immédiatement) Prilicla déclara :

— Vous avez réussi à le guérir, professeur, mais le sentiment d’angoisse du patient s’est encore considérablement accru. Il est presque fou de terreur.

Conway secoua la tête, en souriant.

— Le malade est sous une forte dose d’anesthésique et il ne peut rien ressentir. Cependant, je reconnais qu’en cet instant … (il désigna d’un signe de tête le récipient stérile) son médecin personnel ne doit pas être au mieux de sa forme.

Dans le bocal, l’os excisé avait commencé à s’amollir et un liquide pourpre en suintait. Ce liquide formait des rides et gargouillait doucement au fond du récipient, comme s’il s’était agi d’une créature intelligente. Ce qu’il était, d’ailleurs.

Conway se trouvait dans le bureau de O’Mara. Il terminait son rapport sur le EPLH et le commandant lui avait fait maints compliments en des termes qui, parfois, empêchaient de faire la moindre distinction entre des louanges et des insultes. Mais Conway commençait à prendre conscience que c’était dû à la nature de O’Mara. Le psychologue en chef ne se montrait courtois et compatissant que lorsqu’il s’inquiétait professionnellement du sort d’une personne.

Il lui posa encore des questions.

—  … une forme de vie intelligente, de type amibien, un groupe organisé de cellules microscopiques de type viral, représenterait le praticien le plus efficace qui soit, répondit Conway en réponse à l’une d’elles. Il pourrait résider dans le corps de son patient attitré et, après avoir reçu les données nécessaires, il serait à même de lutter contre toutes les maladies et les défaillances organiques à partir de l’intérieur. Pour une créature qui est pathologiquement terrorisée par la mort, cela pouvait sembler parfait. C’était d’ailleurs parfait, car les problèmes qui sont apparus ne peuvent être imputés à ce médecin. Ils sont dus à l’ignorance qu’avait le malade de sa propre physiologie.

« Voici comment je vois les choses, ajouta Conway. Le malade a commencé les traitements de rajeunissement dans la première période de sa vie biologique. Je veux dire qu’il n’a pas attendu d’être entre deux âges, ou un vieillard, pour se régénérer. Mais cette fois, soit par oubli soit par insouciance, ou encore parce qu’il était occupé à résoudre certains problèmes qui lui ont pris plus de temps que prévu, il a vieilli bien plus que les fois précédentes et c’est la raison pour laquelle il a eu cette maladie de la peau. Le labo de pathologie pense qu’il s’agit probablement d’une affection commune à tous les membres de cette race. Habituellement, les EPLH doivent se dépouiller de l’épiderme nécrosé et reprendre une vie normale. Mais notre patient, en raison des trous de mémoire dus au traitement régénérateur, l’ignorait, et en conséquence son médecin personnel ne pouvait pas non plus le savoir.