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Vers l’ouest :

— Plus forts que des fusils !

Vers le nord :

— Plus forts que des fusils !

Et vers le sud :

— Plus forts que des fusils !

Beaucoup crièrent avec lui.

Il attendit que le silence revienne.

— Chaque nouveau chef a le droit de demander au conseil des sachems, réuni pour honorer son élévation, qu’on revoie certain point de politique. Je demande à présent aux sachems de bien vouloir considérer le problème des étrangers établis sur la côte est, et de les affronter, en exploitant la force des fleuves, en fabriquant des fusils, et en menant une campagne d’opposition totale à leur présence. Je demande aux sachems de privilégier notre puissance plutôt que nos affaires.

Il joignit les mains et se courba.

Les sachems se levèrent.

Le Gardien dit :

— Cela fait plusieurs requêtes. Mais nous prendrons la première en considération, sachant qu’elle inclut les suivantes.

Les sachems se réunirent par petits groupes et commencèrent à discuter, Broie-la-Roche parlant vivement, plaidant la cause de Delouest ; Iagogeh le voyait bien.

Pour une décision de cette importance, il fallait être des plus attentifs. Les sachems de chaque nation étaient divisés en sous-groupes de deux ou trois membres chacun, et ces sous-groupes s’entretenaient à voix basse, concentrés sur leurs propres paroles comme sur celles de leurs interlocuteurs. Une fois qu’ils avaient décidé quel était l’avis de leur sous-groupe, l’un d’eux allait retrouver les représentants des autres sous-groupes de sa nation – quatre pour les Portiers et les Marécageux. Ces derniers parlaient alors un moment entre eux, pendant que les sachems se consultaient en fumant la pipe. Enfin, un sachem par nation exprimait l’avis des siens aux sept autres, et ils confrontaient leurs points de vue.

Cette nuit-là, la conférence des huit représentants dura un long moment, si long que les gens finirent par se regarder les uns les autres, ne sachant que penser. Quelques années auparavant, au cours d’une conférence où avait été débattu le problème des étrangers établis sur la côte est, ils n’avaient pas réussi à se mettre d’accord, et aucune décision n’avait été prise. Volontairement ou non, Delouest avait évoqué le plus important des problèmes non résolus de ces derniers temps.

D’ailleurs, les événements semblaient se répéter. Keeper, le Gardien, demanda à faire une pause, et annonça au peuple :

— Les sachems se réuniront à nouveau demain matin. Le problème évoqué ce soir est trop important pour qu’on puisse prendre une décision cette nuit, et nous ne voulons pas surseoir plus longtemps aux festivités.

Une rumeur d’approbation parcourut la foule. Delouest s’inclina profondément face aux sachems et se joignit au premier groupe de danseurs, qui ouvrirent le bal en jouant avec des hochets en carapace de tortue. Il prit lui-même un de ces hochets et l’agita bizarrement autour de lui comme s’il s’agissait d’une crosse. Pourtant, ses mouvements étaient extraordinairement fluides et n’avaient rien à voir avec ceux des guerriers hodenosaunees en train de danser. Ces derniers semblaient donner des coups de tomahawk, extrêmement rapides et agiles, tout en sautant en l’air, le plus haut possible, sans cesser de chanter. Bientôt, des perles de sueur brillèrent sur leur peau, tandis que leur chant était ponctué des efforts qu’ils faisaient pour reprendre leur souffle. Delouest regardait, béat d’admiration, un large sourire sur le visage, ces gesticulations, tout en secouant la tête, l’air de dire que tout cela dépassait, et de loin, ses capacités. Alors, la foule, heureuse de voir enfin qu’il y avait quelque chose qu’il ne savait pas faire, se mit à rire et se joignit à la danse. Delouest se retira, dansant avec les femmes, à la façon des femmes, et la longue file des danseurs fit le tour du feu, puis du terrain de lacrosse, avant de revenir au feu. Delouest quitta la file et prit un peu de tabac dans sa blague. Il en plaça dans la bouche de chacune des personnes qui passaient devant lui, y compris Iagogeh et les autres danseuses, dont la grâce entraînante durerait plus longtemps que les sauts endiablés des guerriers.

— Le tabac des shamans, expliqua-t-il à chacun d’eux. Le don des shamans, pour danser.

Cela avait un goût amer, et beaucoup durent boire du sirop d’érable pour le faire passer. Les hommes et les femmes les plus jeunes continuèrent à danser, leurs membres se troublant à la lumière du brasier, plus lumineux et imposant qu’auparavant. Quant au reste de la foule, qu’ils fussent jeunes ou vieux, ils dansaient doucement çà et là, tout en se promenant, en commentant les événements de la journée. Beaucoup se regroupèrent autour de ceux qui regardaient la balle de lacrosse où Delouest avait dessiné le monde. Elle paraissait luire à la lumière du feu, d’un feu étrange et comme venu de l’intérieur.

— Delouest, demanda Iagogeh après un moment, qu’y avait-il dans ce tabac des shamans ?

— C’est une nation plus à l’ouest, où j’ai vécu, qui me l’a donné, répondit Delouest. Cette nuit, plus que les autres nuits, les Haudenosaunees ont besoin de partir en quête d’une vision, tous ensemble. Cela fait voyager l’esprit, comme tous les voyages. Cette nuit, tous partiront loin de la Longue-Maison, tous ensemble.

Il prit une flûte qu’on lui avait donnée, plaça ses doigts délicatement sur les trous, et joua une première séquence de notes, puis une gamme.

— Ha ! s’exclama-t-il, en la regardant de plus près. C’est parce que nos trous ne sont pas placés de la même façon. Qu’importe, je vais réessayer.

Il joua une musique si aiguë que tous se mirent à danser à son rythme, comme des oiseaux. Delouest grimaçait en jouant, puis son visage parut s’apaiser, et il joua, ayant enfin apprivoisé l’instrument.

Quand il eut terminé, il regarda de nouveau la flûte, et déclara :

— C’était « Sakura ». Ou en tout cas, la partition de « Sakura », mais ce n’était pas tout à fait le même morceau. Il ne fait aucun doute que tout ce que je peux vous dire sort de ma bouche également déformé, de même que vos enfants entendent vos paroles à leur façon, et les changent à leur tour. Ainsi, peu importe ce que j’aurai dit ce soir, ou ce que vous ferez demain.

Une des filles dansait en tenant un œuf peint en rouge, l’un de ses jouets, et Delouest se mit à la regarder, attiré par il ne savait quoi. Il regarda autour de lui, et ils virent que sa blessure à la tête avait recommencé à saigner. Ses yeux se révulsèrent et il s’effondra, comme frappé par la foudre, lâchant sa flûte. Il cria quelque chose dans une autre langue. La foule se calma, et ceux qui étaient le plus près de lui s’assirent à ses côtés.

— Cela s’est déjà produit, déclara-t-il d’une voix étrange, lente, grinçante. Ça y est ! Tout me revient !

Il poussa un léger cri, ou plutôt une plainte.

— Pas cette nuit, exactement recommencée, mais son reflet d’autrefois. Écoutez bien : nous vivons plusieurs vies. Nous mourons, puis nous revenons pour une autre vie, jusqu’à ce que nous ayons enfin bien vécu, et que tout se termine. Autrefois j’ai été un guerrier de Nippon – non, de Chine !

Il s’arrêta, se massant le front.

— Oui, de Chine. Et c’était mon frère, Peng. Il a traversé l’île de la Tortue, rocher par rocher, dormant dans les troncs, luttant même contre un ours dans sa tanière, faisant tout ce chemin jusqu’ici, là-haut. Il a atteint cet endroit précis, ce campement, cette maison du conseil. Il me l’a dit après notre mort.

Il poussa un glapissement, parut chercher du regard quelque chose à côté de lui, puis partit en courant vers la maison des ossements.

C’est là qu’étaient disposés les os des ancêtres, une fois blanchis par les oiseaux et les dieux, au cours d’une longue exposition du corps au soleil, sur un hamac de branchages. Ils étaient soigneusement rangés dans la maison des ossements, sous la colline, et ce n’était pas un endroit que les gens allaient voir pendant les fêtes. En vérité, ils n’y allaient presque jamais.